Une histoire s'avérant saugrenue

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Dans une dimension parallèle (je trouve les dimensions parallèles bien commodes pour décrire un monde comme le nôtre sans avoir à m'emmêler dans des explications compliquées et inutiles) vivait notre bon ami Jean-Jacques, enfin le mien tout du moins. Si vous ne l'appréciez pas, ben je m'en fiche. Après tout il s'agit de mon personnage, et vous n'avez pas idée du temps qu'il faut pour en créer un ! Cela demande de l'implication, de la créativité, de l'émotion, de...

Bon en vrai je blague il m'a pas fallu une minute pour créer Jean-Jacques. Mais bon, un peu de respect quand même, Jean-Jacques y a droit comme tout le monde. Quels mal élevés vous faites.

Jean-Jacques, homme tranquille et sans défaut assez lourd pour le mentionner, habitait une charmante maisonnette de je ne sais plus quelle ville, mais maintenant que j'y pense au fond son som n'a aucune espèce d'importance alors ne commencez pas à me chercher des poux dans la tête (quelle expression dégoûtante, quand même).

Oui, bon, désolé, je vous ai un peu agressé verbalement, mais ne le prenez pas personnellement. Je n'ai simplement pas l'habitude d'écrire en me passant d'un certain mot super important, super courant et super utilisé. Enfin, une promesse reste une promesse, va falloir vous raconter la vie de Jean-Jacques, maintenant.

La ville (toujours sans nom) de Jean-Jacques n'avait rien pour plaire. Tous ses habitants rataient tout ce qu'ils entreprenaient et Jean-Jacques ne réussissait donc rien dans la vie.

Vous allez me dire qu'on n'en a rien à faire et qu'il n'y pas de quoi en faire une histoire. Et bien si, justement. D'abord parce que vous en lisez une et puis ensuite parce que Jean-Jacques décida un jour que cela ne pouvait plus durer. Du fond de son être, Jean-Jacques se doutait qu'il manquait quelque chose à sa ville, un petit quelque chose auxiliaire qui leur permettrait enfin, à lui et aux autres habitants, de sortir de cet état pathétique.

Il entreprit alors un voyage en tapis sous-marin (oui parce que les tapis volants n'existent pas, tout le monde le sait) acheté au magasin de parpaings de velours de la ville, où vous avez le droit de reprendre du fromage et du dessert, donc je vous le recommande. Après avoir traversé la forêt de stylos aquatiques, Jean-Jacques réalisa en même temps que moi qu'il n'avait absolument aucune idée d'où il devait aller. Ni de ce qu'il cherchait, ni de comment il le trouverait, ni de comment toute cette histoire allait finir.

Le truc ballot.

Vous devez sans doute bien vous marrer de ma situation fort délicate. Ce que je trouve horriblement méchant de votre part, d'ailleurs. Me faire ça à moi, votre narrateur. J'utiliserais bien la voix passive pour insister sur le fait que je subis l'action et que je n'ai aucune maîtrise, mais il faut croire que je n'ai même pas droit à un peu de compassion. En fait là je ressemble beaucoup à Jean-Jacques. Sa quête s'avère commune à nous deux, finalement. Courage, Jean-Jacques ! Tu peux compter sur moi. Je nous sauverai !

Bon alors de quelles options dispose-je ? Un adjuvant pour aider Jean-Jacques ? Non, en tant qu'associal Jean-Jacques n'acceptera jamais (comme tout le reste, la vie sociale de Jean-Jacques demeurait un cuisant échec). Un objet magique ? Bof, il faudra le décrire, et mon dénuement verbal imposé m'en empêchera. Un hélicoptère ? Pas question, je hais les hélicoptères.

Et mince que vais-je bien pouvoir faire de cette situation ? Rhaaah ça me gave. Quelle plaie ! Bon, tant pis, je vais directement téléporter Jean-Jacques devant le Grand Manitou des Fers à Repasser. Ouais, je sais, ça manque cruellement de cohérence mais je fais ce que je peux, hein. Et puis que ne ferait-on pas pour retrouver un verbe ?

