Koala

6 minutes de lecture

Quelque part à Las Vegas

Samedi 16 mai

La femme conduisit la belle voiture de sport dans un quartier désert et l'y abandonna sans aucune cérémonie. Une fois garée, elle se dévêtit prestement et enfila un t-shirt noir et un jogging. D'un geste brusque, elle souleva sa perruque de cheveux blond et extirpa d'un grand sac de sport une perruque aux cheveux noirs courts, à la garçonne. D'un mouvement habile, elle ota le maquillage attayant, dernière trace de son début de soirée et recouvrir son teint d'une poudre sombre. Touche final, des lentilles d'un turquoise intense. A défaut d'une longue vie, sa prochaine cible partirait avec l'image d'incroyable yeux de la couleur de la mer des caraïbes. Comme un avant goût de vacances, pensa-t-elle. Elle récupéra une vieille moto dissimulée sous une bâche. En un instant, elle avait quitté les lieux. Son otage n'allait pas l'attendre indéfiniment...

En une demi-heure, elle avait rejoint l'entrepôt désaffecté où elle avait laissé son second contrat de la soirée. Evidemment, c'était risqué de ne pas tuer une cible immédiatement. Mais aujourd'hui, n'est-ce pas ce qui la faisait vibrer ?

Elle se glissa dans le bâtiment désert. Au fur et à mesure qu'elle approchait de la salle où elle avait laissé le malheureux, elle percevait des bruits étouffés. Ainsi, sa cible s'était réveillé. Tant pis pour lui, il serait pleinement conscient de son départ pour le grand voyage. Elle entra dans la pièce qui était fermée par une large porte en métal. Le jeune homme était assis sur une chaise en bois, solidement ficelé. Evidemment, il avait tenté de se défaire de ses liens et la chaise avait basculé. Il était maintenant dans une position ridicule, les fesses en l'air, maintenues collé à l'assise de la chaise, et la face écrasée contre le béton. Elle soupira puis, avec une force surprenante, d'une seule main, elle remit le malheureux debout. Puisqu'il s'était réveillé, elle ne pouvait prononcer un mot. Il n'aurait pas d'explications sur les raisons de sa mort. Elle se plaça d'abord face à lui, plongea son regard dans le sien. Derrière la terreur qu'elle lisait dans les yeux noisettes du condamné, elle devait reconnaitre qu'il était joli garçon. C'était presque dommage de le faire disparaître...

Soudain, elle entendit un bruit dans le couloir suivi d'un gromèlement. Elle n'était pas seule ! Comment avez-elle pu être suivi ? Ou alors,était-ce un hasard ? un rodeur ? un drogué en quête d'un abri pour la nuit ? Non, maintenant qu'elle y était attentive, il y avait des bruisements. Comme pour confirmer ses soupçons, la montre à son poignet vibra, d'un coup d'oeil elle lut : "RUN". Court. Cette fois, pas de Babe, pas de blague... Qui que soit ceux qui étaient dans le bâtiement avec elle, ils n'étaient pas là par hasard et ce n'était pas des copains de Al. Sans perdre un instant, elle passa derrière sa cible, d'un geste vif et précis, lui brisa les cervicales dans un craquement bref et sinistre. La tête retomba mollement sur les épaules du corps sans vie. Elle monta sur les genoux du macabé et souleva une des dalles qui constituaient le plafond. Au moment où elle se hissait dans l'espace réduit, la porte de métal fermant la salle s'ouvrit à la volée. Trois hommes firent irruption, casqués, gilets par balle et armes à feu aux poings.

- Police, arrêtez-vous !" annonça le plus haut gradé, après un rapide coup d'oeil à la scène.

La tueuse ne ralentit pas ses gestes et disparue dans le faux plafond.

- Arrêtez-vous ou je tire !" reprit l'homme d'une voix forte.

Les déplacements de la femme indiquaient qu'elle ne comptait pas obtempérer. Soudain, plusieurs déflagrations la firent sursauter. Il avait tiré ? A l'aveuglette dans le faux plafond ? Alors qu'il n'était pas en état de légitime défense ? Voilà qui n'était pas très propre... Mais l'éthique du policier était loin d'être sa principale priorité. L'une des balles lui avait percuté la cuisse, le filet de sang qui s'en échappait n'était pas de bonne augure.Elle serra les dents, pas un bruit ne devait franchir ses lèvres. Elle continua de ramper mettant le plus de distance entre elle et ses poursuivants. Elle connaissait le plan détaillé de la structure, toutes les issues lui étaient familières. Elle pouvait les prendre de vitesse. Derrière elle, elle entendit l'homme aboyait des ordres.

