Du cauchemar au rêve.

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Chaque nuit, Karin rêvait de la maison aux secrets. Chaque nuit, ce cauchemar la terrorisait.

La maison aux secrets était abandonnée mais, étrangement, rien ne pouvait le laisser penser tant elle était encore en bon état. C'était peut-être pour cette raison que tout le village se posait maintes et maintes questions. Les voisins n'avaient jamais vu personne y rentrer ou en sortir et pourtant, l'herbe était toujours coupée, aucune trace de rouille n'apparaissait sur le grand portail en fer forgé, les fleurs se portaient parfaitement bien, la boîte aux lettres était toujours vidée malgré le passage quotidien du facteur et, de l'extérieur, les murs n'étaient tachés d'aucune trace de moisissure ou de vieillissement.

Depuis une semaine, les ados tournaient autour de la vieille demeure abandonnée. Les moniteurs de la colonie ne soupçonnaient rien, et comme c'était le dernier jour des vacances, la journée était libre.
Karin, la plus curieuse, menait la petite troupe. Elle vivait à New york, ses parents avaient beaucoup d'argent, sans doute trop. Karin faisait ce qu'elle voulait et son désir de partir en colonie de vacances n'avait pas posé problème : c'étaient des vacances bon marché et la richesse n'exclut pas la pingrerie !

Karin essaya toutes les portes de la maison hantée : elles étaient fermées à clef.
Seule une porte s'ouvrit. Tous reculèrent, sauf Karin.
Elle entra, et dès le seuil franchi, la porte se referma. Ses camarades étaient de l'autre côté. Karin décida d'avancer dans le couloir.

Inquiète, elle ferma les yeux, et, quand elle les rouvrit, elle vit... un chat !
Interloquée, elle dit :

- Qui es-tu ?
- je suis un chat
- Le chat d'Alice ?
- T'appelles-tu Alice ?
- Non Karin !
- Moi je suis le chat du philosophe.
- Je ne comprends pas.

Le chat ferma les yeux, il se mit à psalmodier en ronronnant :

"Je me présente, je suis le chat, oui c’est cela le chat timide, le shy cat.
Je vous parle, je miaule, je fais des pitreries, depuis des années et je ne me suis jamais présenté !

Quel étourdi, quel étourdi !
Mon maître est philosophe, il s’interroge sur le sens d’une présence, il essaye de vous guider vers le bonheur.

Et moi ?
Moi, j’écris des poèmes, de folles histoires, des philofictions.
Bref, comme tout chat qui se respecte, je m’amuse.

Parfois même, je réfléchis.
Que voulez-vous, être le chat du philosophe demande bien quelques sacrifices .
Mais c’est une bonne place : n’essayez pas de la prendre ou je sors mes griffes !

Je vous laisse, mon maître m’attend.
Et je me tais : il serait fâché, car il est convaincu que les animaux ne peuvent pas parler !
Ne me plaignez pas : rien n’est plus doux que les caresses d’un philosophe..."

Karin demanda :

- Verrai-je ce philosophe ?
- Tu verras son chat.
- Qui suis-je ?
- Tu commences à poser les bonnes questions, mais fais attention à la machine !
- Quelle machine ?

Le chat disparut et elle entendit le bruit d'une machine.

L’étroit couloir qui menait vers la machine se tenait devant elle.
Elle s’apprêta à affronter la machine. Dans son esprit une étrange et baroque tuyauterie steampunk se transformait en un hideux dragon...

Elle se retrouva dans un intérieur « cosy », à la suédoise.Vaguement rassurée, Karin s’assit sur le canapé, cherchant désespérément des yeux la machine.
Un hologramme se mit en place, et Karin eut le souffle coupé : une superbe jeune femme la regardait.

Une voix, légèrement synthétique l’accueillit : " Bonjour Karin, je t’attendais."
Karin sursauta : une Intelligence Artificielle !
On avait eu raison de la mettre en garde.
La machine reprit :

- Tu sembles troublée ?
- On m’a dit...
- De te méfier de moi. Qui ?
- Le chat.
- Celui qui se prend pour Merlin ?

La machine éclata de rire. Ce rire avait une pointe de cruauté qui déplut à Karin.
Elle cligna des yeux.
La machine reprit d’une voix un peu plus métallique :

- Désolé, ici ,il n’y a pas de magie, juste de la technique.
- Le chat m’a dit que...
- « Le chat m’a dit que ! » Mais ton chat est un fieffé menteur, un maître de l’illusion.
- Il ne fait que mentir ?
- Non l’illusion c’est un mensonge qui repose sur le désir.
- Quel désir ?
- Ton désir d’aventure et de mystère : Merlin, Mademoiselle K et tout le reste.
- Mais où est la vérité ?
- Tu commences à poser les bonnes questions...

Curieuse, Karin continua son chemin. elle entra dans une chambre.
Personne ne venait l'accueillir : pas de combat à mener, cela, aussi, était rassurant.

Par la fenêtre ouverte, Karin vit la mer. Ce n'était pas l'océan déchaîné du phare, non c'était une étendue marine paisible, lente, lascive.

