ils pincent

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J.12.03.2020

Aujourd'hui encore, quand serre le mal, la communauté scientifique met tout en oeuvre pour adoucir son étreinte. Le meilleur des maux, qui s'est imposé au cours du siècle dernier, se glissant dans chaque foyer, sous toutes les couettes, est le crabe, indéniablement.

En tapinois, un par un les crabes se coincèrent dans les seins et dans les sangs. Ils se reproduisirent rapidement, par grandes colonies, et l'essaim grouille à tout-va.

Toute une génération de chercheurs en médecine nautique fut convaincue qu'en servant la lutte contre les crabes, ils s'illustreraient comme de grands héros. Ce qui devait arriver arriva : en quelques années on trouva un remède au mal, de sorte qu'en prenant un malade au hasard dans la rue et le maintenant captif (de préférence tout à fait anesthésié) durant plusieurs semaines, on est capable d'extirper le nid de crabes, où qu'il se trouve, sans pour autant procéder à l'ablation de la zone sinistrée, amputation souvent honteuse qui était la cause de quartiers entiers peuplés d'amazones.

Carcan serti de pinces cruelles, le mal se carapate dare-dare, et l'on croyait de bonne foi l'affaire faite. Les trouveurs furent anobellis comme il se doit, et par millions on alla se faire retirer les crabes – on repartait avec un petit panier, et dedans de quoi manger le soir. Mais la guerre n'était pas près de finir : les crabes restants se corsèrent, s'agrippèrent plus fermement le long des côtes, et firent vivre le martyre aux pauvres diables qui avaient osé s'en priver. Sacrés chevaux de retour, les crabes s'installaient d'autant plus facilement et virulemment dans les nids dégagés par l'action médicale (peut-être s'agissait-il d'une autre race, des bernard-l'hermites avides d'abris à élargir, accourant par dizaines). Des vagues de morts subites s'abattirent sur les hôpitaux en furie ; il fallut écumer de nouvelles solutions.

La première fut d'organiser des espaces sains, libérés de tout crustacé, où filtrerait un air très pur, et, la vertu ambiante aidant, jamais personne ne s'encraberait. C'est à partir de ces temps-là que les meilleurs individus que produisît la société déménagèrent dans les tours des cimes, celles qui ne se contentent plus de gratter le ciel, mais le crèvent. Avec le temps, ces individus délicats s'affinèrent, se fragilisèrent aussi. Ils restent là-haut, gouvernant le matin dans leurs assemblées diaphanes. L'après-midi, ils discutent et s'amusent aux boudoirs.

Quant à ceux qui seraient toujours contraints de vivre dans les territoires infestés de crabes – à la surface par exemple ; dans les sous-sols un peu plus ; dans les tréfonds c'est invivable ; au fond des abîmes ils fourmillent en mers entières, c'est infernal – ces gens là gardent toutes leur vie leurs premiers crabes. Ils les dorlotent, les nourrissent, et en échange, les premiers arrivés gardent le territoire contre des vermines plus voraces.

Les actionnaires de Krebs inc. se sont coalisés pour répandre leurs remèdes chers et médiocres, juste assez forts pour endormir les crabes, adoucir leur caractère et dissiper leur faim.

Beaucoup se prennent d'affection pour leur crabe, qui prend le rôle d'un animal de compagnie. Un animal de compagnie qui corromprait peu à peu la chair de son maître, en ferait un macchabée sur pattes, bien docile, qui le complimente et lui chante des berceuses.

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