- Occupes-toi du mort. Unité 1 en position aux issues. Unité 2, avancez au deuxième. La 3, sur le toit. Toi, tu viens avec moi, on va l'avoir.

"Rêve toujours lourdaud" pensa la tueuse à gage. Elle atteignit rapidement le dessus d'un couloir, s'y laissa tomber en tentant d'épargner sa cuisse. Face à elle, le tiroir du vide ordure, elle s'y glissa et se laissa choire jusqu'au sous-sol. Puis elle prit la direction de la cour arrière, espèrant pouvoir s'y glisser avant l'arrivée des renforts. Elle avait pris soins de briser les lampadaires donnant sur l'arrière du bâtiment avant la mission. La cour serait donc totalement plongée dans l'obscurité. Elle ne pourrait pas être détecter. Elle pourrait ainsi rejoindre la planque secondaire, celle où Al lui aurait prévu un échapatoire. Des bruits de cavalcades se firent entendre, étonnament proches. Elle n'aurait pas le temps d'atteindre la cour. Elle bifurqua et s'introduisit dans la chaufferie. La pièce était plongée dans l'obscurité et la lumière principale ne marchait plus depuis belle lurette. Une énorme chaudière était présente, agrémentée d'imposants conteneurs de fuel, de multiples tuyaux de différents calibres serpentaient dans toute la pièce pour aller se distribuer dans les étages supérieurs. Elle rassembla ses forces, repoussa une nouvelle fois les vagues de douleurs qui irradiaient de sa cuisse. Elle se hissa le long d'un tuyau et s'y trouva surpendu tel un koala. Elle patienta, parfaitement immobile. Au bout d'un minute, la porte de la chaufferie s'ouvrit, l'homme qui lui avait tiré dessus et un de ses acolytes entrèrent. Ils portèrent leurs regards autour d'eux, faisant danser les faisceaux lumineux de leurs lampes torches. Plusieurs fois son emplacement fut balayé. Par chance, ou plutôt par talent selon elle, la tueuse était placée de tel sorte qu'elle était quasi invisible depuis leur point de vu. Pourvu qu'ils ne remarquent pas les gouttes de sang qui s'écoulaient le long de sa jambe et qui allaient s'écraser au sol. Elle avait l'impression que le choc du sang sur le béton résonnait comme des cloches dans une église vide de sermonts.

- Raaaah ! On va la perdre. Elle a du nous distancer. Elle est sûrement déjà dehors ! Dépêches-toi !

Une fois, les deux hommes à bonne distance, elle attendit encore de longues minutes. Au bout d'un long moment, elle entendit des sirènes retentir, des pneux crisser. Soit ils étendaient leur recherche, soit Al avait lancé un lièvre après lequel ils étaient prêt à courir. Elle se détendit légèrement, et se laissa retomber au sol. Elle gagna précautionneusement la cour, longea le mur puis profita d'une brèche dans le grillage pour quitter l'espace de l'entrepôt. Elle claudiqua jusqu'à une ruelle, où elle trouva un vieux caddie. Dessus était accrochée une rose aux pétales rouges sang.

- C'est tout ! Al, tu vas me le payer..." grimaça la femme en s'emparant des vêtements poisseux qui trônaient dans le caddie.

Elle enfila sa tenue de mendiante, passa la perruque de cheveux gris hirsute et le dentier mettant en avant une dentition à l'hygiène plus que douteuse. Elle partit le dos voûté, n'ayant pas besoin de simuler une claudication, poussant son chariot devant elle. Deux rues plus loin, elle fût interpellée par un voiture de police en patrouille, sûrement étaient-ils encore quelques minutes plus tôt dans le bâtiment désaffecté à lui courir après. 

- Qu'est-ce que vous faites là à cette heure, madame ?" demanda l'un des policiers d'un air suspicieux.

Ignorant la goutte de sueur qui perlait dans son dos, adoptant une voix rauque comme si elle avait fumé l'équivalent de la production annuelle de tabac du Brésil, elle déclara :

- Je change de quartier, il y a trop de barouf pour mes vieilles oreilles. Pourriez me prendre en voiture pour me déposer quartier Nord p-être ?

- Hum... Désolé Madame, nous sommes en mission, on ne peut pas vous emmener. Soyez prudente sur la route.

Elle remercia mentalement Al d'avoir jouer le jeu de la mendiante à fond, jusqu'au fumé malodorant des vêtements qui n'étaient sûrement pas étrangers aux réticences du policier à l'accompagner. Elle reprit sa route, veillant à ne pas accélérer. Comme si sa hanche lui aurait permit un sprint de toute façon...

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