Chapitre 5

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Si le lycée était une échelle, il est de notoriété publique que Ami Summer se retrouverait tout en haut tandis que je me coltinerais un des paliers les plus bas. Non pas sur le dernier barreau parce que je ne suis pas si asociale que cela laisserait entendre mais je me situerais pourtant bien en-dessous de Bonnie et Caro : le club de théâtre auquel l’une participe et les cours hebdomadaires d’équitation de l’autre leur assurent un certain statut social.

Aussi, quelle n'est pas ma surprise lorsque je découvre Ami Summer sous le porche de la maisonnette que Sandra venait d’appeler ma "nouvelle demeure". À voir son visage, il est évident qu’il est aussi étonné de ma présence ici. Certaines filles seraient parfaitement capables de tuer pour se trouver ici. Mais, je n'en fais pas partie, heureusement pour moi. Il reprend bientôt contenance pour s’avancer vers moi et me serrer fermement la main.

  • Charlie Belly.

Il annonce mon nom comme on balance la température extérieur au printemps : sans aucune inflexion tout en sachant que cette information n'aura aucune incidence sur le monde extérieur.Le lycée Esther-Lou-Benazir, régulièrement renommé ELB, est petit, je ne suis pas étonnée qu'il me connaisse.

  • Enchanté de faire ta connaissance ! Ça fait un moment que j'entends vanter les mérites de ma nouvelle coloc.

Cette fois-ci, il met plus d'entrain dans ses mots et j'ai presque la sensation qu'il est heureux de me voir ici. Je fronce les sourcils. Qui a bien pu lui parler de moi ? Serait-ce Maman ou bien Sandra ? Celle-ci se tourne vers moi, le regard complètement détendu comme si, puisqu'aucun de nous n'a été blessé et/ou n'est mort au cours de notre rencontre, rien de grave ne peut arriver à partir de maintenant.

  • Bon, Charlie, je te laisse découvrir ta maison. Amadeo va te faire visiter. Il faut que j’aide ta mère à s’installer.

Sur ces mots, elle fait demi-tour, me laissant seule avec son fils. Je suis Sandra du regard jusqu’à ce qu’elle disparaisse derrière un arbre au tournant du virage. En me retournant, je découvre le regard scrutateur d’Amadeo sur moi, ce qui a pour mérite de me mettre mal à l’aise.

  • Bon, on la visite, cette maison ? finis-je par lancer, ni tenant plus.

Il semble se réveiller au son de ma voix et frappe énergiquement ses mains l'une contre l'autre pour donner de l'ampleur à son enthousiasme.

  • Bien sûr, bien sûr, allons-y !

Je m’engouffre à sa suite dans l’entrée.

Durant la demi-heure suivante, j’arpente la maison, visitant ma chambre, la seule salle de bain, la cuisine ainsi que le salon, toujours à quelques pas derrière mon guide. Je tente de faire comme si ma présence ici n'était pas légèrement étrange, voire déplacée. Puis, une fois le tour du propriétaire effectué, je m’écroule, épuisée et toute habillée, sur mon lit.

Au petit matin, lorsque je me lève, je ne trouve aucune trace d'Ami : il doit encore être en train de roupiller. Par habitude, je prépare des pancakes dans la cuisine de la maisonnette. C’est ce que je fais traditionellement tous les samedis matins depuis le départ de Papa. Et celui-ci n’a aucune raison d'échapper à la règle. Sauf qu’en général, je le fais pour Mich et John, pas pour un gars du lycée auquel je n’ai jamais adressé la parole, qui se trouve être mon colocataire, et que je ne connais que de réputation. Puisque je ne pense pas être quelqu'un d'horrible avec les inconnus qui me permettent d'habiter chez eux, je laisse une petite assiette de pancakes sur la table de la cuisine, puis je sors dans le jardin avec le plat, en direction du palace pour nourrir ces adolescents et enfants affamés.

Comme je m’y attendais, ils ont adoré. Jilian et Elysée sont vraiment adorables. Ils n’ont cessé de me remercier pour le petit-déjeuner. De ce que j’ai pu voir, Jo et Valérie se connaissent déjà sous les noms de J-O et Lucinda. Ne me demandez pas pourquoi et comment, je n’ai pas encore découvert la réponse. Une enquête approfondie sera nécessaire dans les jours à venir.

