3. Soirée de merde (2)

5 minutes de lecture

L’homme qui nous avait hélé se trouvait juste en face de nous. Arborant la même panoplie que Rob, il buvait une cannette de bière avec deux de ses potes. De haute stature, il était un des premiers Riggs que je trouvais convenable. Peut-être parce qu’il possédait les mêmes yeux gris-bleus que Mel Gibson.

- Ah tiens Stan, bégaya mon chaperon, pâle comme un mort. Je croyais que tu ne voulais pas venir.

- J’ai changé d’avis ! fit l’autre en donnant une grande claque entre les omoplates du binoclard qui résonna comme un gong. Puis m’adressant un regard peloteur, il ajouta :

- Et je crois que j’ai bien fait. C’est quoi ton petit prénom ?

- Stacy, répondis-je sans décrocher le smile de circonstance.

Cela ne déstabilisa pas le mec dont le sourire prit ses aises sur les accoudoirs de ses joues.

- Hum, Stan et Stacy. Tu ne trouves pas que ça fait titre d’une jolie romance ?

- Nan, plutôt marque de fringues pour marmots.

Le gaillard s’esclaffa. Puis posant un regard condescendant sur Rob, il l’arrosa en pleine poire avec un pistolet à eau. Rires bêtes de ses frères de biture.

- Ben, qu’est-ce que tu fous, Robbie ? l’admonesta-t-il en lui parlant comme à un débile. T’es avec une jolie demoiselle et t’as même pas le réflexe de lui apporter une boisson. C’est quoi cette galanterie d’orang-outang ? Allons va ! Elle crève de soif la pauvre !

Confus et honteux, Rob partit aussitôt à la recherche de la buvette (pas de bar ici, trop pauvre).

L’air triomphant, le mâle alpha l’aspergea sur le cul.

- Pas par-là, crétin ! Par-là !

Rob changea aussitôt de direction en bon toutou à son maître.

- Et essuie tes lunettes, conclut le moqueur sous les rires redoublés de son public de goyos.

Une fois Rob disparu, il me sourit.

- Ce n’est pas une cloche, c’est Pâques en personne ! décréta-t-il, fier de sa punchline.

- Je n’ai jamais dit que j’avais soif, déclarai-je froidement.

Un coin de son sourire s’affaissa. Cependant, il fit comme s’il n’avait rien entendu.

- Dis-donc, t’es indiscutablement la Lorna la plus chouette de cette soirée. Je dirais même que tu surpasses carrément l’originale.

- Je ne suis pas en Lorna, rétorquai-je, étanche à sa flatterie. Ce perso inutile me sort par les trous de nez et les suites de l’Arme Fatale mériteraient un traitement au napalm.

- Ouah, t’es vache. Il y a quand même quelques séquences dans ces films où…

- Tu vois c’est ça le problème, l’interrompis-je. Dans les gens qui vont au cinéma, il y a ceux qui se contentent d’une ou deux scènes réussies et puis il y a ceux qui ont besoin d’une cohérence générale préfigurant la ou les intentions de l’auteur dénuée(s) de tout mercantilisme.

Les trois peigne culs en restèrent babas comme des cheese cake.

- Bêêêê, chevrota le leader du trio en guise de reprise d’oxygène.

- L’un d’entre vous connait maître G ? demandai-je à brûle-pourpoint.

Échange de regards paumés puis secousses synchrones de têtes.

- Tant pis, fis-je en leur tournant le dos.

La paluche du mastoc m’engloba le biceps.

- Attends ! gémit sa part féminine. Ton truc me dit quelque chose.

- Ah ouais ? Répondis-je, incrédule.

- Ton maître G c’est pas une espèce de sorcier ou un truc comme ça ?

Impassible, je le laissai développer son argumentaire.

- Non, parce que je connais une personne ici qui l’a consulté, poursuivit-il, conscient de mon vif intérêt pour le sujet. Si tu veux, je te la présente. Mais à une condition…

- Laquelle ?

- Que tu m’accordes un rencard au restau demain, asséna-t-il, sûr de lui.

