appendice des concournales

6 minutes de lecture

Dans un foutoir, on ne manque jamais de rien, et à force de creuser, on met forcément la main sur ce qu'on cherche.

Difficile de croire que je mette la main sur quoi que ce soit qui vaille dans ce gros paquet de mots : j'y ferai une coupe biaisée, personnelle, car cent nouvelles peuvent être interprétées dans tous les sens possibles. Cherchez-y ce qui vous plaira bien, voici ce que j'en tire. La deuxième partie des nouvelles du parc, bien que plus courte que la première, ne manque pas de piquant, et développe le recueil dans un sens tout particulier.

...mais vous, vous l'avez vu, le bain d'étoiles ?

Plus que jamais, les concournales s'organisent comme une expérience, des travaux pratiques. On injecte une couche insignifiante d'idées dans le papier, et l'on observe comment la feuille réagit, et se gorge de sang noir. J'inocule des allergènes pour devenir maître de l'eczéma littéraire : je veux que la peau de la page gonfle, rougisse, suppure, crachouille et crève. Alors que les incidents des babillonnaires semblent le plus souvent saisis sur le vif, capturés à l'état sauvage, les concournales se veulent bien plus expérimentales : le sujet est placé dans un cadre maîtrisé, où son évolution pourra être étudiée soigneusement. Le petit René Télrange tombe sans cesse, pour avoir la joie de voir un miracle à l'instant de l'impact, ces mêmes petites étoiles qui tournent par dessus les têtes des imprudents des bandes dessinées. Il provoque son extase, quitte à saigner, il teste les infinies possibilités d'une chute sans filet.

...l'inventaire exhaustif des possibilités spongieuses put être dressé, au prix d'innombrables vies...

C'est la raison pour laquelle les laboratoires sont si récurrents au cours du livre ; ils sont remplis de spécialistes minutieux, d'experts insatiables qui ont à cœur d'épuiser le moindre détail. Les personnages-cobayes peinent à rester en vie, maintenus sous des conditions extrêmes, à demi-sensées : les cancéreux d'ils pincent choient leurs crabes, les prisonniers de la gobeuse ne pensent qu'à convertir leur amour en monstres. Je m'applique à extraire une nouvelle du moindre sujet, partant d'une amorce de trois mots à peine : comment s'éterniser sur les chaises ? Comment lire entre deux lignes où n'existe qu'un néant ? Tranches infimes gonflées à bloc, ces textes vergeturés ne pensent qu'à s'effondrer sur eux-mêmes, comme un bon vieux bubon qui pète.

...mais encore ça n'est rien.

À force de m'observer répéter la même formule, je m'apprivoise. Les nouvelles du parc naissent d'une idée saugrenue, si saugrenue qu'il faut l'expliquer longtemps avant d'y parvenir. Ainsi, leur mouvement est toujours semblable : un premier paragraphe vague et commun, une tentative de cadre qui vous lance dans une certaine direction. Puis, phrase après phrase, je me rapproche de l'idée de base, qui éclate vers la fin du texte, qui s'épuise. Une narration à rebours, cinglante, comme un cœur qu'il faudrait dessiner avant de le voir battre une fois, une seule. je bois commence par une réflexion générale au sujet des boissons, puis s'égare longtemps en présentations avant de viser droit au but : des buveurs de lèpre. De même, je cauchemarde s'attarde sur un paradoxe noueux, annoncé par la première phrase et damé par le reste. Pour résumer grossièrement :
1 - Je sais pas si vous avez remarqué ça. Mais encore ça n'est rien, écoutez plutôt :
2 - Contexte d'émergence de la singularité.
3 - Singularité (qui tient en quelques mots). = chute, ou bien
4 - Épuisement progressif de la singularité qui donnait vie au texte.

On ne peut pas lire entre les lignes : on peut lier les lignes entre elles.

M'étant tant analysé, j'ai voulu repousser les limites de ce modèle. Par exemple par négation : Henri passe nous met face à un homme qui n'aura jamais rien de particulier. Mais en cela même il devient sa propre singularité contradictoire. je troue détourne les critiques réalistes : ancrer le personnage ne l'encre pas pour autant, et tout ce dont il a besoin pour être quelqu'un, c'est d'un peu de volonté, et pour vouloir, il doit avoir besoin de combler un manque, soulager une peine, boucher un trou. L'univers s'est peu à peu vidé de ses personnages marquants, multipliant les nouvelles en ils et en je anonymes. Néanmoins, la structure reste la même. Il s'agissait donc de dépasser la monotonie des récits en les liant entre eux, en créant une cohérence tacite entre chacun.

