Chapitre 2

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J’ai demandé l’autorisation d’habiter au Manoir lors de mon séjour sur la Mégalopole. Ce n’est pas très fair play au regard de l’esprit d’équipe et de mon groupe de pilotes logés au Collège, mais c’est la seule possibilité pour conserver une liberté de mouvement sans avoir à me justifier. Et notamment joindre Jessica. Peter a donné son accord, mais m’a fait promettre d’utiliser les services du chauffeur de mon grand-père pour me déplacer dans la ville. « Ce lieu est devenu un vrai coupe-gorge », se justifie-t-il.

Cela fait une drôle d’impression de se retrouver au Collège. Pour cette session d’entrainement, nous avons été mélangé avec d’autres corps. Je retrouve ainsi Halleck, le fils unique du PDG de Titan Industries. Mais c’est la nouveauté, nous ne sommes pas tout issus du Collège. Avec Storm II, nous découvrons la mixité. Ce n’est pas pour me déplaire, ç’aura été un des côtés positifs de cette maudite explosion solaire. Ce mélange des populations se limite cependant à ceux issus de la Mégalopole avant Storm II. Dans nos rangs, il n’y a personne des Provinces reculées.

- Ma petite Aura, me dit Monsieur Hennessy, mon ancien professeur de sciences, en me serrant dans ses bras. Comment allez-vous ?

Je lui souris.

-  C’est à vous que je devrais poser la question, Monsieur Hennessy. Il
paraît qu’il ne fait pas bon se promener seul dans les rues de la
Mégalopole en ce moment.

-  Effectivement, dit-il en secouant la tête, les temps ont
malheureusement changé.

-  Que faites vous maintenant de votre temps libre, Monsieur Hennessy,
maintenant que Storm II est passée et que l’activité solaire ne nous
atteint plus ?

-  Détrompez-vous, Aura, me répond-il avec des yeux pétillants, le
soleil maintient sa constante activité, et nous envoie toujours des bombardements. Mais ceux-là sont si infimes que le commun d’entre nous n’y est pas réceptif. Sauf peut-être les irradiés. Mais ça, ça a toujours été.
Que veut-il dire ? Je le regarde avec étonnement.

- Mais si Aura, vous savez, insiste-t-il. Après Storm, il y a 150 ans, nous

avons toujours eu dans notre population des personnes victimes des radiations par on ne sait quel phénomène. On se doutait juste que cela devait se produire par micro-particules, mais nous ne savions pas comment. Ce phénomène s’est ensuite atténué avec le temps, et à votre époque, les cas d’irradiation étaient devenus confidentiels, le taux de radiation étant si infime et au final non détectable. Mais aujourd’hui, après le passage de Storm II, nous retrouvons la même configuration d’il y a 150 ans. Il faut donc s’attendre à une recrudescence de personnes irradiées chez nous. Mais la différence majeure, me dit-il avec un petit sourire, c’est que je ne vois pas comment nous allons nous débarrasser cette fois-ci de tous ces gens contaminés. Difficile de les expédier de l’autre côté, comme nous

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avions l’habitude de le faire, n’est-ce pas ? me dit-il avec un clin d’œil.

Du moins officiellement.
Je n’avais pas du tout envisagé cette éventualité.
- Vous pensez que les scientifiques du Centre ont établi le même

constat que vous ?
Monsieur Hennessy se fend d’un petit rire.
- Je ne suis pas dans leurs petits papiers, mais le contraire

m’étonnerait. Maintenant politiquement, le sujet est très compliqué surtout au vu du contexte. Je vois mal les militaires ratisser les quartiers pour détecter la part de population irradiée. Ça raviverait le souvenir des dernières évacuations, et des personnes abandonnées sur place, faute de temps. Et surtout, que faire une fois ces individus détectés ? Les nouveaux habitants des quartiers de la Mégalopole ne se laisseront plus enlever de force un père, une mère ou un enfant. Cette époque là est belle et bien révolue.

Une situation de plus à gérer pour le Commandement. Il faudrait peut- être mettre à profit mon passage dans la Mégalopole pour essayer d’en apprendre plus sur ce sujet via mes anciens collègues du Centre.

*
**
Le soir, je retrouve le Manoir, vide. Seules quelques personnes vivent à demeure afin d’assurer la sécurité du lieu et un minimum de confort. Rebecca est toujours là, comme oubliée de tous, sur son siège à bascule

sous la véranda.

-  Ma petite Aura, te voilà.

-  Oui Rebecca, je suis toujours là, dis-je en m’arrêtant devant elle.