Elle avait toujours aimé se perdre dans la douceur des flots, et pour la première fois, elle sentit l'angoisse qui la poursuivait depuis le début de cette étrange histoire s'évanouir.

La pièce était couleur pastel, légèrement parfumée. Sur le lit rose pale, il y avait des peluches : des chats, des tigres, des lions, des lynx.

Des posters de félins tapissaient les murs. A n'en pas douter, c'était une chambre d'enfant.

Pourtant le lit était grand, et tous les meubles avaient une taille adulte.
Karin alla vers le miroir et poussa un cri : elle avait des couettes et un corps de petite fille !

Soudain, elle comprit : son désir d'apaisement s'était exaucé. Karin avait retrouvé la douceur de l'enfance.

" Je suis retournée dans mon passé, mais pourquoi ? "
" Pour répondre à la question." Le chat, invisible, lui avait répondu.

Qui suis-je ? Une pensée jaillit : Karin K, double K, Mademoiselle K.
Mais cette réponse contenait trop, ou pas assez, d'éléments.

Elle vit un livre posé à terre, un roman de Jules Verne. Dans ce livre, des petits hommes bougeaient.
Ils prenaient des ciseaux, oui des ciseaux.
Ils découpaient le texte de Verne et s'inventaient de nouvelles histoires. Quand il ont vu Karin, ils ont tout caché, mais elle réussit à récupérer quatre voyages, vraiment, extraordinaires !

1 Voyage décentré

Cependant sauf
Un Islandais de l'abîme
La tête de cône du ciel

S'enfonçait dans l'immensité
Au temps du foyer
Chassait ses vapeurs béantes
Sous le courage

De leur disposition
Gesticulant et lançant
Des morceaux de lave
Évidemment

2 Voyage alternatif

Malgré les pentes
La route
S'échappa des mains d'un Islandais

L'orifice supérieur
Du ciel
S'enfonçait dans l'immensité
Du temps

Ces cheminées
Étaient là
Béantes

Le professeur Lidenbrock lui avait
Lancé
Hans
Assis sur des morceaux de lave

3 Troisième voyage

Voyage
Que le guide
Ne connaissait pas

La route de Cordes
S'échappa des mains d'un Islandais et alla
Singulièrement réduite mais presque parfaite
Au fond du Cratère central

Vapeur rapide
De leur compréhensible
Parole

4 Dernier voyage

La terreQ
Ne connaissait pas
L'abîme

A midi
J'aperçus l'orifice
Parfait

Qui s'enfonçait
Dans trois cheminées
Béantes

Sous
Le professeur Lidenbrock
Lançant
Des morceaux de lave

Elle retourna la feuille A4 et vit un scorpion dessiné. Elle lut une date : 18 novembre 1970, le jour de la naissance de sa mère ?

Soudain l'étrange morceau de papier prit feu : Karin eut juste le temps de le jeter à terre. La feuille n'était plus qu'un tas de cendres, et le dessin d'un scorpion gigantesque volait dans les airs.

Karin poussa un cri, tout disparut. Elle se réveilla devant ses camarades interloqués : elle ne dit pas un mot.
Personne ne croirait que tout cela s'était passé, derrière la porte mystérieuse de la maison aux secrets.

Quand on voulut l'interroger, elle choisit de déclamer d'énigmatiques poèmes :

Portes du passé
peuvent à tout jamais te
libérer te perdre

Je voyage
De l'autre côté
Du miroir
De l'espoir

Je voyage
De l'autre côté
Du parloir
Du trottoir

Je voyage
De l'autre côté
Des sentiments
Troublants

Je voyage
De l'autre côté
Des concepts
Du transept

Je voyage
De l'autre côté
De la musique
De l'ésotérique

Je voyage
De l'autre côté
Du temps
Des amants

Je voyage
De l'autre côté
De la rage
Du fossé

Je voyage
De l'autre côté
De la méchanceté
Des nuages

Je voyage
De l'autre côté
De la nuit
De ma vie

Je voyage
De l'autre côté
Et je ne suis pas pressée
D'arriver

Je voyage
De l'autre côté
Et je ne suis pas pressée
D'arriver

Je voyage
De l'autre côté
Et je ne suis pas pressée
D'arriver

Mais ses amis insistaient. Les plus courageux voulaient, eux aussi, explorer la maison, passer de l'autre côté.

Karin, dans son cauchemar, les mettait en garde, mais le scorpion finissait par tous les dévorer.

Mais une nuit elle comprit et le cauchemar devint rêve.

Au milieu du cauchemar, soudain le Scorpion se mit à parler : " Karin, depuis tes années je t'envoie ce cauchemar, qui n'est en réalité qu'un doux rêve.
Oui je suis ta mère, depuis longtemps décédée, oui je suis ton Scorpion, oui je te lisais Verne dans ta chambre d'enfant.
Accepte mon invitation, viens dans ma maison et tu sauras que, même morte, je continue de t'aimer."

Karin se réveilla, émerveillée par ce cauchemar devenu rêve et caressa Merlin, son chat, le dernier cadeau de sa mère...

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