Mais avec tout ceci, Jean-Jaccques ne pigeait pas grand chose à ce qui lui arrivait, ce qui se comprend, remarquez, surtout que le Grand Manitou des Fers à Repasser apparaissait comme un fer à repasser géant en robe rose à poix roses (ce qui le différencie du Manitou Inférieur des Fers à Repasser qui porte une robe rose à rayures roses) et que je ne sais pas vous, mais en ce qui me concerne moi non plus je capterais que dalle à toute cette pagaille sans nom. Toutefois, Jean-Jacques ne se laissa pas intimider par cette incompréhension profonde et se mit en tête de discuter avec le Grand Manitou.

« Euh, excusez-moi de vous déranger, mais on m'a transporté ici sans que je puisse faire le moindre geste.

- Ce n... Cela ne m'ennuie pas, répondit le Grand Manitou que j'avais mis au courant de la situation quelques secondes plus tôt.

- Oh, cool. Vous pourrez peut-être m'aider... mais comment vous appelez-vous ?

- Je... Ah crotte, Comment dire... Je... Argh ! Je... Oh, et puis zut. J'apparais comme le Grand Manitou des Fers à Repasser.

- Vous "apparaissez comme" ? Drôle de tournure de phrase.

- Ah oui ? Et vous, pouvez-vous me dire ce que vous venez faire ici ?

- Ben en fait je... je...

- Bien fait pour toi. Le passé composé ne marche qu'à moitié ici, pauvre petite créature mortelle »

J'ai oublié de vous dire que les Fers à Repassers jouissent de l'immortalité dans ce monde parallèle.

« Mais comment je vais vous raconter mon voyage, moi alors ? Il faut que j'utilise un temps du passé, mais à cause de je ne sais quel souci, je n'arrive pas à employer un temps composé. Et ma virée n'a pas pris longtemps, donc je ne peux pas me servir non plus de l'imparfait... Que me reste-t-il ?

- Je te laisse deviner.

- Comment ça ? Attendez... Non... On peut pas faire ça, c'est un dialogue ! Pensez aux académiciens ! Ils frémiront ! Ils trembleront d'effroi devant ce blasphème !

- Ils ne subissent pas notre manque. Et ici le chef c'... le chef s'incarne en moi. Fais-le ! tonna le Grand Fer à Repasser d'une voix grave.

Quoi ? Vous vous attendiez à une voix nasillarde ? On parle d'un Grand Manitou, là, pas d'une poupée en acier trempé ou d'une fleur en polystyrène ! Enfin, euh... Et si je faisais diversion en vous montrant comme Jean-Jacques paniquait et transpirait de sueur (bam dans vos têtes le pléonasme, je fais ce que je veux je demeure un thug).

« Eh bien ? interrogea le Grand Manitou.

- Je... Bon, d'accord. Je partis de la ville où je naquis pour trouver la raison de la nullité de ma vie. Je passai par une forêt de stylos aquatiques (que des stylos bleus, aucun noir) et puis d'un coup j'arrivai ici à cause d'un genre de téléportation, et je tombai juste devant vous.

- Très bien.

- On se croirait dans un cahier d'exercice de CE2, grommela Jean-Jacques qui restait beaucoup trop respectueux de l'usage des temps de conjugaison et non je ne mettrai pas de virgule rien que parce que j'en ai envie comme ça vous devez tout lire d'un coup et si ça ne vous plaît pas vous n'y pouvez rien car l'écrivain ici se révèle exister en moi et pas en vous.

- Je sais pourquoi tu as foiré toute ta vie, mortel.

- Vous faites preuve de méchanceté, je trouve ça drôlement pas gentil.

- Tu m'en diras tant. Si toi et tes concitoyens n'arrivez jamais à rien, c'est parce qu'il vous manque une chose essentielle pour enfin réussir vos projets.

- Quoi ? demanda Jean-Jacques au bord du désespoir, d'ailleurs en cas de besoin je vous rappelle qu'il y a une distribution de mouchoirs à l'accueil.

- Il vous manque le verbe ultime.

- Qu'a-t-il d'ultime ?

- il s'agit du seul que l'on ne puisse pas prononcer, donc du dernier disponible pour nous.