-  Je le savais très bien, je leur avais dit quand tu avais disparu. Ta
grand-mère se faisait un sang d’encre. Tant pis pour elle, elle n’avait qu’à m’écouter. Je sais moi si les gens que j’aime sont encore là. Mais on me traite toujours de vielle folle. Tu sais, dit-elle sur un ton plus bas, ton grand-père n’est pas aussi idiot que ta grand-mère. Il sait que j’ai le don, mais il ne le dit pas. C’est un malin ton grand-père. Il comprend toujours où se trouve l’intérêt de la famille.
Je la coupe car je la soupçonne de repartir dans ses propos délirants.

-  Rebecca, tu es toujours en contact avec Jessica ?

-  Oui, oui, la petite Jessica. J’ai même vu ton oncle Sirius. Cela faisait si
longtemps. Il était noir en lui, encore plus noir qu’avant. Toute cette
noirceur finira par l’emporter un jour.
Sirius est venu se réfugier ici pendant son évasion ! Bien joué de la part de la mère d’Askyn. Qui aurait pensé à venir le chercher ici, chez Kynes Carthag, son père, bras droit du Commandant ?

-  Rebecca, tu pourras dire à Jessica que j’aimerais la voir ? S’il te plait.

-  Tout ce que tu veux ma petite Aura, n’ait crainte, ta vielle Rebecca
veille sur toi.
Je l’embrasse et je monte me coucher.
* **

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Peter avait raison. L’entrainement physique en dehors du vaisseau agit sur notre moral. Je retrouve la salle d’arme du Collège et notre ancien professeur, Kent Russel, qui comme Monsieur Hennessy, officie toujours à son poste.

- Comment allez-vous ma petite Aura ? me dit-il. Toujours aussi agile, ou vous êtes-vous empâtée à force de rester sur votre fauteuil de pilote ?

Je lui réponds en souriant, heureuse de le revoir.

-  Ne vous inquiétez pas, Monsieur Russel. J’ai continué à m’entrainer
comme j’ai pu. Il y a des salles réservées à cet effet dans le Vaisseau,
mais j’avoue que l’entrainement au grand air, ça change tout.

-  Soyez néanmoins prudente si vous quittez l’enceinte du Collège, me répond-il sur un ton inquiet, car les choses ont bien changé depuis
votre départ.
Il nous rassemble tous autour de lui.

- Nous allons mettre l’accent sur le combat au corps à corps sur cette

session, nous explique-t-il. Le commandement souhaite que vous possédiez tous un minimum de pratique, au vu de la situation actuelle.

Nous enchaînons les exercices toute la journée. L’effort me vide la tête.

Nous nous retrouvons tous les soirs à l’Astrolabe. Mes ex-collègues du Centre sont fidèles à leurs habitudes et déjà présents. J’ai le droit à une bise sonore sur la joue de la part de Walter

-  Comment va la petite fille de Kynes Carthag ? dit-il en m’invitant à
m’asseoir avec eux et en tapant sur mon épaule droite.

-  Walter, tu sais très bien que j’ai horreur qu’on me rappelle ça. Aura,
ça ira très bien.

-  Mais t’inquiètes pas poulette, c’était pour te faire marcher. Quoi de
neuf dans vos cités volantes ?

-  La routine. Et vous depuis la tempête ?

-  Waouh, on a eu pas mal de changement. Toute l’équipe médicale qui
végétait depuis des années a été remplacée. Tu parles, les vieux ont peur, depuis que nos territoires ont été envahis par ceux de l’autre côté. Du coup, ils sont en train de se dire que la solution la plus viable maintenant serait le vaccin qui nous rendrait invincible contre les radiations, ou un truc dans ce genre. Du coup ils ont nommé Quinn à la tête du Centre, histoire de chapeauter l’ensemble.
Il boit une gorgée du verre qu’il tient à la main, puis reprend.

- Ce qui prouve bien qu’avant, ils en avaient rien à faire d’un antidote à long terme, les vieux. Mais maintenant qu’il y a de la concurrence, et qu’il y va de leur survie, ils mettent le paquet. Et devines quoi ? me

dit-il avec un sourire en coin.
Je n’ose y croire, mais je tente quand même.

-  Attends, laisses moi deviner. Maintenant qu’on n’a plus besoin de
bouclier et que la tempête est passée, tu t’es dit que ça serait pas mal
d’être dans le nouveau projet en vogue ?

-  Bingo la belle, me répond-il en me tapant une nouvelle fois dans le
dos. Je ne suis pas médecin, mais ils avaient besoin d’une personne

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de l’équipe du bouclier car ils vont bosser également sur les radiations. J’ai donc proposé mes services et j’ai été pris. C’est pas beau ça ?! Ce sacré Walter est toujours dans les bons plans !

