Chapitre 7 - Le choc

7 minutes de lecture

— Regardez, on dirait que cet enfoiré se réveille enfin !

La voix triomphante résonna dans le crâne du prince. Il eut l’impression que des coups de boutoir douloureux lui percutaient l’arrière des yeux. Il grimaça. Son auteur lui disait quelque chose. Une femme. Laquelle ?

Il tenta d’entrouvrir ses paupières. La lumière lui arracha une plainte et il les referma aussitôt. Tout son corps souffrait. Le moindre de ses mouvements semblait prêt à faire craquer ses os et déchirer ses muscles.

— Pas agréable hein bâtard ? Pire qu’une gueule de bois ? (Une main lui saisit durement les cheveux.) C’est ça d’abuser de la racine-tension pour tes petits jeux de dépravé, surtout quand on te l’a surdosée exprès. Mais c’est que le début.

Un bruit de crachat s’accompagna d’une sensation humide le long de sa joue.

— Que… se… passe… t’il, parvint-il à croasser pathétiquement malgré sa bouche parcheminée.

— Vous n’avez pas un truc pour le réveiller un peu plus ? Histoire qu’il comprenne dans quelle merde il est ?

— Bien sûr, attendez. (Une seconde voix, grave, lourde, un homme cette fois, suivit d’un vacarme de verre qui s’entrechoquent.) Ah, voilà.

Une puissante odeur arracha les sinus du Prince. Son corps s’arqua malgré lui sur un cri muet. Ses yeux soudain ouverts le brûlèrent. C’est alors qu’il remarqua la tension de cordes autour de ses poignets.

Au milieu d’un entrelacs d’étagères chargées de fioles diverses et d’animaux empaillés, la maréchale Imda et l’alchimiste royal Yerzo le dévisageait, des dagues dans les yeux.

— Qu’est-ce que c’est que ce merdier ! cracha le prince, sa voix toujours faible, presque nasillarde.

Il s’agita, mais la lourde chaise sur laquelle des cordes le ficelaient se contenta d’osciller mollement. La maréchale en profita pour lui envoyer son poing en pleine figure, projetant sa tête en arrière. Son cou craqua douloureusement. Tout en redressant la tête, il tenta de cracher le filet de sang qui venait d’inonder sa bouche en direction d’Imda. Il ne parvint qu’à se baver sur le menton.

— Sale chienne, siffla-t-il. Ma leçon ne vous a pas suffi ? Je dois recommencer ?

— Je ne suis pas sur qu’il soit très sage, Sire. (Le titre suintait le mépris dans la bouche de l’Alchimiste.) De reproduire une des erreurs qui ont causé votre perte.

— Ma perte ? De quoi parler vous ? Libérez-moi tout de suite.

— Par toutes les catins d’Orlan, cracha la maréchale. Quelle putain d’ironie. À force de ne penser qu’avec votre bite, vous êtes devenu con.

— Yerzo ! (Le prince ignora totalement la maréchale pour fusiller du regard l’Alchimiste. Il ne pensait pas pouvoir raisonner avec la guerrière, on ne raisonne pas une femme trahie. Un serviteur fidèle du trône des seigneurs-épées en revanche…) Libérez-moi tout de suite et vous avez ma parole que j’oublierais ce petit incident.

L’alchimiste éclata d’un rire sec.

— Je vous connais bien, « Sire », le pardon ne fait pas partie de votre vocabulaire. Et puis, pourquoi gâcher mon plan maintenant qu’il porte ses fruits ?

— Votre plan ?

— Vous pensiez vraiment qu’il n’y aurait pas aucune conséquence à vous mettre à dos la maréchale Imda et le capitaine de la Citadelle, Sire ? demanda l’Alchimiste. Auriez-vous oublié que les seigneurs-épées ne sont rien sans les dites épées ?

Arlor ruait dans son propre cerveau pour tirer ses pensées de l’ornière, en vain. Le brouillard douloureux l’empêchait de saisir pleinement les propos de l’alchimiste.

— Un coup d’état, dit-il. Vous êtes pathétiques. Je suis indispensable et vous le savez. Aucun de mes frères n’est apte à gouverner. Ils sont bien trop jeunes.

— Mieux vaut un souverain jeune qu’un qui pense uniquement à baiser ! cracha la maréchale.

— Et certainement pas un souverain sans aucun sens des allégeances, ajouta l’alchimiste. Le pire c’est que vous m’avez offert vous-même l’opportunité que j’attendais en agressant la maréchale. Avez-vous la moindre idée du nombre de légions que vous vous êtes mis à dos en touchant à la petite-fille d’un héros de guerre ? Une héroïne elle-même non moins illustre ? Tout ce qu’il me fallait ensuite pour assurer que la garde royale ne bronche pas trop à la nouvelle de votre disparition était de vous pousser à vous mettre la Citadelle à dos. Ce que vous avez fait en humiliant le capitaine Xarsian, exactement comme je l’avais prévu. Autant dire que l’enquête sur votre « disparition soudaine » sera faite sans grand enthousiasme. Si ce n’est proprement sabordée.

— Enfoiré de traitre de merde ! (Le prince rua dans sa chaise, la balançant de droite à gauche. Un courant d’air dans son dos lui hérissa la nuque.) Quand j’en aurai fini avec vous et votre catin, vous regretterez d’avoir croisé ma route.

