42 : Rendre à César…

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« L’imperfection est beauté, la folie est génie et il vaut mieux être totalement ridicule que totalement ennuyeux. »

Marilyn Monroe

Avenue de New-York

Paris 16e

le 22 février 1992

20:30

La noble Anglaise glisse sur l’asphalte noire de la longue avenue. Conformément à ton désir, elle s’éloigne de sa destination initiale : le Palais des Congrès, place de la Porte-Maillot.

***

« I have a tale to tell /

Sometimes it gets so hard to hide it well /

I was not ready for the fall /

Too blind to see the writing on the wall… » (19)

***

La chanson de La Madonne (20) aurait-elle des accents prémonitoires ? Toujours est-il que tu ne te sens pas en état d’affronter la presse, les people plein d’arrogance, paradant à la cérémonie des César comme de vieux paons vaniteux qui ne sont là que pour le prestige et l’étiquette. Tu les emmerdes avec leurs ronds de jambe hypocrites, leur préciosité affligeante, toutes ces futilités si pathétiques, qui ne sont que strass et paillettes de pacotille. De la poudre aux yeux pour masquer la laideur de la vie réelle, pour se faire croire qu’ils sont les cadors du Septième Art, qu’ils sont au-dessus des soucis quotidiens du commun des mortels, qu’ils sont heureux puisque nantis…

***

« A man can tell a thousand lies /

I've learned my lesson well /

Hope I live to tell /

The secret I have learned, 'till then /

It will burn inside of me… » (21)

***

« Heureux ? Ben non, pauvre conne, toi t’es pas comme eux, t’arrives pas à faire semblant, ni dans ton existence ni sous les projecteurs, t’as pas leur talent, t’es rien ! Une moins que rien qui ne mérite même pas cette si gratifiante récompense ! »

Stop ! Arrêtez-vous là ! S’il vous plaît…

A hauteur de la Passerelle Debilly, ton chauffeur s’exécute. Ta portière s’ouvre et tu t’échappes de ton carrosse, une bouteille de champagne à moitié vide à la main, pour descendre sur le quai bordant la Seine. Il pressent que tu vas faire une connerie, c’en est déjà une de déserter l’honneur qui s’apprête à t’être fait ; il se précipite à ta suite pour te retenir, t’empêcher de sauter peut-être, même si ça lui semble trop dérisoire de vouloir réellement en finir ici.

Tu es là surplombant la berge, t’abreuvant au goulot de ces bulles alcoolisées censées fêter quelque chose, les yeux débordant de larmes, et lui t’interpelle, essaie de te raccrocher à ce qu’il te reste :

Écoutez, je sais pas grand-chose de vous, de votre vie, à part ce qu’on peut en lire dans la presse, et encore ! Ils interprètent tellement vos phrases isolées, vos attitudes… Tout ce que je sais, c’est que vous faites rêver les gens. Moi, j’ai vu tous vos films, et j’aime l’artiste que vous êtes. Je vous ai vue dans Riyad et vous y êtes sublime.

Tu lui tournes le dos dans une pose qui lui rappelle Marilyn, face à la Seine, face aux lumières qui brillent dans la nuit, sur l’autre rive, mais ses paroles t’atteignent.

A quoi ça sert tout ça, faire rêver des gens quand je n’ai qu’une seule envie : celle de me foutre en l’air pour que ça s’arrête ? A quoi ça sert, les rêves des autres quand je n’en ai plus aucun ?

Une ultime gorgée avant d’envoyer valser le Dom Pérignon dans les plus sombres profondeurs du fleuve.

A survivre peut-être, à surmonter les épreuves que le destin nous inflige parfois, à s’aimer soi-même… Allez, venez, ne laissez pas votre abruti d’ex prendre le dessus, ne lui donnez pas raison. C’est vous la meilleure actrice de l’année, de la décennie même, c’est à vous que doit revenir ce César. Seulement, si vous ne vous rendez pas à cette cérémonie, vous ne le saurez jamais.

Il te tend la main. Tu le regardes à travers tes prunelles floues, embuées de ce désespoir qui t’habite ce soir-là, de façon quasi inexpliquée ; tu hésites à la saisir, à le croire. Plonger dans l’eau froide ou se débattre au fin fond d’un panier de crabes ? Aucune alternative ne te paraît séduisante et pourtant… Pourtant, tu lui fais brièvement confiance et renonce à la Seine. Sa poigne musculeuse se fait délicate à la rencontre de la finesse de tes doigts. Il te raccompagne. Vous ne vous parlerez pas, vous vous direz juste l’essentiel, en silence, évoquant à peine ces petits bouts d’importance qui ne suffiront peut-être pas.