Mon Dieu, tu ne peux pas imaginer Walter combien je trouve cela fantastique. Je me rapproche de lui.
- Justement Walter, je me demandais. Tu te souviens de toutes ces

histoires qu’on nous a apprises quand on était petit ? Après Storm, les gens irradiés, malgré le fait que notre zone ait été épargnée. Des soi- disants retombées infimes, mais dont certains organismes étaient plus sensibles que d’autres. Bref toutes ces personnes dont on se débarrassait ensuite en zone irradiée.

Un petit sourire apparaît sur le visage de Walter.

-  Continue poulette.

-  Eh bien je me demandais si ce scénario ne risquait pas de se
reproduire avec Storm II.
Il éclate de rire, puis se rapproche de moi.

- En bien, c’est pour cela que j’ai été engagé, me répond-il sur le ton de

la confidence. Je dois traquer ces espèces de nuages radioactifs, si infimes qu’ils sont inoffensifs, sauf peut-être sur certaines personnes. Notre chef pense que c’est peut-être une des pistes de recherche qui l’aiderait dans ses travaux.

Monsieur Hennessy avait donc raison une fois de plus. En revanche, savent-ils que certains irradiés peuvent développer certains pouvoirs ? Je préfère m’arrêter là dans la discussion avec Walter pour ne pas lui mettre la puce à l’oreille en lui promettant de passer le voir au Centre si l’occasion se présente.

Je m’apprête à rentrer seule comme j’en avais l’habitude avant Storm II, malgré la promesse faite à Peter de ne pas me déplacer seule, mais une fois n’est pas coutume, Halleck, le fils du dirigeant de Titan Industries, et qui fait partie de mon groupe de rotation, me fait remarquer que ce n’est pas très prudent. Il habite le même quartier que moi et propose de me déposer au Manoir. Storm II semble avoir eu un effet de corps sur nous tous, les vieilles inimitiés étant apparemment mises en veille.

* **

Il fait nuit noire lorsque j’arrive là-bas. Tout le monde est déjà couché. Je monte le plus discrètement possible dans ma chambre. C’est un peu stupide, car je suis toute seule dans les étages, les quelques domestiques résidant au Manoir demeurant en bas. J’ai ainsi pratiquement tous les appartements pour moi toute seule.

J’ouvre la porte de ma chambre, et suis sur le point d’allumer la lumière, lorsqu’une main se plaque contre ma bouche.
- Chut Aura, c’est moi.
Adam. Je me retourne et me jette dans ses bras si violemment qu’il se cogne les jambes contre mon lit et tombe en arrière en m’entrainant dans sa chute.

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- Eh bien, murmure-t-il en rigolant près de mon oreille, mais en me maintenant contre lui, je vois que l’entrainement te réussit plutôt bien. Très beau placage mademoiselle.

Je me redresse sur mes genoux et me retrouve à califourchon sur lui.

-  Mais que fais-tu ici ? Tu es fou ? Si tu te fais prendre ?

-  Il paraît que tu voulais voir Jessica. Je me suis dit que je ferais peut-
être l’affaire. J’espère que tu n’es pas trop déçu, me répond-il en rigolant de nouveau. Et, continue-t-il, je ne risque rien, personne ne me connaît ici.

-  Idiot, dis-je, en lui mettant gentiment un coup de poing dans la ventre Il me saisit la main et m’attire contre lui en continuant de rire.

- Eh bien voici comment ma bien-aimée me reçoit. Après plus de six

mois de séparation, elle me frappe au lieu de m’embrasser. Vous vous

entrainez trop, mademoiselle Ix.
Et sur ce, il me prend la tête entre ses mains et écrase mes lèvres contre les siennes. Je me détends d’un coup et laisse l’onde de chaleur submerger mon corps. Il roule sur moi et enfouit son visage dans mon cou et y dépose des milliers de baisers.

-  Adam.

-  Tu parles trop, me dit-il en frottant son visage contre le mien, et en
faisant glisser ses lèvres sur ma joue, mon nez, et en se positionnant de nouveau au dessus de moi. Tu veux que j’arrête ? me demande-t-il avec un sourire.
Je fais courir mes mains dans le creux de son dos en l’embrassant de nouveau, puis je remonte lentement son tee-shirt. Il quitte mes lèvres à regret, m’aide à retirer son vêtement, puis m’embrasse à nouveau fougueusement, presque violemment.

- Tu m’as tellement manqué, me murmure-t-il à l’oreille, tout en déboutonnant ma tunique, puis la faisant tomber sur le sol.

Ses mains glissent dans le creux de mes reins et sa bouche descend le long de ma poitrine, me déclenchant des frissons dans le dos. Je l’aide à faire glisser mon pantalon en soulevant mes jambes. Il remonte sur moi en souriant. Il reprend possession de ma bouche avec ses lèvres. Je sens la chaleur de sa peau contre la mienne.

