Ouverture Impitoyable

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Ses doigts osseux sentaient la douceur de l'eau qui effleurait sa peau bronzée. La chaleur en ce début d'Octobre était insupportable, elle aurait bien voulu plonger toute habillée dans la fontaine. Elle retira sa main et l'examina machinalement, espérant un miracle. Ses cicatrices n'avaient pas disparu. Ce que l'on racontait sur la Fontaine était stupide. L'eau de celle-ci était censée avoir des vertus régénératrices, voire sublimisantes. Or ses mains lui paraissaient toujours aussi laides, zébrées de lignes incohérentes, certaines veines venant de temps à autre se mêler à ce fouillis inextricable de chair et d'os. Mais elle était la seule à les voir ainsi. Un petit murmure et elles reprenaient la forme délicate et douce qu'elles arboraient en tout temps. Les soustrayant au filet d'eau claire, elle reporta son attention sur le petit carnet posé à côté d'elle sur le rebord du bassin. Il était tout simple, d'apparence banale. Le dessin d'une bête chétive avec de grandes oreilles, presque enfantin, égayait sa couverture d'un bleu profond. Lorsqu'elle l'ouvrit, un petit carré de parchemin usé tomba sur la pierre. Une fois celui-ci ramassé, elle entreprit de le déplier avec soin. Celui-ci s'intitulait Pierres de Légende, Artefacts Mythiques, Puissance Fabuleuse : De Ces Trésors Oubliés Que le Monde Attend de Découvrir. Plusieurs titres numérotés s'alignaient ensuite les uns en dessous des autres. La forme des lettres et l'imprécision de l'encre à certains endroits démontrait son ancienneté. Certains de ces titres étaient cependant impitoyablement rayés d'une encre beaucoup plus récente. Parmi ceux-ci on pouvait retrouver : II. Le Saint Graal, XVI. L'Anneau Unique ou bien encore XXII. Les Fragments d'Éden.

Alors qu'elle étudiait l'une des pages du carnet, où l'on pouvait lire «Éclat Céleste ? », ses yeux vifs perçurent une tâche bleue qui apparut brusquement au bout de l'allée se déroulant devant elle. Surprise, elle cacha à la hâte le carnet et la table des matières dans sa robe d'uniforme, observant l'imprudente qui avait osé la déranger.

- Alice ! s'époumona cette-dernière. Je t'ai cherchée partout !

Kassandra était mince, grande pour ses douze ans, son visage d'ange souriant été encadré de longs cheveux étincelants qui flottaient de façon désordonnée derrière elle, tels la traînée rougeoyante d'une comète. Ou plutôt comme les tentacules d'un calamar géant, pensa Alice. Cette idée la fit frissonner alors que des gouttes de sueur perlaient sur son front.

- T'as vu la chaleur qu'il fait ? Mais qu'est ce que tu fabriques toute seule dehors ? s'écria la nouvelle arrivante complètement essoufflée, la voix teintée d'un léger accent espagnol.

- Oh rien...

- Mouais je pense plutôt que tu voulais prendre un bain de beauté ! Tu veux être plus belle que moi hein c'est ça ? s'indigna t-elle, les poings sur les hanches, d'un air faussement énervé.

- Oh non je n'oserais pas, répondit Alice, levant théâtralement les yeux au ciel.

Son amie s'assit précipitamment à côté d'elle sur le rebord du bassin et plongea ses petits yeux verts dans les siens.

- Il y a intérêt jeune fille !

D'un geste vif, Alice plongea sa main dans le bassin et l'éclaboussa, un sourire malicieux apparaissant sur ses lèvres.

- Je me disais que tu en avais bien besoin...dit-elle en rigolant.

- Oh..toi tu vas voir ! s'écria l'autre, une brève expression stupéfaite sur le visage, ses cheveux pourpres dégoulinant de l'eau aux vertus prétendument extraordinaires.

Puis elle éclaboussa à son tour son amie en éclatant de rire. Alice se joignit à elle. Quelques minutes plus tard, les deux élèves s'arrosaient gaiement en poussant des cris.

Le ciel des Pyrénées s'embrasa : le bleu azur laissa progressivement la place au jaune-orangé du crépuscule. Le jour commençait à tomber sur les sommets enneigés toute l'année. Épuisées mais ravies, elles se séchèrent, réajustèrent leur robe d'uniforme bleu pâle et remontèrent l'allée principale. Celle-ci traversait de part-en-part les jardins parfaitement taillés du parc, et menait à une vaste esplanade, déjà plongée dans l'ombre à cette heure-ci. Le palais, dont les derniers étages étaient baignés par le soleil déclinant, surplombait le domaine et semblait veiller sur lui. L'immense double porte en acajou sculpté était grande ouverte. Elles s'y engouffrèrent en même temps que d'autres groupes d'élèves retardataires. Un délicat fumet parvint presque immédiatement à leurs narines. Se laissant porter par la foule d'élèves affamée, elles arrivèrent bientôt dans la Salle à Manger.