***

Palais des Congrès

Place de la Porte-Maillot

Paris 17e

le 22 février 1992

20:50

Une ouverture musicale tonitruante, interprétée sous la houlette du compositeur des Moulins de mon cœur et de La chanson des jumelles (22) ; Frédéric Mitterand intronisant de son fameux « Bonsoir ! » la dix-septième nuit des César… Ça y est, c’est le grand soir ! Un cru exceptionnel a posteriori, selon les plus célèbres critiques du Septième Art. L’un d’entre eux l’ayant même passé en revue par l’entremise d’une rétrospective personnelle dans un récent article de Vanity Fair. En souvenir d’un certain âge d’or du cinéma hexagonal, d’un âge où ses représentants, ses porte-paroles se prenaient volontiers pour l’égal d’Hollywood.

« Dans la mémoire des César, la nuit du 22 février 1992 garde l’aura des grandes batailles. Le ressac du temps a dessiné la fresque d’une époque, l’épopée de producteurs intrépides et de projets de haute voltige. À ce jeu risqué, certains ont triomphé, d’autres ont perdu. » (23)

D’autres ont perdu, oui, Crozats et toi. Malgré la victoire, malgré le champ des possibles que vous avait ouvert Stephen avec son Riyad, un vrai boulevard. Une autoroute qui s’achèvera en impasse, en cul-de-sac. Pour vous deux…

***

Le Flora Danica

142, avenue des Champs-Élysées

Paris 8e

mars 2003

— Qu’est-ce que ça vous fait d’en reparler, d’évoquer cette nuit plus d’une décennie plus tard ?

— Je n’aime pas parler de cette période, elle ne fait pas partie des meilleurs souvenirs que j’ai avec Solenn… Ce n’est pas l’image que j’aimerais qu’on retienne d’elle…

— Elle y a pourtant été récompensée pour l’un de ses plus grands rôles !

— Ce n’est pas ce film que je renie, je n’en renie aucun, mais cette soirée… Elle figure parmi les nuits les plus cauchemardesques de ma vie. Je déteste parler de ça, de notre rupture, ça fait trop mal d’évoquer ainsi celle que j’ai tant chérie, adulée. Elle était merveilleuse, elle était fragile. Et sa fragilité n’épargnait personne, elle ravageait tout sur son passage, elle emportait tout. Solenn ne se rendait pas compte de ce qu’elle faisait, qu’elle pouvait faire si mal ; c’était un animal blessé. Un animal sans défense, qui n’était plus en mesure de réfléchir… Ce soir-là, elle a agi par instinct, pour leur dire qu’il y avait plus important que de remporter un César, que c’était futile, que tout était futile… Elle était malheureuse, vous comprenez ? Si malheureuse… Malheureuse à en crever, et il fallait qu’elle l’exprime, coûte que coûte, peu lui importait les dommages collatéraux qui en découleraient. De toute façon, je crois qu’elle l’a fait sans se poser de questions ; elle m’a poignardé simplement, en plein cœur. Par maladresse, par mégarde. Comme on manque un battement, vous voyez ? Son cœur a manqué un battement, il a manqué de me tuer… Non, je ne peux pas parler de ça, j’en suis incapable. C’est trop douloureux, trop difficile. Je peux pas…

***

Mais toi, tu me l’as raconté, tu l’as écrit dans ton bouquin, comme une confession honteuse, un fardeau trop lourd à porter, dont tu devais te délester.

***

Je me suis longtemps posé la question de l’intérêt d’écrire mon autobiographie. Ma plume n’a jamais rien eu de transcendant, mon seul talent étant d’endosser des rôles plus ou moins fictifs, d’incarner plus que d’être.

Par ailleurs, j’ai toujours trouvé l’exercice extrêmement nombriliste dans le sens où l’autobiographie est une forme de prétention démesurée, celle de penser que sa propre vie est suffisamment intéressante pour être racontée.

Mais au-delà de ça, je me suis jusqu’alors surtout dit que mon existence, notamment sa sphère privée, n’avait plus tellement de secrets pour personne. Exposée, volée, violée même à de nombreuses reprises quand je n’étais pas devant un objectif ou une caméra pour exercer mon métier, elle vous a donné de moi l’image d’une personne inconséquente, folle, dépressive ou alcoolique.