Il s’arrête, puis me fixe de ses yeux sombres, dans lesquels je ne demande qu’à me perdre.
- Tu ne m’a pas répondu, me taquine-t-il. On discute ou je continue ? Pour toute réponse, je viens plaquer mon corps contre le sien.

*
**
Je m’étire comme un chat, puis je retourne me pelotonner dans les bras d’Adam, en frottant mon visage contre sa poitrine. Je ferme les yeux et je

respire son odeur. Il me serre contre lui.

-  Comment va ma pilote préférée ? murmure-t-il à l’oreille.

-  Elle essaie de survivre sans son prince charmant.

-  Ne t’inquiètes pas, à la fin de l’histoire, la princesse épouse toujours
son héros, et ils triomphent à deux des méchants.

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C’est plus fort que moi, au lieu de profiter de l’instant présent, je me redresse d’un coup.
- Justement, la question est bien là. Qui sont les méchants dans notre

histoire ?
Il soupire et adosse son dos contre ma tête de lit.
- Oui, je sais Aura, nous te devons des explications. Au final, Léto a pris

la décision d’expliquer à l’Etat Major notre devoir de recueillir les populations abandonnées à Storm II. Contre toute attente, Thufyr a accepté, mais a été plus loin dans la proposition de Léto. Comme vous abandonniez et une partie de la population, et une partie de vos territoires pour vous réfugier en orbite, eh bien il a tout simplement proposé aux Cités de prendre ce que vous laissiez. Les circonstances favorables ont joué en faveur de cette décision. Une partie des provinces a été épargnée par Storm II, dont la tienne. Les habitants sont donc tranquillement rentrés chez eux, et ont fait allégeance à l’Etat Major. Et c’est ainsi qu’une 21ème Cité s’est créée au sein de l’Etat Major, rassemblant les territoires sains que nous avons annexés.

Je digère ses propos, et je lui demande : - Et qui a pris la tête de cette....
Et je m’arrête dans mon élan. Bien sur !

-  Sirius, dis-je dans un souffle.

-  Tu as deviné. Le passage dans les geôles du Commandement l’a profondément changé. Il n’a plus qu’une chose en tête. Renverser le Commandement Suprême. C’est devenu chez lui une obsession.

-  Et j’imagine que ton père a été mis en minorité ?

-  Tu ferais une excellente politicienne, répond-il en me souriant. La
configuration est actuellement la suivante face à la situation actuelle. Léto, le modéré, Thufyr l’extrême, qui veut attaquer, et Padisham et les non alignés. Ou plutôt devrais-je dire Shany, car c’est elle qui tire les ficelles du jeu. Nous nous sommes également rendu compte que Thufyr avait manigancé pas mal de choses dans son coin. Nous le soupçonnons d’avoir monté un réseau parallèle au nôtre à son service au sein des Territoires Sains, mais dans un objectif malheureusement différent. Le but de Thufyr étant d’aller piller chez vous certaines technologies nous faisant défaut, mais pour son compte propre.

-  Les avions, dis-je en murmurant.

-  Oui, approuve-t-il de la tête, mais Duncan pense qu’il n’y a pas que ça. Je regarde Adam.

-  Mais avant d’entrer dans les détails, dis-moi ce que tu fais ici ?

-  Je rêvais de voir ta chambre, répond-il en me déposant un baiser sur
mon nez.

-  Arrête Adam, soit un peu sérieux.

-  Très bien mademoiselle, me sussure-t-il en m’embrassant dans le
cou.

-  Adam.

-  Bon d’accord, dit-il en s’écartant de moi. J’ai accompagné Askyn ici. Je me redresse d’un coup.

- Askyn est ici ?

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Adam se raidit, marque un temps d’arrêt, mais il répond à ma question. - Oui, il va essayer de rallier à sa cause la faction de ta province

présente dans la Mégalopole. Je le coupe.

-  Attends, tu en sais surement plus que moi. Il faut que tu me résumes depuis le début. Le Commandement Suprême ne nous a délivré que des informations parcellaires. On a entendu des rumeurs portant sur le regroupement des provinces en factions, et de l’insécurité qui commençait à régner, mais rien d’officiel.

-  C’est Jessica qui a fait un gros travail de terrain, m’explique-t-il. Ça tu dois le savoir, le Commandement Suprême a regroupé les habitants dans la Mégalopole par province. Pour le coup c’était une idée charitable, mais stratégiquement catastrophique pour vous. Les habitants se sont radicalisés entre quartiers, et il existe maintenant des guerres de clans. C’est du moins le tableau dépeint par Jessica.
C’est incroyable comment de pacifiques villageois peuvent se transformer en si peu de temps en redoutables personnages une fois parqués dans un espace restreint.

