J-24

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Six heures du matin, la cloche retentit dans le vieux dortoir poussiéreux. Quelques grognements de désapprobation montaient de certains lits pendant que certains autres se défaisaient déjà de leurs locataires. La journée allait démarrer, et il y allait avoir un sacré tintouin ! Tous savaient que leur avenir allait se décanter ce jour.

On était le 1er décembre.

Noël enfila immédiatement son pantalon, son pull-over, sans regarder son voisin qui faisait de même. La douche ? un autre jour, on était pressé. S’ils avaient pu choisir, ils n’auraient même pas pris de petit déjeuner tant ils avaient envie d’en découdre, mais il fallait être raisonnable : « Qui veut voyager loin ménage sa monture » rappelait toujours le vieux Noël, barbe blanche et sourcils fournis. Alors, on tartinait vigoureusement la biscotte que l’on trempait précipitamment dans un chocolat tiède avant de l’engouffrer goulument. Chacun rangeait sa serviette, déposait son bol et sa cuillère dans le panier réservé à cet effet et sortait précipitamment dans la cour.

L’air était vif, tranchant comme un couteau de boucher. Noël remonta sa capuche sur son crâne et pressa ses deux mains sur ses oreilles. « Pas le moment de choper une otite ! ». Ses camarades sortaient les uns après les autres. Curieusement, malgré leur âge encore tendre, les enfants ne jouaient pas. Ils semblaient tous attendre quelque chose… ou quelqu’un. Quelques flocons virevoltaient dans un ciel gris souris. La nuit se prélassait, elle donnait l’impression de refuser de quitter la scène.

Le vieux Noël apparut, armé d’une longue feuille de papier. Les jeunes se précipitèrent vers lui. Bonhomme, il se mit à rire tendre repoussant délicatement les assauts de ses assaillants :

« Enfants, du calme, il ne fait pas encore jour ! » puis il déroula la longue feuille pour la lire :

- « Noël

- Présent

- Noël

- Présent

- Noël

- Présent »

Ainsi, le vieux Noël répéta-t-il Noël quarante-cinq fois le prénom « Noël » sans que jamais deux enfants ne lui répondent.

Le ciel virait maintenant du gris plomb au gris sale. Le jour n’allait pas tarder.
Le vieux Noël, en général des armées donnait ses ordres.

- « Atelier équilibre sur un toit pour Noël, Noël, Noël et Noël

Les quatre jeunes s’exécutaient

- Ateliers emballage pour Noël, Noël, Noël, Noël et Noël…

Les cinq interpelés se précipitaient.

Ainsi, le vieux Noël mit en train les ateliers de découvertes :  lancer de cadeaux, descente dans le conduit de cheminée, décollage et conduite de rennes, organisation de cadeaux sous le sapin. Il y avait même un atelier "collation" car il fallait jouir d’un estomac solide pour être Père Noël : être capable d’engloutir nombre de chocolats au lait, oranges, biscuits pas toujours délicieux, ça s'apprenait !… Le Vieux avait raconté qu’un jour dans un pays dont il ne se rappelait plus le nom, il avait dû ingurgiter un gâteau confectionné à base de patte de mygale. "Il ne faut jamais décevoir les enfants !" chantonnait-il.

Ce soir, on allait savoir qui ferait la tournée du 25 décembre ! Il fallait donc être le plus habile, le plus délicat, le plus agile, le plus performant, le plus charmant... le plus adapté au job. La jeune bande de Noël s'y employait avec zèle.

Dans le pré jouxtant le pensionnat, neuf rennes paissaient tranquillement. A y regarder de plus près, on pouvait percevoir leur curiosité à la petite étincelle qui traversait leurs prunelles brunes lorsqu’ils tournaient leurs regards vers le pensionnat. Qui les guiderait entre les étoiles, les nuages dans vingt-cinq jours ?

Après une journée harassante, les joues rougies par l’exercice, Noël, Noël, Noël et les autres se réunirent tous dans le vaste réfectoire qui sentait encore le pot-au-feu cuisiné par les lutins. Le Vieux Noël avait bien dit que ce soir, on saurait. Alors ? Alors ? Alors ?

Enfin, le vieux bonhomme apparut. Un « Ah » de soulagement à moins que ce ne soit d’urgence courut, tel un canon musical, dans l’assemblée.

Le chef des armées de Noël, prit un air martial, se gratta la gorge et se lança dans une explication alambiquée… En résumé cela disait :

« Je n’ai pas encore pu déterminé celui qui pourrait faire ce voyage extrêmement dangereux. Trop de paramètres, trop d’incertitude, trop de Noël, pas assez de neige, le pot au feu était trop lourd et les rennes pas assez concentrés. On verra demain ! ».

Les mentons s’allongèrent, les bouches se pincèrent pour éviter le cri de révolte. Ne rien laisser paraître pour ne pas compromettre ses chances et aller se coucher promptement.

Déçus, Noël et les autres rejoignirent leur petit lit et s’endormirent lourdement, rêvant pour les plus pessimistes de panne de traîneau, d’indigestion d’un renne ou de cheminée branlante. Les autres, béats souriaient vaguement dans leur sommeil ou lançaient d’un geste lent un cadeau coloré qui atterrissait pile dans de minuscules souliers bien cirés.

Demain, on saurait, c’est sûr !

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