Prologue

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Une, deux, cinq, dix, non. Pas celle-là. Toute crasseuse, en plus elle pue quelque chose qui ressemble franchement à du caca. Qui oserait faire la grosse commission sous la douche ? Le monde est brute. Non les humains le sont. Je continue mon investigation de la cabine parfaite, sous les effluves de vapeur chaude, des odeurs diverses de shampoings typiquement féminins et de gel douche qui ravissent mon nez. Je souffle, remets en place ma bassine sous mon bras tandis que par-dessus les battants en bois blanc des portes, pendent les habits en sueur, des jeans, des culottes aux couleurs criardes. La plupart des cabines sont occupées en ce jeudi après-midi. Je suis venue un peu trop tard, mais ce n'est pas de ma faute si mon chef au CAP est sadique et terriblement craquant.

Enfin. La délivrance. Je ferme la porte derrière moi. La cabine est un peu étroite, juste assez pour mettre des affaires. Il y'a un receveur de douche blanc que tapissent des tâches de peinture bleu nuit. La cité universitaire n'a pas été proprement peaufinée puisque les travaux n'étaient pas terminés que déjà la rentrée scolaire était arrivée. Alors les derniers trucs furent encore plus bâclés que d'habitude. Je règle l'eau chaude à une température tiède puis me déshabille et jette mes habits de sortie dans ma bassine. Ma culotte en dentelle noire a néanmoins le mérite d'être très attirante, me dis-je en pensant aux culottes des autres qui pendent encore dehors.

Mes cheveux sont un peu graisseux. J'espère qu'il ne les a pas remarqués. Je sors mon shampoing à l'huile d'amande, et commence à me laver la tignasse. L'eau chaude, revigorante roule sur ma chevelure, embrase mes sens, évacue d'un claquement de doigts mon stress et mes tourments. Ce n'est pas que je regrette mon choix d'études, néanmoins l'école nationale polytechnique d'Alger est un peu rude, fait souffrir plus ses étudiants qu'elle ne leur permette d'apprendre. Des filles se mettent à chanter. La dernière chanson en mode de Soolking fait rage dans les douches. Je m'attaque à mon corps que je savonne un peu partout, tout en me mouvant au rythme de leurs chants. C'est presque divin.

Mon ventre gargouille à plusieurs reprises. Je n'ai rien mangé à part un petit croissant tout à l'heure lors de la réunion avec tous les autres membres du club de l'école. J'ai très faim, mais je ne me dépêche aucunement, je continue de me laver sous le jet d'eau brûlante à présent. Mon corps nu fume, se consume, se laisser aller un instant, flanche et tout un coup ma vue se brouille, un noir compact, épais s'impose comme un rideau sur mes yeux. Mon coeur bat la chamade, je m'adosse au mur par peur de tomber et tout doucement, ma vue se clarifie, la lumière revient éclairer mes rétines temporellement aveuglées. Je me sens faible, toute légère et à la fois lourde. Que m'arrive-t-il ? Je ne comprends pas.

Toujours contre le mur, nue comme un ver, la peau probablement toute rouge, j'essaie de respirer, la vapeur ne m'aidant pas, je tends alors une main tremblante vers le robinet pour arrêter l'écoulement de l'eau bouillante. À mi-chemin, j'ai un haut-le-cœur qui me fait cabrer. Je tousse gravement, mais rien ne sort. Je me sens faible, je n'ai plus assez de force pour me tenir debout. Mon corps glisse alors sur le sol mouillé, le long du mur rêche, s'étale, ma tête flanche sur mes épaules. Est-ce une inanition ou un manque d'oxygène ? Mon cerveau ne marche plus, ne raisonne plus, mes yeux se font lourds, se ferment, s'ouvrent par pure volonté de rester éveillée. Mais le malaise vient. Je n'ai pas envie de m'évanouir ici toute seule, je n'ai…

" Shéhérazade ? Shéhérazade ! "

Je sens le sol froid me brûler le dos, ma tête me fait terriblement mal. J'entrouverre les yeux, essayant vainement d'y voir quelque chose, je n'y arrive pas, ma respiration est lourde et saccadée, j'ai une envie irrépressible de dégobiller mes entrailles vides. Je tousse, j'ai chaud, j'ai froid, une brise de vent s'étale le long de mon corps. D'où vient-elle ? Où suis-je ?

" Shéhérazade ? Est-ce toi ? "

Non, réussis-je à articuler à une voix d'homme qui semble venir du lointain, comme derrière un rideau, à la fois proche et loin. Un bruissement spectaculaire de vent fait trembler l'arrosoir, l'eau s'étant soudainement arrêtée de couler, puis à mon oreille un sifflement aigu, très aigu qui m'assourdit. Et brutalement, rien. Le calme revient alors que je suis encore allongée sur le sol, l'eau s'écoule à nouveau, chaude et bienveillante. J'ouvre les yeux difficilement, et me redresse. Mon occiput est horriblement douloureux car je me l'étais certainement cogné contre le carrelage dur lorsque je me suis évanouie. Que s'était-il passé, mon dieu ?

Puisant au fond de moi une énergie inexistante, je réussis néanmoins à me mettre debout, mes yeux sont encore flétris, piquent désagréablement, je tremble de froid et surtout de peur. Rapidement, je m'habille, range mes affaires, coiffe mes cheveux mouillés en un chignon approximatif. Je sors. La douche est presque vide. Combien de temps m'étais-je évanouie ? Aucune idée. Dehors, le soleil s'est couché. J'accélère la cadence de mes pas bien que je suis complètement fatiguée tout en évitant de regarder les filles que je rencontre sur mon chemin. J'ai peur. Ce n'est pas tant que ça le malaise qui m'a chamboulée ni la voix d'homme bizarre qui m'a nommée Shéhérazade.

La seule chose dont j'ai peur c'est le sifflement, puis cette nouvelle voix qui, avant que tout ne se calme, a susurré à mon oreille. Une voix qui ne ressemblait aucunement à celle de l'homme, une voix funambule, était-ce déjà une voix ? Non. Plutôt un bruit tranchant, grave, brutal, comme le son d'une tronçonneuse ou le croassement d'un corbeau. Horrible. D'outre-tombe. Horrifique. Ses paroles s'entrechoquent encore contre les parois de mon cerveau. Je ne les comprends pas.

Bientôt tu seras mienne.

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