3. Pause critiques

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À cet instant, mon assaillant aux yeux craquants se calme.

- Le film que tu préfères avec moi ? fait-il d’une voix pleine de charme.

- Only god forgives, je réponds du tac au tac. Parce que tu y es émouvant et vulnérable. En plus, contrairement à Blue valentine, tu n’en fais pas des tonnes. Ton jeu s’est épuré. Tu n’es plus du tout bavard. D’une certaine manière, je dirais que tu suis la trajectoire inverse d’Al Pacino. Lui, à cause de son outrance, n’a fini que par jouer un seul et même personnage. Toi, en te dépouillant du superflu, tu te diversifies. Tes derniers rôles le prouvent.

Jetant un regard méfiant à l’adresse de Russel, je relâche mon étreinte sur sa queue.

- Dans le film de Nicolas Winding Refn, on sent que ton personnage va s’en prendre plein la gueule. La nuit souvent présente, les décors avec leurs perspectives vertigineuses, les ralentis de la caméra comme des enlisements mortels, tous ces éléments évoquent le cauchemar. Par ta gestuelle et tes expressions, tu contribues à nourrir cette sensation oppressante. Tu as la fragilité de la mouche prisonnière dans la toile d’araignée. À cette différence près que toi tu acceptes ton sort.

Un court silence s’ensuit. Visiblement impressionné par ce que je viens de dire, Russel se gratte le cuir chevelu. Puis mâchonnant un chewing-gum imaginaire, il lance :

- Et là, qu’est-ce tu penses de notre film actuel ?

Fatiguée d’être à quatre pattes, je me redresse et jette un coup d’œil à Ryan.

Lui aussi est curieux de savoir ma réponse.

- Déjà, je tiens à préciser que ma présence sur les lieux de ce tournage est seulement due au fait que j’accompagnais un ami figurant.

- Oui, oui, tu nous l’as déjà dit, s’agace Russel, la bite moins alerte.

- Tout comme on a bien compris que tu n’étais pas spécialement fan de nous, ajoute Ryan amusé à la fois par mon rappel et par l’irritation de grosse bedaine.

J’acquiesce.

- Quant à juger de la qualité d’un film en assistant à une petite partie de son tournage avouez que la tâche est complexe. Néanmoins, la scène déjantée de fête que j’ai vue révèle une comédie originale et enlevée. Votre duo fonctionne bien. Toi Ryan en détective gaffeur et toi Russel en homme de main bourru formez un couple explosif qui, à ma connaissance, n’a pas d’équivalent. En fait, je crois qu’après Kiss kiss bang bang et Iron man 3, deux longs métrages plutôt ratés, Shane Black est en passe de réaliser un chef d’œuvre burlesque.

- Ah, tu vois que tu es cinéphile ! s’écrie alors Ryan sur un ton triomphant.

À ce mot, la moutarde me monte au nez. J’enfile mes sous-vêtements, mon teeshirt et ma jupe.

- N’importe quoi ! Je gueule. Vraiment n’importe quoi !

- Mais si, insiste le beau gosse pas si beau gosse que ça. Depuis tout à l’heure, on t’interroge sur le cinéma et depuis tout à l’heure, tu nous réponds sans difficulté. Tu éprouves même du plaisir à en parler.

Là, je pète littéralement un câble.

Bousculant le gros lard, je donne une grande claque à des playmobils partouzeurs sur une étagère.

- Et toi ? Tu en éprouves du plaisir ? Fais-je en shootant un cowboy dans sa direction.

- Mais Stacy, tente de se défendre Ryan, mal à l’aise.

- Je n’ai jamais été, je ne suis pas et ne serai jamais cinéphile ! Rentre toi bien ça dans le crâne, blondinet de mes fesses !

Puis, après avoir enfin trouvé mes pompes dans le foutoir ambiant, je fonce vers la sortie.

À peine ai-je descendu les trois marches de la caravane que Russel m’appelle.

- Eh Stacy, pars pas, il déconnait...

Derrière son épaule massive, la tête contrite de Ryan apparait :

- Oui, il a raison. Reviens s’il te plait.

Hésitante, je consulte ma montre. Cela fait plus d’une heure que Ralph m’attend pour me ramener à la maison.

- Allez, murmure Russel. Promis, on ne te posera plus de questions.

- C’est vrai ?

- Aussi vrai que nous n’en sommes qu’au début de notre partie de jambes en l’air.

Phrase qui me refile le smile.

Bah, si Ralph avait attendu une heure, il pouvait bien en attendre deux ou trois de plus. Où était le problème ?

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