A la faveur d’un faible courant porteur et quelques végétaux touffus Sam épiait. Il s’agissait là de l’une des activités qui rythmait sa vie récente. Il aurait bien aimé patauger dans la marre dans l’insouciance qu’appelle son jeune âge. Il aurait pleurniché. Puis sa mère l’aurait mouché avant de le doucher. Mais ainsi allait la vie dans la culture pélagique. Être livré à soi-même et à ses prédateurs à la naissance était loi de talmud. Baptême de feu, baptême de gueules. Tu survis dans le récif, ou tu finis dans un gésier captif.

Le petit trainait ainsi sa pathétique misère lesté par le poids d’une poche ventrale plus grosse que sa propre caboche. De loin, on aurait dit un poisson en gestation pour autrui. Enfin, c’est ce que pensaient les chités du coin. En vrai, c’était sa réserve lipidique. Seul lègue jugé utile par ses géniteurs pour l’en doter. Sam scruta son excroissance vascularisée qui fondait au fil des heures. Bientôt, il devra trouver pitance. Je suis trop jeune pour expier des péchés par un jeûn.

Petit Sam ne comprenait pas ce destin fluet qu’on a bien voulu lui octroyer. Il se mit à rêvasser d’un monde différent. Au monde investit par les géants de l’agroalimentaire. Dans quelques décennies, les poissons ne seront plus piscivores. Pour nourrire leur impressionnant frai, la ménagère poisson et l’hippocampe mâle, se procureront des barquettes d’algues et des poudres de protéines terrestre aux rayons de l’hydrormarché. Les considérations physiques et les besoins alimentaires primaires céderont le pas à des préoccupations intellectuelles puis spirituelles. Si les additifs et les perturbateurs endocriniens en sont le prix et bien soit ! Gros poissons et blanchailles se retrouveront dans des hémicycles pour débattre de philosophie, d’art pélagique et d’éthique océanique voir de questions inter-genre marines. Les requins garderaient leur triple rangées dentaires comme une parure en carat. Et les rascasses conserveraient leurs épines vénéneuses comme un apparat. Nul, aurait l'idée de faire des alevins, qui frétilleraient entre les sièges, un encas d'entre deux consultations océaniques.

Sam rêvassait. Dans ce monde ichtyosique enfin sophistiqué, il aurait connu ses parents, ses frangins, la satiété, la quiétude de l’enfance, les affres de l’adolescence et l’inquiétude de la vie adulte. En pleine utopique, Sam leva la tête. Une cavité coiffant une silhouette en obus piquait droit vers lui. L’ombre du corps assaillant sur le sable grandissait à mesure qu’une denture fonçait l’accueillir.

Toujours dans le coin, trois alevins, à peine nés, quelque peu amochés, nageaient de travers et sentaient le chite à pleines branchies. Ils eurent le temps de filer dans une crevasse finir le mégot qui n’avait pas encore grillé leurs reflexes.

Sam, la graine de sésame, à peine réveillé de ses élucubrations existentielles compris que le minuscule être transparent et difforme qu’il était, était la proie. Lui, qui ne pensait même pas s’enorgueillir de rassasier un fretin. Lui, le simple alevin. Son heure de gloire vint ponctuer sa vie brève de sa tragique fin.