- Jessica a identifié ceux venant de ta province, les a sensibilisés à notre

cause. Ce n’était apparemment pas trop difficile, tout le monde connaît Sirius là-bas. Askyn doit les rencontrer pour en recruter certains.

Jessica, Askyn. Adam lit dans mes pensées.
- Sirius n’a pas eu le choix. Il ne pouvait laisser Askyn dans l’ignorance

de l’existence de sa mère. Sirius lui a donc avoué la vérité avant son

départ pour la Mégalopole. Et le rôle de Jessica dans le Réseau. J’hésite, mais Adam devance ma question.
- Tu veux savoir comment Askyn a réagi ? Aura, hausse-t-il les épaules

en répondant, tu le connais mieux que personne. Tu te doutes bien de sa réaction. Il a dit à Sirius qu’il suivrait ses ordres, mais qu’il n’attende maintenant plus rien d’autre de lui, et surtout pas la confiance.

Je ferme les yeux.

-  Et vis-à-vis de moi ?

-  Askyn a voulu savoir si tu étais également dans la confidence. Sirius
lui a répondu qu’en temps de guerre, il fallait parfois faire des sacrifices et mettre ses sentiments de côté pour la cause que l’on défend. Et c’est pour cette raison que tu t’étais tue. Il a quand même ajouté que cela avait été très difficile pour toi.

-  J’espère que cela se passera bien avec Jessica, dis-je en soupirant. Mais je pense que leur relation risque d’être compliquée dans un premier temps.

-  Ça, ça leur appartient, et ça ne regarde qu’eux.
Je soupire et me laisse aller à nouveau contre Adam.

-  Adam, que va-t-il se passer ?

-  Pour l’instant, c’est encore confus chez nous. Léto était opposé
l’annexion. Maintenant c’est fait, il doit composer avec. Il est partisan de la modération. Il refuse d’attaquer en premier. Le lâcher de tracts, c’était son idée. Tout en douceur. Mais Thufyr est partisan d’une

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réaction plus radicale. Et je ne sais pas combien de temps Léto

arrivera à conserver Padisham dans notre camp.
- De mon côté, c’est la même chose. Le Commandement a été surpris

ou plutôt dépassé par l’annexion. Nous ne sommes toujours pas dans une dynamique de guerre, même s’ils ont décidé de la déclarer. Tous nos avions ne sont pas encore équipés. Et j’ai l’impression qu’ils ont fort à faire avec les factions dans la Mégalopole. Bref, dis-je pour conclure, c’est à celui qui agira le premier.

Il m’attire contre lui.
- On le saura malheureusement bien assez tôt. Mais j’ai une surprise

pour toi, ou plutôt Askyn me charge de te remettre un message de sa part. Ne t’inquiètes pas, dit-il en voyant ma tête et en se mettant à rire. Le pire, c’est lui qui subit la situation.

Je regarde Adam avec étonnement.
- Il voulait que je te dise qu’il avait récupéré le deuxième mâle de ta vie,

mais seulement par amour pour toi.
Caramel ! Askyn a pu sauver mon vieux chat.
- Et le meilleur, c’est que ton chat s’est entiché de Tiffany. Il la suit

partout.
Nous rigolons ensemble de bon cœur. Enfin quelque chose de gai.
Adam me quitte avant la levée du jour pour ne pas se faire surprendre par le personnel. J’ai le cœur gros. Quand nous reverrons-nous ? Nous avons évité délibérément ce sujet de discussion, pour ne pas gâcher l’instant présent.

*
**
C’est ma dernière journée sur la Mégalopole, avant de repartir sur le

vaisseau amiral.

Kent Russel nous amène à l’immense hangar désaffecté, faisant office de terrain d’entrainement. En temps normal, lors des enseignements, nous sommes soit divisés en groupes concurrents, soit en individuel. Le but des exercices est simple, être le dernier survivant en individuel, ou accomplir une tâche déterminée en équipe. Aujourd’hui, l’objectif est totalement différent. Kent Russel souhaite nous confronter aux têtes chercheuses. Les pilotes de la formation ont déjà côtoyé ces instruments de destruction, mais ce n’est pas le cas de tous nos camarades.

Halleck ouvre de grands yeux en apprenant l’existence de ces armes d’un genre nouveau. Pourtant, ai-je envie de lui dire, ces dernières sortent des usines de ton père !
- Vous serez tous équipés d’un bouclier et d’un bracelet mesurant vos

pulsations, et d’un gilet marqueur. Bien entendu, les têtes cracheront seulement de la lumière pulsée. Votre objectif est de les détruire sans vous faire toucher. A chaque touche par ces machines volantes, votre gilet conservera la marque du tir. Le vainqueur sera celui avec le moins d’impact. C’est l’objectif de cet exercice. Pouvoir évoluer dans un environnement protégé par des têtes chercheuses.

