Le parc (1.3.5)

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Tome 1 > chapitre 3 > partie 5

De nombreux petit parcs parsemaient Sciscere. Le plus grand avait été créé par un ancien empereur il y a fort longtemps. Son origine avait toujours empêché qu’il fût remplacé par des habitations. Une forêt occupait son centre, si grande que même des cerfs y vivaient.

Istinie et Anaelis s’y rendirent et choisirent un lieu à l’ombre des peupliers, au bord de la Lisurne. Elle défit ses chaussures et remonta sa jupe pour s’asseoir dans l’herbe, révélant des pieds aussi gracieux que ses mains, des chevilles fragiles, des jambesfines.

Ils restèrent un moment à regarder les nuages. Elle n’osait parler, il se perdait dans ses pensées.

Avant qu’elle ne s’endormît dans la quiétude du moment, elle dit tout simplement :

— Un dragon.

— Où ça ? demanda paresseusement Anaelis.

Toujours allongée, elle leva nonchalamment le bras en direction d'un nuage.

— Là.

Il rit. Elle fut contente d’elle.

Il désigna un nuage à son tour.

— Un écureuil, dit-il.

— Facile celui-là.

— Autant que ton dragon, se moqua-t-il.

— Voyons-voir.

Elle chercha un peu, le temps que les paresseux nuages avançassent.

— Un lion, dit-elle.

— Ça ? Il est difforme ton lion, il vaudrait mieux l’achever, pauvre bête.

— Je trouve ce lion particulièrement beau. Très certainement le plus beau lion-nuage qui soit.

Ils rirent de bon cœur.

Elle se sentait bien, le repos après la marche, la présence d'Anaelis, des jeux d’enfants, une confiance entre eux qui la rassurait.

Elle imita un rugissement qui tenait plus du miaulement rauque chez elle.

— Oui, c’est bien le bruit que ferait ton lion ! Mais c'est un rugissement de tigre ça.

— Cela est vrai, je l’avais oublié, dit-elle.

— Tiens, tu le savais ? demanda-t-il.

— Je passais du temps au zoo avec ma famille étant enfant.

Elle eut une pointe de nostalgie à cette pensée. La propriété familiale, le château, le jardin intérieur, les maîtres, tout cela appartenait au passé. Ses frères lui manquaient, sa sœur encore plus. Elles étaient toutes deux grandes à présent et auraient eues encore beaucoup de choses à partager.

A contrario, Anaelis s’illumina en entendant parler de zoo.

— Tu sais qu’ils ont une panthère des neiges ici depuis peu ! Elle est sublime, toute claire et tachetée, son pelage a l’air si doux, on a envie de lui faire des câlins. La queue est aussi longue que le corps, c’est incroyable ! Et quelle adresse, il faut la voir grimper aux arbres ou sauter ! Tu sens un calme et une assurance chez elle qui sont magnifiques, comme lorsqu’elle sort d’une cachette : elle avance une patte, puis l’autre, lentement, le buste en avant, elle regarde son territoire. Une fois j’ai passé une heure à la chercher des yeux, sans succès. Peut-être était-elle dans sa tanière avec son petit.

Elle se mit aussi à parler d'animaux, emportée par l’engouement qu’elle entendait. Ils évoquèrent chacun leurs préférés, les animaux antiques, ceux que personne n’avait vu depuis des siècles, les kananes aussi, ces nobles et rares félins. Ils finirent par s’accorder sur le vrai cri du lion, une sorte de "mwaheu".

— Là ! Un vrai lion-nuage, fit-elle en désignant le ciel.

Ils rugirent tous deux comme des tigres.

Leur après-midi touchait à sa fin, le soleil descendait lentement, les écureuils et lion-nuages prenaient des couleurs chaudes.

— Une femme, dit Anaelis.

— Je ne la vois pas.

— Juste ici, regarde, la courbe de sa hanche, fit-il en désignant le nuage.

— Est-ce tout ? Cette légère courbe te fait donc penser à une femme ?

— Parfaitement, répondit-il sans humour.

Elle hésita un moment avant de se lancer d'une voix moins assurée.

— Comment les aimes-tu, les femmes ?

— Comme elles sont, répondit-il.

— Elles sont pourtant bien toutes différentes.

— Détrompe-toi.

— Voilà peu de mots de ta part. Préférerais-tu une panthère des neiges à une femme ?

Il eut un petit rire sans entrain.

— Et toi, comment aimes-tu les hommes ? demanda-t-il.

— Comme ils sont, répondit-elle avec espièglerie.

— Ah ! Me voila fort embêté, comment vais-je te trouver un mari dans ce cas ?

— Pourquoi donc devrais-tu ? J’ai foule de prétendants !

Il fit mine de se retourner et regarder les environs.

— Je n’en vois pourtant aucun. Hé ho les prétendants, montrez-vous ! cria-t-il.

— Arrête ça ! fit-elle, gênée.

— Alors ?

Elle maugréa un peu avant de lâcher.

— Intelligents, courageux, aventureux et drôles.

— Je remplirai presque les critères, mais je ne suis ni courageux ni aventureux, trop risqué et trop fatiguant. Dommage, nous ne nous marierons jamais.