Je le dévisageai en quête de particules baratineuses dans son expression satisfaite. Déjà que je prenais sur moi pour venir ici, je ne voulais pas perdre mon temps avec un dragueur de dixième catégorie qui se croit irrésistible. Aussi, et même si, en cas de propos sincères, je n’avais aucune intention de partager un repas avec lui, je lui rétorquai :

- OK mais je te donne une demi-heure pour trouver cette personne. Passé ce délai…

- Oh t’inquiète ! Exulta-t-il en me faisant signe de le suivre. On va la trouver !

Laissant en plan les deux blaireaux et leurs canettes, nous nous frayâmes un chemin parmi la foule de plus en plus nombreuse et compacte et arrivâmes devant une table embouteillée de bières, de bols de chips et de cacahuètes, d’assiettes de toasts peu ragoutants et d’un grand saladier plein de punch.

Après avoir jeté sa canette vite par terre, le roublard en remplit un gobelet.

- Tiens, fit-il en me le tendant.

Inerte, je le fusillai du regard.

- Je croyais que tu devais me présenter à quelqu’un.

Remarque qui accentua son sourire de branleur.

- Allons, détends-toi. Tu m’as donné une demi-heure non ? Ça laisse du temps pour trinquer au moins une fois.

Au moins une fois ? Ouais, je le voyais venir. S’il escomptait me souler profiter de moi, il se fourrait l’avant-bras dans le démouleur d’éclairs.

- Écoute Dan...

- Stan, moi c’est Stan, rectifia-t-il légèrement agacé. C’est juste un verre, tu ne vas quand même pas le refuser ?

Un faux noir frôla mon dos tandis que le refrain de « never too much » de Luther Vandross s’élevait dans la nuit.

Avec impatience le type plaça le gobelet sous mon nez. Je le saisis de crainte qu’il revienne sur sa décision. À nouveau souriant, le costaud se rempli un gobelet de punch et le choqua contre le mien. Je bus ou plutôt fit semblant de boire (rien que le contact de mes lèvres avec la boisson me donna la gerbe).

Nous traversâmes un groupe de danseurs dont certains déjà éméchés effectuaient des mouvements saccadés et disgracieux puis pénétrâmes dans la maison. Tout en avançant, Dan ne cessait de dévisager les gens. Cherchait-il à m’embobiner ? En tout cas le compte à rebours s’était déclenché dans ma tête qui serait plus court s’il me proposait avant son terme un deuxième verre (de la buvette jusqu’à l’entrée de la maison, j’en avais profité me débarrasser discrètement du contenu de mon gobelet).

Convaincu de m’impressionner, Dan commença à me déballer son CV pathétique. Commercial à temps partiel, il poursuivait en parallèle une carrière d’acteur (tiens donc). Pour l’instant, il avait obtenu quelques rôles de figuration dans des séries et des pubs mais il allait bientôt décrocher le pompon. Plusieurs grands noms du milieu l’avaient remarqué et parlaient de lui pour des projets majeurs.

Serrant les dents, j’acquiesçai. Combien de fois avais-je entendu ce discours ? Des milliers, des millions de fois. J’en avais les oreilles qui bourdonnaient dès la prononciation du mot « acteur » tel un champ de force préventif. Los Angeles, la ville où tout le monde se voyait un jour à l’affiche d’un blockbuster. Ils étaient coursiers, agents d’entretien ou d’accueil et ils se prenaient pour des stars, courant de castings en castings et jouant pour pas un rond dans des daubes irregardables et prétentieuses.

Depuis que je vivais ici, jamais je n’avais rencontré un serveur vraiment serveur ou un installateur de stores électriques à deux cents pour cent investi dans sa mission. Non, ça c’était de l’alimentaire, du pas sérieux. Untel avait un scénario de long métrage en gestation tandis que tel autre attendait le feu vert d’un producteur pour tourner son western fantastique. Los Angeles n’était peuplé que d’acteurs, de scénaristes et de réalisateurs, d’artistes en somme, certains que le succès allait les tamponner et transformer leurs lueurs dans les mirettes en cash et en admiration béate. Pauvres pommes sans goût !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Jean Zoubar ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0