Lorsque vient la nuit

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Chaque année lorsque vient Halloween, le monde se drape d’un voile d’ombre qui effraye et encourage à se regrouper autour des rares sources de lumière. Les parents racontent des histoires d’effroi à leurs petits tandis que certains se délaissent le temps d’un soir des règles et s’habillent, se maquillent, pour ressembler à des monstres difformes pour terrifier le voisinage.

Un enfant se met à pleurer lorsque je le frôle engoncée dans ma cape noire tachée de faux sang et tenue en place par des toiles d’araignées. La mère rôde plus sûrement qu’une louve et me foudroie du regard, je lui tire la langue et m’éloigne en mimant de prendre mon envol.

J’adore octobre !

Me voilà partant pour mon tour annuel du cimetière du village. Je déambule dans les allées de gravier blanc, effleurant du bout des ongles la pierre fatiguée sur laquelle ont été gravés les noms d’autrefois. Sentir le poids de l’histoire, hésiter à avancer, presque honteuse de n’accorder qu’un regard à ceux qui ont vécu. Que pensent-ils de mes actes ? Sont-ils jaloux de ma vie ? Regrettent-ils leurs choix ? Sont-ils simplement énervés que je les dérange durant leur long repos ?

Brrr.

Pourquoi suis-je si joyeuse ? Je sautille, fait voler les gravillons et réajuste mon chapeau de sorcière. Mes amis me disent que je n’ai plus l’âge de me déguiser, bande de rats-grognons.

Ce soir est différent des années précédentes. J’ai vingt ans jour pour jour. Une date importante pour ce qui va suivre.

Dans ma main serrée se trouve un secret, mon plus grand trésor. Une liasse de feuilles arrachées à un livre quand j’étais enfant. Les pages sont tachées par du vieux café, pliées par le temps et quelques maladresses, quand ce n’est pas carrément des coins entiers qui manquent, mâchouillés par je ne sais quoi. Elles racontent une histoire, une légende, une invention d’un auteur torturé retraçant la vie d’une femme, une sorcière pourchassée et brûlée au temps de l’inquisition médiévale. Les pages manquent à l’appel, le livre, hélas, n’avait pas été choyé par l'histoire, et je me rappelle de l’étrange empressement de son possesseur à le jeter au feu après m’avoir surprise à le lire.

Il me manque le début, impossible donc de connaître les origines des personnages. Ne reste que le récit de la longue traque de l’inquisiteur drapé de sa sanglante cape, et la fuite de la sorcière cachée dans le noir. L’auteur alterne entre leurs points de vue respectif, insistant sur l’acharnement de cette poursuite effrénée, si tant que durant longtemps je me demandai si l’homme était motivé par la haine ou par l’amour. Quoi qu’il en soit, il manque également la fin, excepté la toute dernière page dans laquelle la sorcière est brûlée, l’inquisiteur absent de la scène.

Déjà passionnante à lire, et frustrante de par les trous dans le récit, c’est la note griffonnée à la toute fin qui m’obsède depuis lors. Quelques lignes écrites d’une main pressée, détaillant une série d’actions à réaliser pour inviter l’âme de la sorcière dans notre monde afin d’obtenir ses pâles pouvoirs.

La première étape consiste à brûler sur la sépulture de la morte, le même soir où elle fut embrasée, le sang d’une vierge l’année de ses vingt ans, pour se rapprocher de son dernier souffle de vie. Ainsi, dans mon sac s’entrechoquent un canif, un bol et une boîte d’allumettes. J’aime l’idée d’être l’ingrédient d’une incantation hérétique.

Le bûcher fut allumé au sixième jour de la lune de début novembre, soit le jour d’Halloween. Si c’est symbolique, c’est qu’il y a un peu de vrai dans cette histoire. Heureusement que ça ne rime pas, sinon j’y croirai dur comme fer !

Alors que je m’entraîne à réciter à voix basse l’invocation de l’esprit de la défunte, des lueurs attirent mon attention. Les restes de la sorcière sont enterrés à l’écart et entourés de barreaux en fer curieusement entretenus au fil des ans. Plusieurs personnes encapuchonnées sont présentes et éclairent de leurs lampes torches les alentours, semblant chercher quelque chose, ou quelqu’un. Je ralentis le pas, jusqu’à m’arrêter. Prudente, j’observe l’assemblée à l’abri d’un mausolée.

Ils sont six, de tailles et formes diverses, ayant en commun un étrange symbole brodé sur leur ample capuche ; un croissant de lune à la verticale. Tous ont une bosse sur le dos, cachée par le tissu, comme s’ils portaient un sac ample. Le plus grand tourne brièvement la tête dans ma direction, je note un regard brillant, à l’image de deux lanternes allumées, sûrement un reflet des torches. Pourtant, un frisson désagréable me hérisse le poil. J’hésite, puis me décide à fuir l’endroit. Tant pis pour ma petite invocation. Courageuse, mais pas téméraire.

Je me ronge machinalement les ongles peints en noir en essayant de chasser cette sourde peur qui me donne envie de courir, quand soudain deux bras surgissent de l’obscurité !

L’un m’empêche de fuir tandis que le second me plaque un chiffon mouillé sur le bas du visage. J’essaye de me débattre, mais mon agresseur me tient solidement. Ma vision se brouille, mes forces m’abandonnent.

Je sombre dans l’inconscience, ma tête chute en arrière, la dernière chose que je vois est un regard rougeoyant en train de me fixer.

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