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Un environnement protégé par ces charmantes bestioles? Quelle hypocrisie! Le rôle de ces choses est de nous épauler pour tuer l’adversaire d’en face, pensé-je en moi-même.

Nous nous mettons en position dans ce gigantesque lieu. Celui-ci contient de nombreuses salles, des plateformes à atteindre par des échelles, de nombreux recoins pour se cacher. On entend les portes du hangar se verrouiller automatiquement. Plus possible de sortir. Kent surveille nos mouvements à l’aide des caméras disposées à l’intérieur du bâtiment.

Je contrôle mes pulsations. 70. J’ai un avantage indéniable sur mes camarades à ce niveau là. Je me place stratégiquement dans une pièce reculée, avec vue sur l’entrée du hangar. Quelques chuchotements se font entendre au loin. Des camarades discutent entre eux. De ma cachette, je perçois leur excitation.

Soudain, j’entends. Ce petit bruit si caractéristique, ce sifflement en vol. Elles sont lâchées du toit. J’actionne mon bouclier, puis me déplace et commence à monter sur une échelle afin de pouvoir me mettre à leur hauteur pour les abattre. Quelque camarades applaudissent, j’ai même le droit à quelques sifflets, et un garçon m’imite sur l’échelle d’en face. Trois têtes chercheuses foncent sur lui. Il rigole et arme son bouclier. Un premier tir rebondit sur celui-ci. Mais les deux autres têtes tirent à nouveau et s’il arrive à bloquer un des tirs, le deuxième l’atteint. Il crie alors et tombe de l’échelle. Soudain, un hurlement à ma gauche. Une fille. Elle vient d’être touchée et hurle. Sa tenue blanche au niveau de son épaule se colore en rouge. Mon cœur s’accélère d’un coup. Les têtes chercheuses ne tirent pas de la lumière pulsée, mais des lasers. Mon Dieu. Un, deux, trois, quatre, cinq, j’inspire, un, deux, trois, quatre, cinq, j’expire. De l’échelle, je conseille à mes camarade de contrôler leur respiration, de se détendre et de ne pas paniquer.

Mais en bas, trop tard, c’est le sauve-qui-peut général. Le hangar résonne du bruit si spécial émis par les têtes lorsqu’elles rechargent pour s’apprêter à tirer. Les tirs fusent de toutes parts, mais aussi les cris de panique ou de douleur. De l’échelle, j’abats les têtes chercheuses à ma hauteur. Avec l’entrainement de Duncan et l’expérience, j’arrive à maitriser mes pulsations cardiaques. Ces bestioles ne me font plus peur. Au contraire, elles font monter en moi une rage contrôlée. Mon bouclier est inutile. Les têtes m’ignorent, mon rythme cardiaque demeurant constant, malgré ma colère.

Ce n’est pas le cas de mes camarades. De nombreux corps jonchent maintenant le sol.
- Restez calme, et elles vous ignoreront. Rien ne sert de courir, vous

allez faire monter vos pulsations. Asseyez vous sur le sol et essayez de vous calmer. Fermez les yeux et imaginez vous quelque chose d’agréable. Elles vous laisseront tranquilles si vous restez calmes.

Mais j’ai beau hurler les consignes, je prêche malheureusement dans le vide. C’est la débandade. Au loin, des ombres courent, puis tombent. Les cris se font de plus en plus rares. En me déplaçant, j’abats le maximum de têtes. Soudain, mon attention est attirée par un groupe de têtes autour

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d’une table jetée contre un mur. Je m’approche lentement de lui. Halleck est caché sous la table.
- Halleck, c’est moi Aura.
Sa respiration saccadée parvient à mes oreilles. Il doit être paniqué, comme tous les autres.

-  Aura ? me répond-il avec la voix qui tremble.

-  Halleck, il faut que tu contrôles ta respiration. Fermes les yeux et
penses à quelque chose d’agréable. Tu ne crains rien si tu contrôles
ton rythme cardiaque.
Il ne me répond pas. Je tente le tout pour le tout. Je tente de me rappeler les mots employés par Tiffany

-  Halleck, tu m’entends ?

-  Oui, chuchote-t-il

-  Alors tu vas faire ce que je te dis. Tu vas fermer les yeux et te
concentrer sur ma voix. Oublies tout ce qui t’entoure, et tu n’écoutes plus que ma voix. Fermes les yeux et écoute moi. Tu vas penser à quelque chose d’agréable.
Je connais très peu Halleck. Quelles choses peuvent lui sembler agréables ? Mais oui, Halleck doit être gourmand, d’où son embonpoint. Je ne sais pas si ça va marcher, mais aucune autre idée ne me vient à l’esprit.

