Hérisson

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Helsinki, Finland

Mercredi 26 mars

  Au sein de la maison de retraite de Munnkiniemi, s'était constitué toute une communauté bien hiérarchisée. Bien sûr, la moyenne d'âge de la population n'était plus de première fraicheur. Et pourtant, comme du temps du lycée, les bandes étaient bien définies et le passage d'une classe à une autre n'était pas chose aisée. Il y avait d'abord, catégorie bien reconnaissable et à éviter : les losers. Ces petits papis, mamies qui ne créaient rien de particulier, sans passion et qui n'avaient rien accomplis de notable aux yeux de leurs pairs. On retrouvait aussi les loups solitaires : des personnes acariatres, peu locace, qui préféraient rester seuls dans leur chambre plutôt que de se méler à la populace. Malheur à celui qui tentait de leur apporter un peu de gaité et chaleur humaine; il prenait vite ses jambes à son cou sous un torrent de sobriquets bien désagréables. Pour ceux, qui ne couraient pas assez vite, un coup de canne n'était pas à exclure. Ensuite, ceux qui avait "de l'eau dans la cafetière" comme les appeler leurs pairs : ceux dont les pensées filaient comme le vent, qui déjà n'était plus vraiment là, le regard vers les étoiles, écoutant les anges. Dans ce dernier groupe, on y entrait sans le vouloir, sans vraiment le savoir. Evidemment, on retrouvait aussi le gang des populaires : ceux ci étaient les coqueluches de la maison de retraite, appréciés des soignants, bien conservés, polis, propres sur eux, ceux-là n'étaient jamais oubliés. Les afres de la vieillesse les épargnaient encore, pas de couches, pas de problèmes de dentiers. Parmi les autres résidents, il était un groupe assez spécifique, chacun avait appris à les nommer "Les mémés tricots". Ce groupe de six mamies semblaient inséparables. Réglées comme des horloges, elles se retrouvaient tous les mercredis pour s'adonner à leurs passe-temps préférés : le tricot. Chose étonnante dans cette petite communauté, c'est qu'il semblait dépasser tous les autres groupes. Ainsi, Jackie faisait partie des solitaires, elle ne parlait jamais pendant qu'elle tricotait et ne communiquait jamais avec les autres entre les séances. Michelle venait des populaires, ses belles boucles d'un blond délavé trésautaient à chaque maille achevée. Francine n'avait plus toute sa tête, elle faisait une écharpe sans fin pour protéger les lutins du froid. Georgette et Dominique étaient joviales et faisaient aussi partie du groupe du loto du vendredi. Patricia avait eu toutes les peines à braver sa timidité, venant des losers, elle pensait n'avoir rien à apporter. Pourtant, elle se découvrir un talent à manier l'aiguille qui lui offrit cette belle promotion sociale. Enfin, dernière arrivée, Henriette, celle-ci n'avait pas d'autre étiquette. Elle venait d'arriver à la maison de retraite. Elle parlait, était très ralentie et bavait même un peu. Selon ce que Georgette avait surpris des discussions entre les soignants, c'était son fils qui l'avait placé là. De l'avis de Georgette, la petite Henriette était une bonne candidate pour les cafetières ébréchées.

 C'était un de ces mercredis après-midis, comme tous les autres. Les mémés tricots étaient réunis dans la salle d'activité qui leur étaient dédiées. Un soignant passait de temps en temps vérifier qu'elles n'avaient besoin de rien. Quelques tasses de thé et les mémés étaient comblées. Les habitudes étaient bien huilées tout au long de l'activité. Georgette apportait à chacune les couleurs qu'elles souhaitaient tandis que Dominique faisait la conversation. Michelle avait toujours les bonnes idées et savaient très bien complimenter les productions de ses camarades. A la fin de l'activité, un aide-soignant raccompagnait Francine qui avait tendance à crier si personne ne lui racontait une histoire pour retrouver la sérénité de sa chambre. Les autres quittaient les lieux ensemble ou séparées. Jackie était toujours la dernière, elle prenait soin de ranger les pelotes de laine, bien les aligner et plier les plaids dont chacune s'enveloppait. Quand à Henriette, elle patientait, assise sur son fauteuil, comme figée avec ses aiguilles, caressant la laine. Personne n'était à proximité. Au loin, on entendait les cris de Francine qui n'avait pas l'air d'apprécier l'histoire du jour. Jackie faisait le tour de la pièce pour récupérer toutes les aiguilles, elle s'approche d'Henriette. Cette dernière resta complètement immobile, indifférente à la femme au dos vouté et à l'air taciturne qui s'approchait d'elle. Soudain, alors que Jackie se penchait vers elle pour lui prendre délicatement les aiguilles des mains, Henriette s'anima. Tel un cobra, elle jaillit et planta une aiguille dans la jugulaire de Jackie. La vieille femme réagit de manière surprenante, l'instant de surprise fût plus que fugace. Elle riposta avant de s'effondrer, enfonçant une de ses propres aiguilles dans l'épaule de son assaillante. Henriette étouffa un cri et maintient son appuie, attendant que Jackie s'étouffe dans son propre sang. Déposant sa rivale au sol, elle s'assura de sa mort, puis arracha d'un geste ferme l'aiguille plantée dans son bras. La plaie saignée abondamment. Henriette se releva avec prestance, le port de tête haut, elle n'avait plus rien d'une petite vieille. Elle ota son châle, et en récupéra la broche. Elle s'approcha de la fenêtre, dessinant une piste de sang. Lorsqu'elle s'en aperçut, elle enroula et serra fermement son châle autour de son épaule, stoppant l'hémorragie. De geste habile et rapide, elle crocheta la serrure de la fenêtre. Ingénieux système de sécurité qui avait été mis en place pour éviter au résident de s'échapper de leur prison dorée.Elle ouvrit la fenêtre, au rez-de-chaussée, il ne suffit que d'enjamber le rebord. Elle longea le bâtiment, profitant de son ombre. Lorsqu'elle eu rejoint l'allée principale, elle s'avanca avec calme et assurance. Elle put passer devant les gardes et leur adressa même un sourire charmant. La femme disparue dans les rues d'Helsinki, elle ne tarderait pas à prendre un vol pour quitter le pays. En attendant, elle se maudissait de son erreur, elle ne s'était pas assez méfier des réflexes surprenants d'une petite vieille.

Maintenant, ils avaient son ADN...

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