Cette beauté

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Maintenant, Joy a suffisamment empli ses yeux de cette beauté. Elle sort du Musée, à la rencontre d’autres beautés encore. Le Mal vaincu, il ne demeure que de larges agoras où glisse le vent de la félicité. Un alizé si léger, on le dirait de mousse et d’écume. Partout le Peuple Nouveau sillonne les avenues avec confiance. Les Existants sont libres d’aller où bon leur semble sans contrainte. Il y a dans les volutes d’air comme des souffles embaumés. Oui, car la Nature s’est régénérée, oui car la Nature veut vivre au rythme des Hommes, partager leur gaieté, la susciter là même ou c’est possible. Les grands glaciers, au loin, brillent de mille feux. L’eau des Océans est gonflée, dilatée, comme pour dire le merveilleux langage qui s’abrite en leur sein. Les sillons de terre luisent au soleil. Les trilles des oiseaux poinçonnent le jour de leur insouciance. Tout est placé sous le signe du renouveau, tout se ressource à sa propre essence. Ce qui est le plus manifeste, une prospérité partout répandue, un ravissement qui emplit les yeux des Femmes, flamboie telle une braise dans les yeux des Enfants. Chacun comprend les mille et un langages de Babel sans qu’il soit utile d’en effectuer une traduction. C’est ainsi, un Univers d’infinie rencontre des choses, cela se donne avec générosité, cela répand ses spores à qui veut bien en saisir le rare, cela exulte et diffuse à l’entour ce qui, de soi, ne saurait se retenir en une seule et unique conscience. Les consciences sont inclusions mutuelles, échanges subtils, alchimie sécrétant au grand jour les secrets de la pierre philosophale. Vivre ? Se laisser aller tout simplement à ce qui vient dans la sérénité. Vivre sur le mode de l’Ukiyo-e, tel que suggéré par Asai Ryōi dans ‘Les Contes du monde flottant’ :

« Vivre uniquement le moment présent,

se livrer tout entier à la contemplation

de la lune, de la neige, de la fleur de cerisier

et de la feuille d'érable... »

C’est ceci dont Joy était en quête, que ce Monde Nouveau lui offrait. C’est ceci, identiquement, qu’attendaient tous les Existants, mais ils ne le savaient pas ou n’osaient se l’avouer. Avaient-ils peur que, cherchant le bonheur, sollicitant la joie, les Autres eussent pu tourner en ridicule leur ingénuité, leur naïveté ? Sans doute y avait-il de cela. Le Monde d’Avant était si empêtré dans ses multiples contradictions que tout ce qui déviait de la règle commune était voué aux gémonies. Le Siècle avait répudié la Poésie, elle était trop ingénue, témoin d’esprits de doux rêveurs ne vivant que dans d’illisibles marges. Le Siècle avait renié toute approche sensible, sentimentale, des choses, leur préférant l’exactitude des chiffres, la rutilance des gains, la richesse éblouissante au bout du chemin. Le Siècle avait condamné les Lettres et les Arts pour ne retenir, de l’aventure humaine, que les certitudes matérielles dont ils pensaient qu’elles les sauveraient du désastre. Ce faisant, leur esprit s’était racorni, leurs âmes étrécies à un espace si étroit, elles n’avaient plus que la taille du ciron. La Métaphysique, ils l’avaient raillée car ils n’accordaient de crédit qu’à ce qu’ils voyaient, ils ne retenaient et n’entendaient du monde que ses espèces trébuchantes et sonnantes. En définitive et d’une manière totalement paradoxale, c’était une figure du Mal, l’Hydre redoutable en l’occurrence, qui leur avait ouvert les yeux, leur offrant par son sacrifice final, l’une des vertus les plus estimables, ce Bien qui les avait rendus à eux-mêmes dans la plus exacte perspective de leur humanité. Un avenir lumineux se montrait qui effaçait tous les miasmes anciens, abolissait toutes les erreurs passées, gommait tous les comportements inadéquats.

EPILOGUE

L’avion dans lequel Joy effectuait ses voyages, s’il traversait parfois encore des ciels agités et si, sur la Terre, des exhalaisons non totalement résolues faisaient, ici et là, leurs taches ombreuses, il n’en demeurait pas moins que les Terriens, après avoir été légers et inconscients, avaient grandement progressé, renonçant peu à peu à leur égocentrisme, ne se considérant plus comme le nombril du Monde, prenant soin de la Planète et des Autres. Bien évidemment, Lecteur, la connotation morale ne t’aura nullement échappé. Mais sans règle éthique, l’existence n’est qu’un désert où ne poussent que des plantes amères, desséchées, où le peuple des Hommes ne peut trouver de site accueillant sa longue marche. Les Nomades se guident grâce à l’observation du ciel étoilé, au sein de cette généreuse Nature, notre Mère à tous. Ils se servent de ‘L’Etoile du Berger’ pour orienter leur destin. Première étoile apparaissant le soir, dernière étoile s’éteignant le matin. Comme une allégorie infiniment lumineuse encadrant la nuit de l’inconscience et, sans doute, l’éclairant de loin. N’est-ce pas une Vérité que ceci, deux éclats du Bien de part et d’autre d’une ombre maléfique ? Les Bergers, de tous temps, ont été hommes d’une grande sagesse. Puissent-ils nous inspirer quant au chemin à suivre, nous les Distraits qui avançons sans le savoir vers notre être, n’en percevant ni les limites, ni l’immense effusion qui en brode l’essence ! Toujours il y a plus à voir que ce que nous voyons !

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