L'affaire Carpenter : Défis

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Je tape mon choix sur le clavier de la console. Les lettres s'affichent en bas de l'écran, en grosses lettres vertes.

BLEU

- Vous avez dit que ça serait plus corsé non ? C'est pas avec un bête acronyme que je vais mettre ma vie en danger. "Bureau à L'Élargissement Urbain", rien de bien sorcier à deviner. Je choisis la seringue bleue.

Ladite seringue se trouve à vingt centimètres au niveau de ma joue. C'est la seule à contenir un liquide bleu phosphorescent. J'attends encore quelques secondes, sûr de moi. Puis le bras mécanique se rétracte pour retourner de là d'où il est venu dans un chuintement froid. J'affiche un sourire niais. Aucune réponse. Aurais-je réussi à le vexer ? Pas le temps de me reposer sur mes lauriers, le prochain texte apparaît.


Trois jours. Trois longs jours que je poirote et je commence à perdre espoir. Le directoire refuse tous mes projets. Ils veulent une ville plus tournée vers leurs intérêts que vers le progrès. "Une ville verte ? Quelle horreur ! Vous ne pouvez y songer." "Si vous êtes directeur du BLEU, c'est pour vos recherches en l’ergonomie." 

Ils s'en fichent d'une belle ville et surtout d'une ville qui comble elle-même ses besoins en énergie. Non ! Eux ce qu'ils veulent, c'est empiler le plus de personnes sur un minimum de terres. "Toujours est-il que vous devrez respecter les règles d'hygiène bien entendu, inutile de cirer les pompes du Dominion, contentez-vous du strict minimum. Nous invoquerons notre joker « crise économique », les temps sont durs..." Hormis pour vous ! Ils torpillent mon projet et ils sont sûrs de s'en tirer sur un tout petit coup sur les doigts de rien du tout. Je ne trouve plus le temps de rentrer chez moi, de voir mon petit bout de chou. Mon monde comprend mon lit, l'entreprise et cette console où j'écris pour tuer le temps. Je m'impose de petits défis de temps en temps pour rester concentré. L'écriture me détend.


Cette fois, je me sens bien moins confiant. La réponse est loin de me sauter au visage comme pour le texte précédent. Je réfléchis et relis plusieurs fois. Je fronce les sourcils. Décidément, je ne vois pas le lien avec l'une des seringues.

- Vous donnez votre langue au chat inspecteur ?

- J'essaie de me concentrer.

- Prenez votre temps, vous en avez beaucoup cette fois. Mais ne le gâchez pas.

Je l'ignore et tourne mon attention vers les seringues. Si elles ont toutes un signe distinctif, je n'ai qu'à faire le rapprochement avec le texte. Voyons voir : la plus proche de moi contient une substance translucide semblable à de la colle, la suivante est graduée et remplie d'un liquide orange, la troisième est remplie à moitié avec un fluide vert foncé et la dernière porte une étiquette où est scotchée la mise en garde : "poisons mortels ne pas avaler". Charmant ! Mais je ne suis pas plus avancé. Je décide de procédé par élimination en relisant encore une fois le texte à voix haute. Aucun rapport avec la première, il n'est fait mention nulle part de "transparence". Pareil pour la deuxième, aucune graduation ni indice sur la couleur orange. Reste le poison et la demie seringue... 

Merde ! Il n'y a aucun rapport ! Soit Thot se fout de moi, soit j'ai manqué quelque chose... "manqué". Ce mot titille le fond de ma pensée. Je relis de nouveau en articulant chaque syllabe. Et la la lumière se fait dans mon esprit. Il manque de "a" ! Ce texte est écrit sans aucun "a". L'auteur dit qu'il aimait se lancer des défis, ça en faisait peut-être partie ? 

J'ai fait mon choix. Je tape :

MANQUE

Je jette un coup d’œil en direction de la demie seringue. Son aiguille acérée pointe en plein sur mon cou. La pointe effilée tremble légèrement. J'ai un petit sursaut, elle ne s'est pas rapprochée depuis tout à l'heure ? Je la voyais plus loin.

- Edouard... Vous me surprenez !   

La seringue recule, se replie dans le bras mécanique et disparaît dans le plafond. Le troisième texte s'écrit sur l'écran.

bip bip bip  

Les lettres apparaissent une à une.


Ils ont piétiné mes rêves et mes convictions. Ils m'ont obligé à pervertir mon oeuvre une fois de plus. Penser au profit, toujours au profit. "Rajoutez-y une grande surface. Ne vous en faites pas il n'y a jamais assez de magasins dans une ville, ils adoreront ça !". Surtout quand les dits magasins sont les vôtres ! J'ai donc fait le nécessaire, je me suis plié à leurs exigences. Ce n'est pas le genre de personne que l'on peut contrarier, d'autant plus que j'ai été assez bête pour accepter une avance contenant plus de zéros que pi a de décimales. Que j'ai bien entendu dépensé. MA ville est devenu le paradis de la consommation qu'il ont toujours voulu. Ça du profit, ils en auront. Ils m'ont même félicité et m'ont, comme promis, grassement payé. Ce monstre de béton et d'acier que j'ai créé est en construction en banlieue de la ville. "Eden, le paradis résidentiel !" comme le scande les panneaux publicitaires et la TV. J'ai beau avoir obtenu suffisamment pour faire le bonheur de ma famille, j'ai comme un goût amer au fond de la gorge et je fais de plus en plus de crises d'angoisse. Il va falloir que j'augmente ma dose de calmants.     


À SUIVRE 

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