Léo pédale

2 minutes de lecture

19/03/19

Léo à vélo aime à pédaler. Peu importe d'où il part, jusqu'où il roulera, c'est assez qu'on le voie passer. Il gravit les tertres verts, ravi les jours d'hiver comme aux heures d'été. Sous ses roues, tous les chemins se tamisent pour lui amortir les cahots ; des prairies d'émeraudes aux jungles smaragdines, on trouvera chaque route ouverte devant lui. Comme si tout, à tout instant, s'évertuait à fêter sa venue. Oui, ce Léo est un caractère comme on en moule peu de nos jours : en pédalant, il irradie de joie, rend la vie aux paysages apathiques. Il pourrait s'arrêter, juste un moment, pour faire connaissance avec les cent pittoresques peintures qu'il anime ; elles seraient si curieuses de rencontrer l'auteur de leur élan ! Mais s'il s'arrête, il ne pédale plus, perd son énergie, et redevient Léo sans vélo, juste Léo, juste lui. Alors il ne s'arrête pas, jamais, étend sans fin sa traîne d'entrain : bientôt il s'insuffle aux plaines, aux monts, aux plages, aux ponts,, villages, bourgades, agglomérettes – tout à sa vue se mielle de soleil. Les rangées de dents se découvrent ; les fleurs se chargent de rosée : la beauté s'éveille, et lui ne fait que passer. Sur le chemin, des paysans égayés le hèlent, lui proposent repos, repas et ripaille. Léo sourit sans répondre, il ne veut pas perdre son souffle. Léo aime cette vie simple.

Mais pour le conteur, il n'y a rien à dire : l'homme à vélo ne pense rien, ou si, à une chose, qui tourne en boucle comme ses pieds. Il a beau traverser ces infinis provinciaux, il ne les voit pas, et reste indifférent aux merveilles qu'il réveille. Aux merci du monde, il répond toujours pareil : il fuit – Et comme pour lui tous les pays sont les mêmes, tout semble se fondre dans une insipide bouillie d'absolu, de telle sorte que tout temps reste aboli, tout lieu démoli pour toujours.

Jusqu'à ce qu'arrive ce qu'il redoutait le plus : Léo tombe droit dans la boue. Le marais avale les pneus, le guidon se perd dans la gadoue, et Léo lui-même ne s'en sort pas sans quelques sangsues suceuses. Étrange, étrange chose qu'à nouveau devoir penser, faire face au nouveau. Ses jambes tournent encore sans trop savoir pourquoi. Par quel maléfice était-il tombé ? Seul, grelottant et trébuchant comme le bambin des premiers pas, il est accueilli sans faste au bourg voisin, tout troublé encore de l'avoir vu passer tout à l'heure. Sans son vélo, personne ne reconnaît Léo, et lui se laisse arracher les sangsues par une petite serveuse rougeaude. Elle l'a repéré dans l'auberge à son air anodin.

Léo a les yeux tendus au plafond, rêveur. Il voit la vapeur des occasions manquées, quand, en faisant halte, il aurait pu faire de sa vie un voyage. À la place, il n'avait fait que pédaler tout son soûl, réduit maintenant à siéger sur sa mémoire vide, atone, entre deux crampes au mollet. Il soupire. Oh, Léo ! Rassure-toi. Tu auras tout le temps pour t'habituer à ta bipédie.

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