Homo Sylvestris, définit le dictionnaire, Sylvestres selon les livres, Syles pour les foules, Salades pour les moins respectueux.

Et salade vraiment composée, puisqu'il s'agissait de motiver la création de nombreuses races para-humaines dans une dystopie panchronique métalibéraliste, où la cruauté humaine a passé les bornes de la réalité. Quel travail ! Justifier la cohabitation des syles, des mines, des funges, des grisons, des démons et d'autres encore n'était pas de tout repos. Chaque modification de cette société parallèle devait être expliquée à partir du détail le plus insignifiant : les tribulations politiques d'Éon donnent naissance aux hommes de main, les magouilles de Krebs inc. maintiennent la misère des cancéreux, un simple tableau rongé par les rats tend vers l'ouverture d'une dimension-miroir. Tout cela dans une urbanité étouffante, organique, une ville qui mange les hommes. Nouvelle Cosmogonie ambitieuse, les coucournales construisent un monde où je voyais déjà gambader mille héros.

Le prix de la viande baissa.

Le mouvement inhérent à chaque morceau d'histoire mime celui même de la narration. Tout comme je gonfle une idée absurde à partir d'un détail insignifiant, les personnages de cet univers ne font qu'exploiter les singularités qui s'offrent à eux. Les puissants prospèrent grâce à leur mainmise sur la magie et le merveilleux. L'art, la foi et le rêve ne sont plus qu'un levier pour asseoir la cupidité de commerciaux véreux. Le miracle d'Arcimboldo est littéralement transformé en boucherie. Soupape vend du vent aux crédules hystériques. Le prêtre laïque survit dans l'adoration de Rien. Tous se font trouer la pomme d'Adam sur les conseils d'Ograilles. La terre est spoliée de son mystère tandis que toute merveille est reproduite à l'universel. Les victimes se débattent en silence : Cicéron ne peut que rouspéter au fond du tombeau, le pain du Christ croupit sur les assiettes de l'Elysée, Lola fleurit l'Allée où son fils s'est éparpillé. Le servage des criminels paraît raisonnable, puisque tout ne vaut qu'en servant la ville insatiable : les miallards se tuent pour elle, le reste suit.

Au loin on levait des camps.

C'est pourquoi les concournales développent un aspect absent dans les babillonnaires : le mécontentement politique. Raillerie sur raillerie, l'absurdité d'un monde exagérément capitaliste commence à crever les yeux. Le refus de la réussite s'est changé en militantisme de l'échec : Léonard Ptimald s'est trahi dans la perfection, et a donné naissance à un monstre d'intelligence qui n'a rien à voir avec qui il est. Au loin, on lève des camps pour ceux qui ne s'y conforment pas, qui ne travaillent pas à alimenter la grande machine urbaine, le broyeur d'âmes. Les échangistes et les troquistes de j'échange ont beau s'afficher de bonne volonté, ils se recluent entre eux de peur d'être éventrés par la masse des nécessiteux. La faim ronge les peuples plus qu'ils ne graillent : les puissants ont dompté leurs gargouilles. Les démons sucent la moelle du malheur des hommes, et les cueillent aux soirs de fête.

Encore un petit verre de glaire, sainte poliomyélite !

Les concournales se sont arrêtées prématurément, alors qu'il était prévu qu'elles soient la dernière partie des nouvelles du parc. Il en manquait vingt-deux encore pour finaliser mon Silmarillion, chiffre qui aurait facilement été atteint si le covid n'avait pointé le bout de son nez. Et quelle ironie de mettre un terme aux concournales avec je bois, une histoire de peste en bouteille ! Annette Giroud s'en retournerait dans sa turne ! J'ai pris le temps de doucement recopier les historiettes qui m'avaient trotté là deux ans durant, puis de réécrire celles qui ne tenaient pas la route. Je vous invite à redécouvrir je délire, Victoire vainc, elles fleurissent et je lis. Quand aux vingt-deux autres, elles auront bifurqué et suivi d'autres penchants : elles méritent leur propre partie.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Damian Mis ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0