Bien qu'il ne s'agissait pas de leur première année au sein de l'Académie de Magie de Beauxbâtons, elles ne purent s'empêcher d'admirer la seule salle du Palais permettant d'abriter tous les élèves de l'école. Le marbre des colonnes s'envolait bien haut, venant se perdre dans la somptueuse fresque du plafond. Celle-ci n'avait pas été réalisée pour couper l'appétit à ceux qu'elle surplombait, bien au contraire. Il s'agissait de la représentation mouvante d'un banquet démesuré, les personnages navigant d'une table à l'autre, sur laquelle une farandole de plats tous plus appétissants les uns que les autres les attendait. L'un des protagonistes de l'oeuvre accrocha le regard d'Alice. Il désignait la cuisse de poulet terriblement alléchante qu'il tenait dans une main, un sourire railleur dévoilant ses dents immaculées. La petite fille lui tira la langue, puis décida de regarder ailleurs, son estomac commençant à la démanger sévèrement. Elles furent bientôt au milieu d'un champ de tables de bois lustré, la plupart déjà complètes. La Seconde Quatre était presque entièrement rassemblée sur une longue table, où s'alignait une vaisselle de Gien ouvragée et luisante. Les deux retardataires s'assirent côte à côte.

- Tiens Kass je t'attendais ! La saison vient de commencer ! s'écria toute excitée une jeune brune aux yeux pétillants et à la bouche rieuse, installée non loin d'elles, sur la gauche.

- Oui j'ai vu ! Les Tapesouafles ont été nuls, ils ont mis que cinq buts ! répondit avec la même passion la jolie rousse.

- Pourtant c'est les meilleurs ! Attends de les voir contre Les Sorcières de Brocéliande, ils vont tout donner !

Alice se désintéressa bien assez vite de la conversation animée entre Kassandra, Julie et une grande partie de sa classe puis se tourna à sa droite. Une peau pâle et de magnifiques yeux bleus intelligents caractérisaient le visage lisse de sa voisine.

- Oh pitié le Quidditch qui revient...on a eu un mois tranquille mais c'est fini, grommela Alice.

- Oui, soupira l'autre en levant les yeux au ciel.

Elle sembla pensive un instant, puis continua :

- Au fait, j'ai cherché un peu ce dont tu m'a parlé la semaine dernière, la pierre philosophale et tout !

- Et alors ? demanda Alice, soudainement très intéressée.

- Eh bien c'est passionnant, tu savais que Nicolas Flamel était élève ici ? Et que la Fontaine porte son nom et celui de sa femme ?

- Oui, en presque sept cents ans il a dû en faire des choses le gars, en plus d'avoir réussi à transformer le plomb en or ! s'exclama Alice.

- Carrément ! Imagine tout ce qu'on pourrait faire avec autant d'argent !

- Et la pierre, elle est où maintenant qu'il est mort ? Dans un musée ?

L'enthousiasme de la jeune fille aux yeux bleus retomba quelque peu.

- D'après ce que j'ai lu, elle a été détruite à sa mort...

- Mince...

La légère déception d'Alice fut de courte durée lorsqu'une belle cuisse de poulet à la basquaise apparut dans son assiette, accompagnée de riz. Le ventre plein, la Seconde Quatre au grand complet, épuisée, rejoignit son pavillon situé dans les jardins de l'Académie. Après s'être rapidement lavée, Kassandra s'écroula sur son lit du dortoir réservé aux filles numéro quatre. Un moment plus tard, et on n'entendait plus que les chuchotements de certains élèves. Margot et Alice papotèrent encore quelques minutes, avant que les yeux bleus de la jeune fille se ferment et qu'elle dise d'une petite voix :

- Bonne nuit...

- Bonne nuit, répondit Alice.

Cette dernière attendit encore un peu, jusqu'à ce que des pas se firent entendre dans le couloir. La jeune fille ferma les yeux et resta immobile. La porte s'entrouvrit doucement, un fin rayon de lumière jaunâtre vint éclairer la table de nuit d'Alice. Une grande silhouette aux cheveux bouclés se découpa furtivement dans l'encadrement, puis la porte se referma avec précaution. Elle s'assura que les pas de la responsable du dortoir, la Tutrice Clémentine, se soient éloignés, puis sortit le carnet bleu de sa robe d'uniforme. Les quelques bruits de respiration profonde de ses camarades étaient les seuls à perturber le silence du dortoir. En essayant de faire le moins de bruits possibles, elle ouvrit le premier tiroir de sa table de nuit et en sortit une plume simple, qui avait la particularité de briller gentiment dans le noir. De l'autre main, elle déplia le vieux parchemin usé. Enfin, d'un trait précis et impitoyable, elle raya proprement le titre

X. Pierre Philosophale .

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