- Oh, bah oui. logique.

- Comme ma robe rose à poix roses.

- Evidemment.

- Comment n'y ai-je pas pensé plus tôt ?

- J'espère bien que tu ne penses pas à ma robe ! Elle coûte une blinde, il m'a fallu trois ans d'économie de noisettes pour me l'acheter.

- Des noisettes de noisetier ?

- Non, des noisettes de lampadaires.

- Je commence à avoir mal à le tête. Et pour en revenir à mon problème...

- ça ne constitue pas seulement ton problème ! Tout le monde le subit. Toi, moi, les autres habitants... Même le narrateur se retrouve dans notre situation.

- Vraiment ! Woaw ! Mais alors, que peut-on faire pour retrouver l'usage de ce verbe ultime ?

- Il existe une solution très simple.

- Laquelle ?

- Termine l'histoire !

- Pardon ?

- Termine l'histoire ! répéta le Grand Manitou. Cette contrainte durera tant que l'histoire continuera. Lorsque tu l'auras achevée, tu pourras à nouveau utiliser ce qui nous manque à tous.

- Mais pourquoi moi ?

- Parce que le narrateur t'a choisi comme personnage principal !

- Je... Je crois pas que je pourrai.

- Tu t'appelles Jean-Jacques ! Le narrateur a confiance en toi ! Tu peux y arriver. Termine l'histoire, et le cauchemar prendra fin ! »

Encouragé par le Grand Manitou des Fers à Repasser, Jean-Jacques réussit à se calmer et à se concentrer. Oui, il pouvait y arriver. Et il y arriverait !

Jean-Jacques prit une grande inspiration et tout son être frissonna, son état d'excitation avait atteint son paroxysme.

« Très bien. Voilà comment les choses vont se passer. Je vais rentrer chez moi, et je vais enfin réussir ma vie !

- Continue, l'encouragea le Grand Manitou avec conviction.

- A partir d'aujourd'hui, on ne dira plus que Jean-Jacques n'arrive à rien à longueur de journée !

- Oui, excellent ! pousruivit le Grand Manitou, émerveillé.

- Je n'aurai plus à redouter l'échec, car je pourrai enfin utiliser le verbe ultime, et je réaliserai mon rêve !

- Quel rêve ? » demanda le Grand manitou d'une voix imperceptible.

Jean-Jacques regarda le Grand Manitou droit dans les yeux (si vous savez où regarder un Fer à Repasser pour croiser son regard, veuillez m'en informer rapidement, car Jean-Jacques devait me le dire mais il a oublié) et fit un large sourire.

« Je veux devenir braconnier de Fers à Repasser ! Je les chasserai, je les tuerai et je deviendrai riche en vendant leurs organes au marché noir. ça constitue le rêve le plus doux et le plus agréable que j'ai jamais eu de toute ma vie ! Oh, j'ai si hâte ! Dès que l'histoire s'arrêtera, je pourrai enfin faire... »

Le Grand Manitou, qui regardait bizarrement Jean-Jacques depuis quelques instants, poussa un sifflement suraïgu et se jeta sur Jean-Jacques qui mourut malheureusement des suites de ses horribles brûlures. Mais comme je ne voudrais pas que vous restiez sur une impression de tristesse, sachez que Jean-Jacques se réincarna en déchetterie municipale, ce qui lui permit de recueillir des tas et des tas de fer à repasser, de robes roses et de lampadaires dans ses containers sales. Et même si Jean-Jacques ne put jamais prononcer le verbe interdit, il trouva cependant le bonheur car, à chaque fois que l'un d'entre vous indiquait à quelqu'un comment aller à lui, ou lorsque vous critiquiez son odeur et son hygiène ou simplement quand vous vous renseigniez sur ses horaires d'ouverture, il pouvait entendre à loisir son verbe ultime, le verbe qu'il avait toujours rêvé d'entendre et dont il pouvait à présent se délecter autant qu'il le désirait. Et il vécut heureux.

Oh, et le Grand Manitou porte à présent des robes turquoise à carreaux beiges. Ben oui quoi, il a bien fallu le punir d'avoir détruit le personnage principal.

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