OBSESSION

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Ce fut ma première enquête à l'ouverture de l'Agence.

Elle se tenait là, debout, au milieu du parc, le regard vide. Qui était elle ? Que faisait-elle ici ? Perdue dans ses pensées, cherchant les origines de ce vide dans son esprit. Alisson ne savait plus qui elle était. Eoghan se préparait à sortir. Il se regarda une dernière fois dans la glace et se rua vers la porte. Une fois dehors, il s'arrêta un instant et respira un bon coup, heureux du commencement de cette journée. Un rendez-vous important l'attendait. Alisson s'arrêta, une larme coula le long de sa joue. Elle l'essuya, puis regarda sa main. Elle essayait de comprendre d'où lui venait cette émotion. Soudain, une voix résonna dans son dos.

— Vous allez bien, mademoiselle ?

Alisson se retourna. Un bel homme, brun, la quarantaine, se tenait devant elle, la fixant de son regard vert profond. Alisson eut brusquement l'impression de le reconnaître, mais sa mémoire restait bloquée.

— Je ne me souviens de rien. Je ne sais plus qui je suis.

Alisson se sentait rassurée en présence de cet homme, qui semblait représenter le seul lien avec cette vie disparue dans les méandres de son subconscient.

— Je m'appelle Eoghan[1], je peux peut-être vous aider ?

— Comment ? Je me suis réveillée dans ce parc, le néant dans ma tête ! Je n'ai rien dans mes poches, pas de papiers, pas même un indice qui pourrait me rappeler quoi que ce soit.

— Vous devriez visiter la ville, vous y perdre un peu pour voir si certains souvenirs peuvent ressurgir...

— Et si le phénomène persiste... ?

— Je peux me joindre à vous, puis si ça ne vous aide pas à vous souvenir, je vous accompagnerai à l'hôpital, les médecins seront certainement à même de vous porter secours.

Alisson apparut pour la première fois à l'agence, en mars, pour me racontant cette surprenante histoire d'amnésie. Ainsi que sa rencontre avec cet homme, Eoghan. Ils n'avaient pas pu faire grand chose pour elle à l'hôpital. Alisson n'arrivait absolument pas à se souvenir de quoi que ce soit. Son ami ne la quittait plus. Il était amoureux. Au bout de six mois de recherches assidues, mais infructueuses, Alisson m'annonça ses fiançailles. Je n'avais pas réussi à lui rendre son passé, Eoghan lui offrait un avenir.

Un an après, Alisson réapparaissait dans mon agence avec le même scénario. Encore six mois de recherches sans résultat. Puis à nouveau l'annonce des fiançailles. Là je n'attendis pas le troisième remake de ce jeu étrange : je décidai de les filer. J'alternais les planques avec Ren. Au bout d'un an Alisson sonnait à l'agence. J'en déduisis que ces deux-là formaient un couple d'inséparables. Cependant, elle n'avait jamais eu de vie avant Eoghan : qui était elle ? D'où venait-elle ? Je constatai qu’elle perdait ses souvenirs chaque fois qu'elle se séparait de lui. Ren me suggéra que la jeune femme était sans doute une chimère matérialisée à partir de l'imaginaire d'Eoghan. Absurde, mais ça paraissait tomber sous le sens. Nous continuions de les surveiller, perçuadées que nous étions passées à côté d'un élément essentiel.

*

« Alisson Moriarty, jeune journaliste-reporter, originaire d'Edimbourg, chassant le mythe. Elle soupçonne, à Brixton, l'existence d'une organisation aux activités paranormales, que l'on nommerait le W. District. Disparue dans d'étranges circonstances, on retrouva son calepin posé sur le rebord d'un pont, à Glasgow. »

Archives de Glasgow.

*

Le weird total. Mais le plus dingue, c'est que lorsque j’ai cherché son extrait d'acte de naissance, je n’ai rien trouvé. Alisson n'a jamais existé. Entre temps j'avais d'autres enquêtes, d'autres énigmes de fous furieux à résoudre. En comparaison, cette histoire était la plus abracadabrante ! Même à Malte, c'était cohérent ! Faudrait m'expliquer : une femme qui existe et n'existe pas en même temps. Alors, à moins qu'elle ne vienne d'une dimension parallèle, que le passage entre les deux mondes l'ai rendu amnésique - jusqu'ici, c'est assez logique, me dirait Félicia - et que par le plus bizarre des phénomènes bizarres, tout ce qu'elle construirait dans ce monde s'effacerait chaque fois qu'elle déciderait de passer à autre chose... Je reconnais que ça tiendrait la route dans un roman de science fiction. Mais, bon sang, pas dans la réalité ! Pas dans notre monde ! Enfin je m'engage un peu vite à plaider la normalité de « notre monde ». Quelque part, l'Agence W. je l'ai créée pour prouver que tous ces phénomènes bizarres, c'est de la foutaise et que derrière tout ce bazar, il y a toujours un quidame qui tire les ficelles.

Étrange ce « W. » en commun entre W. Agency et W. District.

C'était marrant au début. Je reconnais que ça me manque un peu, parce qu'avec BlackHole je suis embourbée jusqu'au cou, dans la dure réalité du flic qui pourchasse sa bête noire de psychopathe ! Tout ceci commence à prendre un goût de rance.

Alisson ne revint plus. Finis les rendez-vous du mois de mars, où une jeune inconnue entrait dans mon bureau, m'annonçant ne pas savoir qui elle était. Trois jours, plus tard je retrouvais l'écharpe d'Eoghan posée sur le rebord d'un pont de Londres. Drôle de souvenir pour une première enquête dans la capitale de tous les possibles.

Y aurait-il un vortex caché dans la Tamise ?...

*

[1] Eoghan, prénom irlandais, se prononce Owen.

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