- Halleck, tu es devant une table recouverte de plats que tu aimes. Tu ne vois plus que cette table, tu oublies tout le reste autour de toi. La vue de cette table te détend complètement. Et je veux que tu te dises que ces têtes chercheuses sont des gâteaux au chocolat. D’énormes gâteaux au chocolat. Tu ne crains donc absolument rien.

Je me sens ridicule, mais aucune autre idée ne me vient à l’esprit. Ça avait eu le mérite de fonctionner avec moi lors de ma première fois confrontation avec ces tueuses. La respiration d’Halleck se fait plus calme. Assez lente apparemment pour faire repartirles têtes vers d’autres objectifs.

- Halleck. Ne bouge pas, et continue ainsi. Reste concentré sur ta vision, et tout se passera bien.

Je pars débusquer les dernières têtes chercheuses et les abats méthodiquement une par une. Ma gorge se serre à la vue des corps sans vie de mes camarades sur le sol ensanglanté. Les portes se déverrouillent soudain. Kent Russel se précipite à l’intérieur du hangar, suivi d’infirmiers et de personnes portant des brancards. Je m’assieds sur le sol. Toute la tension retombe. J’enfouis ma tête dans mes mains.

*
**
Halleck et moi sommes les seuls survivants. Tout le reste de notre groupe est tombé sous les lasers. Y compris deux pilotes de mon équipe. Même s’ils avaient déjà entendu parler de ces armes lors des évacuations, entre

la théorie et la pratique, il y a un fossé difficile à franchir.
On nous rembarque directement pour le Vaisseau Amiral. Peter m’attend à la descente de la navette. Je veux rester forte, mais à sa vue, je tombe

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dans ses bras. Il m’entraine à l’abri des regards dans son bureau. Je m’affale dans son sofa.
- Par pitié, ne me demandez pas comment je vais, dis-je dans un souffle. Il s’assoit à côté de moi et me prend la main.

- Que s’est-il passé exactement ? J’ai juste appris que vous aviez été attaqués pendant l’entrainement par des têtes chercheuses, et que seuls vous et Halleck vous en étiez tirés, mais le Commandement a plutôt été avare de commentaires comme à son habitude.

Je me retiens d’hurler.
- On n’a pas été attaqué, on a cherché à tous nous tuer. Kent nous a dit

que quelqu’un avait remplacé nos têtes chercheuses inoffensives à

lumière pulsée par de vraies tueuses.
Je me cache le visage dans les mains en secouant la tête.
- C’était horrible Peter, ça a été très vite, même si ça m’a semblé

interminable. Tout le monde courait, tout le monde hurlait. Puis plus rien. Tous ces corps sur le sol. Ils sont tous morts, et c’est de ma faute. Je n’ai pas réussi à tuer toutes ces saletés à temps.

Mon visage est maintenant inondé de larmes.
- J’avais beau leur crier qu’il ne fallait pas bouger, qu’il fallait rester

calme, et qu’ils ne craignaient rien, ils ne m’écoutaient pas. Jusqu’alors, j’ai lutté pour résister et faire bonne figure devant Kent et les militaires lors de leur rapide interrogatoire, mais devant Peter, toutes mes défenses tombent.
Peter ne dit rien et laisse la crise passer. Je lui en suis gré. Il me quitte pour revenir de suite et poser une tasse fumante devant moi. J’avale une gorgée. Le chaud me fait du bien, et aide les muscles de mes épaules, complètement noués, à se détendre. Mes sanglots commencent à s’espacer.
- Ça va mieux ? me demande-t-il.
Je hoche la tête sans répondre.

-  Ecoutez Aura, vous n’êtes responsable de rien dans cette histoire. Les
fautifs, ce sont vos encadrants, qui auraient du vérifier le matériel. Et ils ne l’ont pas fait, alors que nous sommes quand même, je vous le rappelle, en situation de guerre.

-  Ils ne m’ont même pas laissé repasser au Manoir prendre mes affaires, dis-je d’une petite voix. Ils m’ont mis avec Halleck directement dans une navette pour nous ramener ici.

-  Ils n’ont pas tort, il ne fallait pas vous laisser seuls après ce que vous venez de vivre. Ne vous surestimez pas Aura, il va falloir que vous encaissiez le choc, et ça va surement prendre du temps.
Je ferme les yeux et me laisse aller sur le canapé. Je reste silencieuse une bonne minute, puis je reprends.

-  Mais qui a pu faire ça ? Les militaires ont évoqué les factions qui se
sont créées dans la Mégalopole, une sorte de représailles de ce qu’on
leur a fait subir lors des évacuations.