Une heure plus tard, je rentre à la maisonnette, le récipient vide à la main, avec l’intention d’appeler Bonnie et Caroline pour leur faire un résumé de la situation et peut-être leur demander quelques conseils. Pourtant, à l’approche du fond du jardin, j’entends des voix qui s’échappent de la porte d’entrée grande ouverte. À moins qu’il ne soit imitateur professionnel, ce dont je doute fortement, elles ne peuvent pas provenir d’Amadeo seul. Au fur et à mesure que j’avance, les bruits se font plus forts et je peux entendre distinctement les paroles échangées.

  • Tiens, Beatly, passe-moi une carte.
  • Alors comme ça, ta mère t’a trouvé un coloc.
  • Une coloc.

Cette voix-là est celle d'Amadeo. Je n'ai aucun doute là-dessus.

  • Comment ça une ? lui répond une voix excitée. Ta mère est trop sympa. Moi, elle ne me laisserait jamais ramener une meuf chez moi !
  • Alors ? Elle est comment ? le presse un autre.
  • C'est ton tour, Lenny.

Au nombre de voix, je dirais qu’ils sont quatre ou cinq.

  • C’est qui ? On la connaît ?
  • Fais pas ton timide, Ami !

Comme il ne répond pas sous la pluie d’encouragement de ses amis, j’entre dans la pièce, comme si tout était normal. Le silence tombe immédiatement et je fais mine d’être étonnée de trouver quelqu’un d'autre qu'Amadeo ici. Ils se tournent tous vers moi. Ami se redresse sur sa chaise.

  • Les gars, je vous présente ma coloc, Charlie. Charlie, voici mes amis : Wesley...

Il me désigne un garçon de son groupe d’amis, que l'on voit toujours en train de faire le pitre ou de tenter de regarder sous les jupes des pom-pom girls. Plus petit que les autres, il a les cheveux sombres et très courts, comme une coupe militaire vaguement ratée. Je hoche la tête pour dire bonjour. Amadeo passe au suivant sans s'attarder.

  • Paul, aka Beatly.

Je l'ai déjà vu dans la troupe de théâtre de Bonnie. Le genre timide-mystérieux, elle essaie d’attirer son attention depuis des années. Je serre sans réfléchir la main qu’il me tend.

  • Et Lenny.

Lenny est le cliché parfait du surfeur : cheveux blonds décolorés par des heures au soleil, légèrement humides, les yeux bleus délavés, la peau dorée. Je lui rends son sourire. Le silence s’éternise et leurs quatre regards restent cloués à moi. Pour me donner une contenance, je jette un coup d’œil à la table où sont posées quelques cartes.

  • À quoi jouez- vous ?
  • On fait un strip-poker, me répond du tac-au-tac Wesley, avec un mauvais sourire en coin. On t’attendait pour finir la partie.

Lenny lui donne un coup de coude dans les côtes.

  • Quoi ? réplique-t-il, faussement outré.
  • C’est une crapette, finit-il par m'apprendre en soupirant face à l'atitude de son ami. Tu veux jouer ?

Sa proposition me surprend et durant un instant, je ne sais pas quoi répondre. Aussi, j’acquiesce distraitement et cale une chaise entre Lenny et Beatly. L’allusion de Wesley me reste coinçée au travers de la gorge pendant un long moment.

Durant la partie, je me surprends à rire franchement ou à garder le sourire un peu plus que d'habitude. Le regard d’Amadeo est aussi très présent. Il semble m'observer, comme s'il tentait de me percer à jour et de m'évaluer afin de savoir si je suis assz digne de lui et de ses amis. Deux heures plus tard, lorsque les garçons partent, je me retrouve seule avec mon nouveau colocataire. Il ouvre la bouche mais je le devance, n'ayant aucune envie de discuter.

  • Je vais dans ma chambre.

Je n’attends pas sa réponse pour tourner les talons. Il y a comme une boule qui m'enserre la gorge et m'empêche de respirer. Une fois dans assise en tailleur sur mon lit, j’appelle Bonnie et Caroline, dans un appel vidéo. Seule Bonnie décroche. À la seconde où son visage apparaît sur l’écran de mon téléphone, une envie soudaine de pleurer me vient. Une unique larme dévale ma joue. Je l’essuie du doigt mais je ne suis pas assez rapide car Bonnie s’en aperçoit.

  • Qu’est-ce qu’il y a ? Tu veux que je vienne ?

Je secoue la tête avant de la hocher ensuite vivement. Tant pis pour Amadeo, j'ai besoin de réconfort. Après tout, il ne m'a jamais interdit de ramener quelqu'un chez moi. Je lui donne l’adresse de Sandra, enfin la mienne désormais, puis je raccroche.

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