Elle prit cette phrase anodine de plein fouet. Elle avait pensé faire une description de lui, tout en restant honnête avec ses désirs, et ne s’attendait pas à ça. La manière détachée avec laquelle il avait prononcé cela et sa façon de sous-entendre qu’ils n’étaient pas faits l’un pour l’autre la blessèrent profondément. Elle porta une main à sa gorge, frôlant sa petite poitrine, se remémora la courbe qu’il lui avait désignée dans le ciel, elle qui avait toujours estimé ne pas en avoir assez.

— Douce, jolie, intelligente, murmura-t-il.

— Comment ?

— Je disais : douce, jolie, intelligente. Et constructive.

Istinie aurait pu se perdre dans sa déception et ne plus rien dire, mais ce n’était pas son caractère. Elle se ressaisit rapidement.

— Ce devrait être facile à trouver alors.

— Visiblement pas, fit-il d’une voix neutre.

Elle se tourna vers lui, accoudée.

— Constructive ? demanda-t-elle.

— Je ne sais même pas si le mot existe. Constructive, qui a envie de construire, des projets, une relation, une vie, des choses, tu vois, tout ça.

— Je vois. Que manque-t-il alors pour la rencontrer ?

— De l’audace, de la confiance peut-être, que sais-je.

Elle le vit réfléchir, sourcils froncés, contrarié. Il ne dit rien d’autre. Elle n’insista pas davatage.

— Dis-moi, dans ton groupe, il doit bien y en avoir un à qui tu plaises ? reprit-il finalement.

— J’espère sincèrement que non, cela créerait trop de problèmes.

— Ils ne te le disent pas, mais j’imagine que c’est le cas, fit-il d’un air amusé. Sans vouloir lancer des rumeurs bien entendu.

— Cela va de soi. Ne me crois pas avoir attendu ta remarque pour y penser !

— Je me doute, tu es intelligente. Et très jolie aussi. Tu me diras si l’un d’eux se déclare.

Très jolie ? Elle rougit de tout son être et se dépêcha de se rallonger pour qu’il n’en vît rien.

— Je suis sûr que c'est Ghirt, ton guerrier !

—Ghirt ? Je n'y songe pas, répondit-elle. Puis il n'est pas "mon" guerrier, c'est le guerrier de mon groupe.

— Pourtant quelque chose me dit qu'il voudrait bien t'appartenir, dit Anaelis avec malice.

Istinie maugréa et ne répondit rien. La tournure de la conversation ne lui plaisait pas.

— Tu as quand même une sacré chance d'avoir Hones, reprit Anaelis en changeant de sujet. Un apprenti mage dans ton groupe, c’est rare. Comment tu as fait pour l’avoir ?

— L’altruisme ne l'aura certainement pas guidé. Il m’a été facile de le convaincre. Les gens croient mon rang noble être un atout pour l’accès à la chevalerie Sange. Il n’en est rien. Hones n’est pour l’instant que novice, mais quand bien même, tu as raison, c’est un grand avantage pour nous. Nous formons un bon groupe tous ensemble.

— L’un des meilleurs, assurément, dit-il sincèrement

— Le tien aussi est riche de qualités, dit-elle. Lindsie sera-t-elle présente ce soir ?

— Oui.

— Je l'aime bien, cette érudite.

— Érudite, dit Anaelis en riant. Elle parle quatre langues, tu te rends compte ?

— J’en suis à cinq pour ma part, dit Istinie avec une pointe de fierté.

— Tiens ? Raconte-moi.

— Ma mère voulait me voir en parler plusieurs, j’y ai pris goût et souhaité la maîtrise d’autres. Il est merveilleux de pouvoir communiquer avec des gens qui, au final, ne sont pas différents de nous, mais parlent juste différemment.

— Vous m’impressionnez toutes deux.

— Je te remercie. Quel est son domaine de prédilection dans ton groupe ? demanda-t-elle.

— Elle en a trop en fait. Elle connaît l’histoire du Continent, mais aussi la géographie des pays, l’étiquette, vu qu’elle est avant tout diplomate. Les lettres, les langues, comme dit précédemment. Vraiment, Lindsie est une personne rare.

— Alors nous nous ressemblons elle et moi. Ces domaines font aussi partie de mon éducation.

Anaelis se tourna pour la regarder.

— Alors tu es une personne rare aussi. Mais ça je le savais déjà.

Elle le chassa d’une main afin qu’il ne la vît pas rougir de nouveau.

— Ainsi son rôle dans le groupe sera la diplomatie ? demanda-t-elle.

— Oui, en partie, et elle me sert de garde-fou. Si une décision que je prends est contraire au Bien, ou a déjà été tentée sans succès, elle le saura.

— Je vois, dit-elle. Mais pourquoi donc prendrais-tu une décision contraire au Bien ?

— Je suis souvent trop... radical.

— De ce que je connais de ton groupe, reprit Anaelis, si je devais le résumer, je dirai : une commandante intelligente, douce et pugnace, un mage dilettante, un combattant sans cervelle et un alchimiste fou.

— Quant au tien, dit-elle du tac au tac, un charmant commandant bougon, une peste combattante, un ours séducteur et une courtisane de riches.

— Ça promet.

— Comme tu le dis.

— On y arrivera, dit-elle en levant un main.

— On y arrivera, dit-il en la prenant.

Ils restèrent quelques instants les doigts entrelacés, à regarder un dragon-nuage dériver dans le ciel.

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