Une image que je ne voulais pas montrer parce qu’elle ne regarde personne. Une image intime qu’on a dévoilée contre mon gré. La grande Romy Schneider s’était révoltée en ces mots contre une certaine presse qui la traquait : « Où est la morale, où est le tact ? ». Cette presse qui s’enrichit de la détresse des stars sans même essayer de comprendre. C’est à cette presse que je dois la disparition de mon père. Il n’a pas supporté qu’on affiche ma déchéance, cette déchéance qu’il a apprise dans les journaux. Lui me voyait comme une étoile, et il savait que c’était ce que je rêvais d’être. Alors que pourrais-je rapporter aujourd’hui qui n’a pas déjà été écrit sur moi ?

Ce n’est pourtant pas un caprice de diva, ou un moyen de me faire de l’argent sur le dos de mes fans, comme on vous le dira probablement. Ce n’est rien de tout ça, c’est juste ma vie par moi. Sans égocentrisme. Zacharia, mon compagnon, m’a convaincue du bien-fondé de cette démarche, celle d’une humble honnêteté de ce que je suis par respect pour ceux qui m’aiment ou m’admirent, ceux qui comptent. Ceux qui ont toujours été là et qui savent.

Un soir de déprime, je me suis confiée à cet homme qui partage mon existence. J’avais besoin de tout lui dire, tout ce qui fait de moi ce que je suis. Et ça m’a fait un bien fou. Un bien que je n’aurais jamais soupçonné. Je me suis abandonnée contre lui, et tout en me berçant de ses bras, il m’a murmuré ces mots, me persuadant ainsi de me raconter : « L’image que les gens ont de toi, c’est une image fabriquée, véhiculée par le monde du cinéma, les médias. Une image biaisée. Qui mieux que toi peut expliquer à ton public, celui qui t’aime, t’adule, qui tu es et pourquoi ? Tu es la seule à savoir ce qui t’a construite, tes erreurs, tes illusions ; la seule qui connaisse le responsable de cette souffrance qui t’a minée et tuée à petit feu ; la seule qui sache combien il est difficile de remonter la pente quand on a touché le fond ; la seule qui connaisse le prix de tes combats. Tes fans ont le droit de savoir. Pour comprendre la vérité. Ta vérité, la vraie Solenn. »

Et Zack a raison, comme mon père avait raison avant lui. C’est par et pour vous, cher public, que je vis, que j’ai toujours vécu. Vous êtes ma lumière, l’essence-même de ce que je suis. C’est à vous que je me suis raccrochée quand je perdais pied, quand je me sentais partir. Et à Philippe Garance, ce jeune garçon de douze ans qui a perdu la vie d’être venu me voir sur scène, dans l’attentat d’Avignon. S’il me regardait de là-haut, je ne pouvais pas le décevoir. Ni vous décevoir vous.

Vous qui connaissez la star, l’étoile, le firmament, celui qui brille sur grand écran, vous allez découvrir ma part d’ombre, le background, l’envers de mes paillettes. Parce que la fortune et la gloire ne suffisent pas. Parce qu’il y a eu tellement de choses qui m’ont fait déraper.

Papa, Zack, c’est avant tout à vous que je dédie les mots qui vont suivre. Vous, les deux hommes de ma vie, ceux que j’ai le plus chéris – même si on ne chérit jamais assez. A Stephen et à Margaux aussi, ils savent très bien pourquoi. A Harvey, mon frère d’addiction et de solitude, cet être d’exception à qui je n’ai pas pu dire au revoir. Et à vous, bien aimé public, sans qui je ne suis rien…

Solenn Avryle,

Préface du livre Je ne suis pas que ça…

***

Palais des Congrès

Place de la Porte-Maillot

Paris 17e

le 22 février 1992

21:00

Crozats s’angoisse de ton absence. S’inquiète. S’agace.

Cela fait une demi-heure que tu devrais être là.

Ça fait une demi-heure qu’il essaie de te contacter via un point phone public du hall Passy ; une demi-heure qu’il essaie de joindre la société de location de voitures de maître auprès de laquelle il avait réservé ta limousine.

Une demi-heure qu’il essaie de te téléphoner sur le poste de la Bentley.

En vain…

***

Avenue de New-York

Paris 16e

le 22 février 1992

un quart d’heure plus tôt

Putain, merde ! On m’a piqué la bagnole…

Voilà où ça vous mène de vouloir jouer les preux chevaliers volant au secours d’une princesse en détresse ! Et je fais comment moi, maintenant, pour me rendre au Palais des Congrès ?

