je cauchemarde

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L.10.02.2020

Je ne peux pas vraiment vous faire comprendre ce qui est effrayant dans un cauchemar. D'habitude on pense surtout que la peur naît de certains détails macabres ou monstrueux : la créature alourdit l'atmosphère, nos épaules s'affaissent, l'angoisse nous emporte.

Certes, il y a de cela, le monstre est le conducteur, mais il n'est pas la cause de la peur pour autant. De fait, je me suis si bien habitué aux monstres que leur présence ne m'outre plus guère qu'en de rares occasions, les plus extrêmes. La plupart du temps, ils font plutôt office de décor mobile, qui constitue la couche basique du danger du monde. Il suffit d'un peu d'activité pour leur échapper.

Par exemple, qui craint encore les zombies ? Qui s'arrête sur un pauvre rôdeur qui traîne la patte au coin d'une rue ? Ce sont à peine des demi-figures, souvent imaginées partiellement (d'où les plaies qui pendouillent, jointures mal fixées) et qui ne veulent rien véritablement, à part frapper, simples rejetons d'une crispation interne : un pli qui cogne.

La sorcière déjà a plus de charme, en cela qu'elle oscille entre séduction et voracité d'ogresse. Souvent on ne peut pas la tuer, il faut simplement l'approcher au bon moment, et fuir le reste du temps. Je cultive les cachettes dans les repaires labyrinthiques qu'elles aménagent, terribles donjons sans issue, seulement définis par leur maîtresse. Elles sont les visages de passions plus profondes, ambivalentes. Parfois, il est possible de négocier suffisamment avec la sorcière pour sortir de son antre, mais elle nous poursuit en échange, ou bien nous plombe de quelque malédiction désagréable. Du moins, c'est ce que me proposent mes sorcières.

Les pires sont les démons, pures maux, capables de corrompre chaque rêve à tout moment et n'importe quel endroit, sous de multiples formes. Jamais je ne trouve de moyen de les atteindre ; ils incarnent mes impuissances même.

Mais tous ces monstres, comme le gore qu'ils provoquent, restent généralement assez divertissants, et mémorables par leur violence : l'extraordinaire et l'horrible appellent à prendre du recul, et aussitôt ma conscience incrédule jouit du spectacle et se psychanalyse en se gargarisant du déroulement des symboles. Je ris à l'aspect de mon corps disloqué et patauge gaillardement dans les cascades de tripes. Tout cela est fluide ; ça ne fait pas peur.

Pour s'horrifier, il suffit de bien peu ; un nœud sera assez. La pensée, en tant qu'elle forme le rêve, doit s'enliser dans l'insensé, s'étrangler en paradoxes.

Hier soir, j'étais en plein rêve, gambadant dans un garage où une vingtaine de camarades d'affairaient à créer des œuvres, tourner un film je crois. Soudain, il fallut se préparer à sortir du garage, tous, entre-tuer, et revenir le soir moitié moins. Il le fallait, et je m'affolai car j'étais dans un état d'esprit assez indolent, et je ne voulais pas mourir tout de suite, ni pour rien. Pourtant, personne ne semblait s'inquiéter de l'arbitraire de l'impératif. Tous se mirent à ramper au sol, faire des pompe, se préparer. Je les imitai, et comme la position de mon image rejoignait celle de mon corps dans le lit, un nœud se serra, mon cœur s'emballa et je crus mourir pour de vrai : "Si seulement j'étais un personnage de récit, me dis-je, comme dans ce film ; mais ça n'est pas le cas, alors je mourrai pour de vrai." Je ne pouvais pas penser au rêve, seulement au récit.

Mais en vous racontant ce cauchemar, je deviens un personnage de récit, alors il est irrationnel pour moi de me désespérer de n'en pas être un. C'est pourquoi vous ne pourrez pas comprendre ma peur. Elle n'a rien de dramatique, d'esthétique, rien à vous inspirer. Elle est nouée, perdue, indicible.

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