— Ça ne me changera pas beaucoup alors, dit la maréchale. Je le regrette déjà.

— Même totalement défait, dit l’alchimiste, votre arrogance ne connait pas de borne. C’est pathétique. Un prince aussi facile à manipuler que vous n’avait aucune chance de devenir roi. Vous pensiez vraiment que votre rencontre avec la femme du capitaine Xarsian était un pur coup de chance ? Vous n’avez même pas pris le temps d’y réfléchir, trop occupé à tenter de mettre la main sur ses larmes. (L’alchimiste se pencha, son nez crochu à quelques centimètres de celui du prince.) Pauvre imbécile, la potion de polymorphie n’a jamais eu besoin de larmes de rage pour fonctionner. Tout cela n’était que pour pousser le capitaine à vous haïr ! Et par Orlan qu’il vous hait ! Dire que vous étiez à deux doigts de vous rendre compte du ridicule de cet ingrédient, c’est presque hilarant.

Une émotion étreignit la gorge du prince Arlor, une émotion qu’il ne pensait pas avoir déjà connu et qui le dégoutait profondément : la honte. Il avait fait l’erreur d’accorder sa confiance à cet enfoiré d’alchimiste de merde. Or, il était bien placé pour le savoir, personne n’en est digne !

— Pourquoi me raconter tout ça ? N’allez-vous pas me tuer pour finaliser votre petit coup d’État ?

— Parce que se moquer de votre stupidité est très plaisant, dit la Maréchale, son arrogant sourire vissé sur sa sale face de traitre.

Le Prince se calma en se remémorant la guerrière en train de crier sous lui. Le désagréable courant d’air dans son dos glaça une nouvelle fois la sueur de sa nuque.

— Vous tuer serait trop miséricordieux, « Sire », dit l’alchimiste. Mais comme vous avez suivi mes instructions à la lettre concernant l’élixir de polymorphie, nous n’avons pas besoin d’en arriver là.

Arlor ne lui fit pas le plaisir de lui demander de quoi il parlait, même si l’enflure de Yerzo en mourait de toute évidence d’envie.

— L’élixir de polymorphie n’a besoin que d’une goutte pour fonctionner, fini par dire l’alchimiste, un rictus déçu au bec. Mais comme je vous ai dit d’en boire l’intégralité, et bien, je crains que vous ne soyez affecté à vie. Un effet irréversible je le crains.

Le doigt glacé de la peur caressa la colonne vertébrale du prince à mesure qu’il réalisait les propos de l’alchimiste.

— Et oui, Sire ! triompha ce dernier. Vous tuer est inutile quand, habillé de quelques guenilles et affublé d’une chaine autour du cou, je peux vous garder caché à la vue de tous ! Grâce à l’élixir, tout le monde vous prendra pour un vulgaire esclave, et vous êtes bien placé pour savoir que personne ne se soucis de ce que les esclaves on a dire.

Arlor crispa sa mâchoire pour contenir sa rage. Il fallait qu’il se tire de ce guêpier, le plus vite possible. Une fois en chaines, il serait foutu, condamné à assister en spectateur à la vie qui lui revenait de droit. Même s’il détestait les paris, il n’avait plus le choix, il devait tenter le tout pour le tout.

— Vous avez dû sacrément lui sucer la queue pour qu’il accepte de vous aider, dit-il à l’adresse de la maréchale, son plus mauvais sourire sur le visage. Faudra que je goutte à vos tal…

La guerrière lança son poing qui cueillit le prince sous le menton, lui faisant claquer violemment les dents. Arlor s’y était préparé, il poussa de toutes ses maigres forces sur ses pieds et pressa son dos contre le dossier de la chaise. Les efforts combinés, celui involontaire de la maréchale et les siens, suffirent à le faire basculer violemment en arrière.

Un sourire triomphant craquela ses lèvres sèches lorsqu’il sentit ses reins mordre dans un rebord de pierre. Il avait vu juste ! Le courant d’air ! La fenêtre de la tour !

— Non ! hurlèrent de concert la maréchale et l’alchimiste alors que leur prisonnier basculait dans le vide.

L’air siffla autour d’Arlor. Il tombait. De plus en plus vite. La silhouette d’Imda penchée à la fenêtre de la tour de l’alchimiste s’amenuisait, ses imprécations emportées par le vent. Les flots du fleuve de fer rugirent dans son dos. La chaise éclata sous l’impact. La douleur explosa dans tout son corps, suivi par l’obscurité d’une eau verdâtre qui l’engloutissait.

Avant de s’évanouir, emporté par la violence des flots bouillonnants, une seule pensée brûlait dans l’esprit du prince : la vengeance !

***

Et voilà ! Ce cliffhanger de salaud signe la fin de la partie 2 des « aventures » du prince Arlor.

Si vous souhaitez rester informés de la suite, qui sera intitulée « Le prince de chair & Les traitres », vous pouvez vous abonner à mon compte. Et puis, pour patienter, vous pouvez en profiter pour lire mon autre histoire, dans un autre genre (plus humoristique) intitulée Cheat-Code.

Et comme d’habitude, n’hésitez pas à commenter, ça fait toujours très plaisir. Bref, à bientôt (ou à maintenant si vous venez du futur !)

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Ben Clover ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0