II

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« -Hôpital de la Ferme, nous y sommes… Tu es certain que tu ne veux pas que je t’accompagne ?

-Non chérie, reste là, attends-moi, je fais au plus vite.

-D’accord »

Il descendit de la voiture, il lui semblait que jamais ses jambes ne parviendraient à le porter jusqu’à l’entrée de l’établissement. Finalement, le tout nouvel orphelin y parvint et il fut amené dans le bureau du médecin Soricide, qui l’avait appelé la veille pour lui annoncer la triste nouvelle. Cet homme n’était pas très grand, il avait un nez assez long et fin avec des narines très étroites, de petits yeux très foncés presque noirs. Ses mains étaient fines, pour ne pas dire maigres, et celles-ci portaient de longs doigts très fins qu’aucun bijou, pas même une alliance ne venait décorer. Les explications furent brèves et les premières démarches rapidement terminées. Sa mère était morte bêtement, d’une chute dans l’escalier due à son âge avancé et à celui de l’escalier dont une marche avait cédé. Un voisin qui venait lui rendre visite l’avait trouvé allongée sur le sol, le crâne sanguinolent, les pompiers arrivèrent rapidement et la pauvre dame fut amenée aux urgences en quelques minutes, mais elle avait perdu trop de sang, et malgré les soins que les médecins et infirmiers purent lui apporter, elle succomba à sa blessure quelques minutes après son arrivée. Elle avait visiblement percuté le coin d’une étagère qui se trouvait sur la trajectoire de sa chute. Un accident de la vie avait fini par conclure le médecin.

Suite à cet entretien il avait fallu réaliser diverses démarches administratives, notamment le choix du cercueil et de la pierre tombale. Heureusement, de son vivant, la défunte avait laissé des instructions claires. La bière avait été choisie la plus sobre possible, du sapin avec un crucifix sur le couvercle et, à l’intérieur, un drap de soie bleue et un oreiller pour que sa propriétaire puisse y vivre son plus long sommeil. La pierre tombale quant à elle était en granite rose taillé et poli à trois niveaux et dont la face verticale prenait la forme d’un cœur incliné sur la droite. Dessus y furent gravés son nom et son prénom, ainsi que ses dates de naissance et de mort ainsi qu’une épitaphe qu’elle avait choisie : « Ne restez pas ici, je n’y suis pas ». Elle qui avait passait la majeure partie de sa vie dans son jardin, de façon très casanière, n’ayant jamais voyagé plus loin que son village natal indiquait maintenant à qui prenez la peine de le lire qu’elle n’était pas là où l’on devait la trouver. C’était presque ironique venant de sa part. Une ultime boutade, gravée dans la roche, éternellement, que le temps lui-même aurait du mal à faire bouger, comme il eut du mal à la faire bouger elle, pour finalement la poser dans un lieu dont elle ne bougerait plus.

L’enterrement, et la cérémonie qui l’accompagna, furent intimes, la famille proche avait fait le déplacement, les quelques amis encore vivants et les voisins vinrent aussi y joindre leur peine. Tout ce beau monde réunit ne représentait pas plus d’une vingtaine de personnes, mais cela n’empêcha pas le monument funéraire d’être richement garni de fleurs. Les chrysanthèmes y tenaient évidemment une place de choix, mais de façon plus discrète se trouvaient aussi des roses, quelques myosotis, deux ou trois arums, des œillets et quelques feuilles de fougères. Après l’enterrement, les plus proches se réunirent autour d’un verre pour célébrer une dernière fois la mémoire de la disparue. Quand le dernier invité fut parti, Charles et sa femme se retrouvèrent seuls dans la maison où il avait grandi. Il se remémora des souvenirs d’enfance qu’il avait déjà raconté, et elle, en l’écoutant, fit semblant de les découvrir pour la première fois. Cet après-midi fini de s’écouler ainsi.

« -Il va falloir que je songe à faire le tri dans ses affaires…

-Cela peut sûrement attendre demain tu ne penses pas ? Il est bientôt 19 heures, nous devrions rentrer, manger et nous reposer. La journée a été longue et éprouvante. Et puis, tu as rendez-vous avec le notaire demain matin, n’oublie pas. »

Alors, sans réellement consentir à cette décision, il saisit son vieux pardessus noir, l’enfila et se dirigea vers la porte d’entrée. Jeanne, sa femme, lui emboîta le pas. Le seuil franchit, il fourra sa main dans sa poche afin d’en sortir la clé de la porte d’entrée et n’y trouva rien d’autre que son mouchoir. Il fouilla dans l’autre poche. Vide. Il avait dû la laisser sur la table ou sur la tablette de la cheminée, avec cette journée difficile il l’avait sûrement posée sans se souvenir d’où exactement. Après une rapide vérification il s’avérait que la clé ne s’y trouvait pas. Un tour de la maison s’imposait afin de retrouver cette clé perdue, sans quoi la porte d’entrée devrait restée ouverte, sans personne pour surveiller la maison. Malgré cette recherche, impossible de remettre la main dessus.