Il y a un bar là-bas, je vais téléphoner à ma boîte afin de leur signaler l’incident et qu’ils vous envoient un autre chauffeur, une autre limousine…

Non, c’est vous que je veux. Vous êtes mon ange gardien pour la soirée…

Vous parlez d’un ange gardien, pas même fichu de garder un œil sur le carrosse de sa princesse !

Sourires de connivence. Au fond, tu t’en fiches un peu de ne pas être là-bas, tu n’y tenais pas tellement. C’est Stephen qui a insisté.

Au moins une limousine alors, j’échangerai ma place avec celui qui viendra vous chercher…

Bras dessus, bras dessous, vous remontez l’avenue, nimbés d’un brin d’insouciance.

***

21 heures 15, la remise du César de la meilleure actrice s’approche à grands pas, et Stephen commence à paniquer.

***

A la même heure, à la brasserie du New-York, tu t’enfiles ta quatrième flûte de champagne en prenant ton mal en patience. Ta voiture de maître ne devrait plus tarder.

Vous ne devriez pas boire autant…

Qu’est-ce que ça peut vous foutre, Aymeric ? Je bois si je veux ! Je n’ai pas d’ordre à recevoir de vous. Je m’appelle Solenn Avryle, je suis une femme malheureuse de trente-deux ans, et je vous emmerde…

***

Claudia Cardinale s’avance sur la scène pour remettre le César de la meilleure actrice. Tu n’es toujours pas là…

Les nominées pour le César de la meilleure actrice 1992 sont : Emmanuelle Béart pour La belle noiseuse de Jacques Rivette, Juliette Binoche pour Les amants du Pont-Neuf de Leos Carax, Anouk Grinberg pour Merci la vie de Bertrand Blier, Irène Jacob pour La double vie de Véronique de Krzysztof Kieślowski, et Solenn Avryle pour Riyad de Stephen Crozats.

Gros plan de Maurice Dugowson sur ton fauteuil resté désespérément vide. Tu n’es toujours pas là…

Le César de la meilleure actrice est attribuée à… Solenn Avryle pour Riyad, de Stephen Crozats !

Salve d’applaudissements, brouhaha dans le fond de la salle, tu arrives. Définitivement éméchée, mais tu arrives. Enfin !

Un travelling. La caméra filme ta démarche chancelante et ton regard d’allumée dans l’allée qui te conduit jusqu’à l’estrade surplombant une salle bondée. Tandis que Stephen fulmine dans son coin, tu tentes de donner le change en feignant de casser l’un de tes hauts talons et finis par ôter tes escarpins en les balançant d’un gracieux mouvement de jambes dans la travée centrale, juste avant de monter sur scène en titubant.

L’ex-sex-symbol italien te sourit en te tendant ton César, tu t’en saisis maladroitement en te raccrochant au pupitre pour conserver un certain aplomb.

Merci Claudia… Putain ce qu’il est lourd, ce fichu trophée ! On ne dirait pas, mais il pèse son poids, l’animal ! Non, rassurez-vous, je ne vais pas le faire tomber… Pas davantage que je n’ai envie de rendre à César ce qui n’appartient qu’ à moi !

Tu ris de ce qui se veut être un bon mot. Mais il ne fait rire que toi. L’assistance, elle, retient son souffle. Elle ne peut qu’être l’impuissante spectatrice de ton ivresse.

Oui… Pardonnez-moi, je suis un peu pompette, j’ai pris un peu d’avance pour fêter ma victoire… Enfin, je veux dire notre victoire ! J’ai failli t’oublier, Stephen…

Crozats se tasse dans son fauteuil, les joues rosies par la honte, par l’affront que tu lui fais de t’offrir en spectacle, irrévérencieuse. A des années-lumière de ce qu’il convient de faire, précisément.

Je… J’avais préparé un discours de remerciement, le genre de conneries qu’on déclare avec solennité dans ces moments-là, bien propre, bien policé… Mais j’ai plutôt envie de vous raconter une petite histoire… Celle qui me lie à ça…

Ça… Un qualificatif dédaigneux pour désigner ce que tu tiens entre tes mains : ton César !