-  Ça, ma jolie, ça sera leur boulot de découvrir ce qui s’est passé, et pas
le votre. Mais la leçon à retenir pour nous tous, c’est que maintenant, nous devons tous être vigilants. Quelle que soit la menace, faction ou Etat-Major.

25

Il me prend la main.
- Allez vous reposer, et venez nous rejoindre au mess pour le dîner. Il

ne faut pas rester seule après des moments pareils. Je secoue la tête.

-  Si ça ne vous dérange pas, je vais passer voir mon père, et après je
voudrais essayer de me reposer.

-  Bien sur, me répond-il en se levant, et en me tendant la main pour
m’aider à me lever à mon tour.
Je me dirige vers la porte, puis je m’arrête.

- Merci pour l’écoute Peter. Et pour la boisson, dis-je avec un pauvre

sourire.

* **

Shirin me serre très fort dans ses bras lorsque je passe le seuil de l’appartement de mon père. Elle m’indique la porte de son bureau m’expliquant qu’il rentre à l’instant d’une réunion au Commandement. Mon père, assis à son bureau, se lève et vient à ma rencontre.

-  Ma chérie, me dit-il en me serrant contre lui. Puis il s’écarte de moi et me regarde : comment tiens-tu le coup ?

-  Pour l’instant, ça va.
Je lui mens. Je ne veux pas l’inquiéter, et je refuse toute commisération. Mon père est capable de me cacher des informations si je parais trop fragile.

-  Père, en savez-vous plus ? J’ai entendu les militaires évoquer la piste
des factions, mais je n’en sais pas plus.

-  Le Commandement non plus, soupire-t-il. C’est une catastrophe.
Pendant des années, le service en charge du Renseignement a été négligé, le Commandement étant persuadé d’être seul au monde. Nous en payons maintenant les conséquences. Nous devons réactiver très rapidement ce département, devenu essentiel aujourd’hui. Nous ne serons au courant de la réalité des choses qu’en infiltrant les factions, et c’est valable également pour les territoires irradiés.
Je brûle de lui avouer l’avance de l’Etat Major sur ce point, mais je préfère me taire. S’il apprenait mon appartenance au Réseau, il serait tiraillé entre son amour filial et sa fidélité au Commandement. Même si je ne doute à aucun instant de son choix. Je ne veux pas gêner mon père dans son travail, et surtout continuer à lui soutirer des informations.

-  Veux-tu rester avec moi ce soir pour dîner ? me propose-t-il.

-  Merci, dis-je en l’embrassant, mais je suis fatiguée. Je pense avoir
besoin d’une vraie bonne nuit de sommeil.
Je retrouve ma minuscule cabine. Je me douche et vais directement me coucher. Mais si je m’écroule de fatigue presque instantanément, mon sommeil est agité. Je suis à nouveau dans le hangar. J’essaie de tuer les têtes chercheuses de mon échelle, mais elles continuent d’arriver sans fin. Au sol, le corps de mes camarades se vide de leur sang. Et le sang continue de monter, monter. Je tombe sur le sol et je patauge dedans. Le

26

sang monte, monte. L’odeur métallique du liquide rouge me sature les narines. J’étouffe, je cherche de l’air frais, car je n’arrive plus à respirer. Je vais me noyer dans cette mare de sang. Et je me réveille en sueur. J’ai peur.

Je prends de nouveau une douche brulante pour me détendre. Mais rien n’y fait. Je me recroqueville sur mon lit. J’ai peur de me rendormir. Je ne veux pas rester seule. Mais je ne peux aller chez mon père. Je m’habille et me dirige vers les bâtiments des sous officiers, et cherche la cabine de Markus. J’hésite, puis je frappe à sa porte. Sans réponse, je suis sur le point de repartir quand la porte s’ouvre :

- Aura
Ma tête doit être épouvantable, vu son ton puis son air angoissé. Il me prend le bras et me fait entrer chez lui. Il a raison, son logement luxueux n’a rien à voir avec le mien. Je ne dis rien et me laisse entrainer comme un pantin sur son canapé.
- J’ai appris tout à l’heure ce qui s’est passé au Collège. Je t’ai cherché

mais je ne t’ai pas trouvé, et Peter m’a dit que tu étais chez ton père.

Tu vas bien ?
Question stupide. Markus se rend aussitôt compte de sa bévue et se reprend instantanément.
- Ce n’est pas ce que je voulais dire.
Je secoue la tête.

-  Markus, je ne veux pas en parler. Mais je ne veux pas rester seule, ni
aller chez mon père. Je peux rester chez toi pour dormir cette nuit ?

-  Bien sur, me répond-il. Installe-toi dans mon lit, et je dormirai dans
le canapé.
Je n’ai pas la force de relever. Je m’écroule sur son lit, et plonge instantanément dans un profond sommeil.

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