« -As-tu vérifié dans la doublure de ton manteau ? Il est tellement vieux que cela ne m’étonnerait pas que tes poches soient trouées et qu’elle ait glissé. »

Charles vérifia et il conclut qu’en effet, il y avait bien un trou dans sa poche mais que celui-ci était trop petit pour y laisser passer une clé. Par acquis de conscience, il tâta son manteau mais ne trouva absolument rien dans la doublure. Voyant qu’il commençait à s’impatienter, sa femme lui suggéra d’aller demander au voisin s’il n’avait pas un double des clés, au cas-où. Et puis cela le ferait marcher un peu, le voisin le plus proche était quand même à plusieurs centaines de mètres, cela laisserait le temps à Jeanne de chercher de nouveau, et à Charles de s’aérer un peu l’esprit.

Tout en continuant à chercher dans sa tête où il avait bien pu poser cette clé, Charles marcha le long du sentier en regardant le paysage, et les fleurs naissantes sur les différents arbres et arbustes. Combien de fois avait-il emprunté ce sentier ? Combien de pas y avait-il fait ? Combien de semelles avait été usée sur ces cailloux ? Ces questions ne parvenaient pas à son esprit évidemment, mais pourtant en se les posant beaucoup de souvenirs seraient revenus à son esprit. Le voilà finalement arrivé devant la porte d’entrée du voisin. Ce voisin s’était installé dans cette maison de maître il y a quelques années déjà et ils s’étaient croisés quelques fois mais aucun d’eux n’avait jamais interpellé l’autre, ils ne se connaissait donc pas réellement, pour ne pas dire pas du tout. Aujourd’hui, pour la première fois, ils allaient parler ensemble. Charles frappa à la porte. Une porte massive en chêne, très imposante avec une poignée forgée et une tête d’homme sculptée à hauteur de regard. Les yeux de la sculpture, bien qu’en bois et immobiles, semblaient scruter le visiteur dans son entièreté. Après quelques secondes la porte finit par s’ouvrir, laissant apparaître le voisin qui demanda d’une voix agacée quel était l’objet de cette visite tardive. L’explication visiblement attendue fut donnée et, reconnaissant alors l’intrus, l’habitant se radoucit.

« -Oh… Non, je n’ai pas de double des clés, et je ne pense pas que votre mère en ait donné un à qui que ce soit. Elle ne sortait quasiment jamais de chez elle vous savez. Pour faire ses courses et encore, le moins possible. Mais à chaque fois qu’elle quittait la maison, je la voyais poser quelque chose au-dessus de la porte d’entrée de son petit poulailler. Regardez ici, c’est peut-être là qu’elle posait sa clef. Elle le faisait à chaque fois qu’elle partait, même ces dernières semaines alors qu’elle semblait agitée.

-Agitée ?

-Oui, ou perdue si vous préférez. Elle sortait souvent dans son jardin sans raison apparente, parfois même la nuit on pouvait l’entendre s’y agiter. Je me souviens l’avoir vu jeter un pot ou un vase je ne sais pas trop. Elle perdait peut-être un peu la tête, ça aurait été de son âge en tout cas. Mais malgré ça, elle continuait de mettre je ne sais quoi au-dessus de la porte du poulailler à chaque fois qu’elle sortait.

-D’accord… Merci pour l’information en tout cas. Je n’étais pas au courant qu’elle était « agitée » lors de ses derniers jours de vie… Je vais aller vérifier au-dessus de la porte, sait-on jamais. Au revoir, et encore désolé de vous avoir dérangé.

-Aucun soucis ne vous en faites pas. Au revoir. »

Charles rebroussa chemin, la porte se referma derrière lui et dès qu’il quitta la propriété toutes les lumières s’éteignirent soudainement. Mais il ne se rendit pas compte de ce détail et continua sa marche le long du sentier que le ciel éclairé déjà moins qu’à l’aller. Arrivé devant la maison, il s’aperçut que sa femme l’attendait déjà dans la voiture en lui tendant, l’air victorieuse la clé, qu’elle avait retrouvé derrière le pot de fleur qui décorait l’entrée. Ils conclurent tous les deux que celle-ci avait dû tomber au cours de l’après-midi.

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