Quand j’étais toute gamine, Cannes, les Oscars, toutes ces fanfaronnades autour du mythe cinématographique me faisaient rêver. Et puis il y eut la première nuit des César, en 1976. J’avais seize ans… Je me souviens encore de cet événement retransmis à la télé, je me souviens l’avoir regardé lovée dans les bras de mon père, je me souviens de Romy, la première actrice a avoir reçu ce trophée… Mais avec le recul et en vivant la même chose qu’elle ce soir, je me rends compte du ridicule de cette mascarade, de cette auto-congratulation qui n’est rien de plus qu’une cérémonie d’adoubement sans laquelle on n’est rien dans ce milieu tellement fermé, tellement imbu de lui-même. Parce que je suis sûre que ce soir, mes co-nominées me jalousent ma victoire, comme Adjani a jalousé celle de Romy, persuadée de mériter davantage ce titre que ne le méritait à ses yeux la boche, l’autrichienne !

Les huées se mettent soudainement à couver dans l’assistance, de plus en plus mal à l’aise face à ton discours improvisé. On voudra t’interrompre ; tu ne leur en donneras pas l’occasion.

Oui, vous me jalousez, vous tous ! Et au fond, pourquoi l’ai-je eu, ce César ? Parce que le jury m’a trouvée exceptionnellement bonne dans le rôle d’Eva ? Non… Riyad est un film à message, un film qu’il est de bon ton d’avoir vu, un film qu’on ne peut pas ne pas récompenser, voilà pourquoi ! Mais il y a d’autres films moins en vue, moins clinquant, moins star-système, qui mériteraient tout autant d’être primés, d’être portés à la connaissance du public par la publicité qu’offre cette tribune Césariste… Parce qu’il y a des acteurs, des réalisateurs petit budget qui triment dans l’ombre, qu’on ne distribue jamais dans les grandes salles, à qui on ne laisse jamais l’opportunité de faire des entrées ! Non, c’est vous les représentants de cette machinerie industrielle qui dictez les codes du bon goût cinématographique, de ce qu’il faut aller voir, confisquant aux petites gens du Septième Art la possibilité d’un succès public, la seule reconnaissance valable pour un artiste… C’est dégueulasse, cet élitisme ; il est dégueulasse votre putain d’élitisme à deux balles ! Oui, ce soir, vous m’avez érigée au rang de princesse-reine de votre caste, je suis désormais des vôtres, mais je n’en retire aucune fierté. Parce que je suis bien aussi garce que vous d’accepter ce privilège, celui que vous m’accordez d’être accueillie au sein même de votre si détestable famille. Parce qu’à bien y réfléchir, je ne vous en remercie pas…

Tu quittes la scène dans un silence de mort. Aucun applaudissement ne te saluera. Aucun quolibet, aucun sifflet réprobateur non plus. Tu as anesthésié la salle de tes phrases uppercuts, assassines. Tu t’es exclue de toi-même, tu ne seras jamais des leurs…

Bien sûr que sur le fond, tu as raison. Bien sûr que Stephen partage ton opinion sur la flamboyance surfaite de cette Grand-Messe artificialisée. Mais ce n’était ni l’endroit ni le moment propice pour l’exprimer. Et encore moins de cette manière.

Lorsque tu rejoins ton fauteuil pendant que l’orchestre joue un air musical de circonstance pour faire diversion, Crozats te fusille du regard.

Ça y est, t’es contente de toi ? T’es contente de nous avoir tous insultés, d’avoir craché ton venin ?

Tu baisses les yeux, comme une gosse prise en faute par son paternel. Une soudaine prise de conscience : celle de l’impact foudroyant que ton laïus aura. Sur ta carrière et sur celle de ton mentor…

(19) : « J’ai une histoire à raconter /

Parfois ça devient si dur de la cacher correctement /

Je n’étais pas préparée à la chute /

Trop aveugle pour voir l’inscription sur le mur… »

(20) : Live to tell, interprétée par Madonna, est une chanson qu’elle a co-écrite avec Patrick Leonard. Ce titre fait également partie intégrante de la bande originale du film Comme un chien enragé (At close range), réalisé par James Foley et sorti en salle en 1986.

(21) : « Un homme peut dire un millier de mensonges /

J’ai bien appris ma leçon /

J’espère vivre pour raconter /

Le secret que j’ai appris, jusque là /

Il brûlera à l’intérieur de moi… »

(22) : Michel Legrand.

(23) : L’article évoqué est en réalité paru dans le magazine Vanity Fair de mars 2015 et signé Adrien Gombeau, journaliste et critique de cinéma. Si la citation est exacte, ses phrases ne s’enchaînent pas directement ainsi, et elle est de fait tronquée pour des besoins narratifs.

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