Chapitre 37 : Alliance ultime

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DOCINI


J’ai franchi seule la frontière de l’Empire Myrrhéen. Désormais, j’avance en compagnie d’une armée entière. Tout a changé en si peu de temps.

Docini se laissait conduire par son cheval au galop. Tant de tourments l’assaillaient qu’elles se perdaient dans ses réminiscences. Lorsque, juste avant la bataille, une inquisitrice avait frappé à la porte, quémandant son aide d’une voix suppliante. Devant le seuil s’était présenté cette jeune femme au visage satiné, dont les yeux bruns s’inscrivaient par-dessus ses fossettes. Sa carrure svelte ne compensait guère sa petite taille. Aucune épée ne battait son flanc tandis que la tenue de l’inquisition lui paraissait trop large.

Et surtout, elle tremblait.

Docini avait pris soin de vérifier que personne ne les observait. Elle dominait son interlocutrice tant de taille que de musculature, toutefois s’était-elle gardée de l’effrayer. Or la jeune femme, dans un faible sourire, avait témoigné de son approbation.

— Comment t’appelles-tu ? avait demandé Docini.

— Édelle Wisei, répondit la jeune inquisitrice. Et je regrette.

— Qu’est-ce que tu regrettes ?

— D’avoir rejoint l’inquisition.

Reculant, déglutissant, Docini avait finalement reconnu l’identité de la femme. Celle qui s’était recroquevillée quand Godéra a dévoilé le fond de ses pensées. Je commence à comprendre. Un bras tendu suffisait peu à apaiser les esprits troublés.

— Pourquoi ? avait-elle questionné.

— Car on m’a menti. Mes parents m’ont vendu cet ordre comme une opportunité pour moi de faire quelque chose de ma vie. De devenir une héroïne. À croire qu’ils souhaitaient se débarrasser de moi…

— Tu te sens intruse dans cet ordre ?

— Évidemment ! Je manie à peine l’épée. Je n’ai pas eu le temps de m’entraîner que Godéra a décidé de constituer un groupe à la fois composé de jeunes et d’expérimentés vers l’Empire Myrrhéen. Adieu ma zone de confort. Et ma lecture de chevet, que je dois de laisser de côté par sécurité.

— Ma pauvre… Mais pourquoi tu me racontes tout cela ?

— J’ai vu comment notre cheffe te traitait. Elle te méprise, et tu as tellement peur d’elle que tu te plies à ses quatre volontés. Je ne te juge pas, après tout, j’agis aussi de la sorte. Jusque quand ? Demain, nous partirons pour Doroniak. Et j’ai peur, Docini… Je ne suis pas une guerrière, moi !

Et ce disant Édelle s’était jetée dans les bras de Docini. Laquelle n’avait perçu aucun sanglot, mais c’était tout comme. Elle s’était crispée faute de savoir comment consoler sa consœur tressaillante. C’est un peu brusque là, je n’ai pas l’habitude ! Lui tapoter doucettement le crâne ne l’aida guère.

— Nous avons tous peur, avait dit Docini. À nous de la surmonter pour vaincre l’épreuve qui nous attend.

— Et puis quoi ? Nous allons suivre gaiement l’inquisition malgré notre désaccord ? Je le lis dans ton regard, Docini… Il est si semblable au mien. Je ne veux pas tuer de mages. Je ne veux pas verser le sang. Oh, comme je regrette…

Peu à peu elle s’était dérobée du contact de Docini, qu’elle semblait pourtant chérir. Au moment où Édelle avait tourné le dos, elle avait remarqué le regard insistant de sa collègue.

— Tu mentionnais ta lecture de chevet, avait-elle rappelé. Pourquoi est-ce si important pour toi ?

— C’est une simple romance entre une belurdoise et une myrrhéenne dans la ville flamboyante de Lunero Dogah. Banal, et pourtant… Elle m’a aidé à me découvrir. Et maintenant, je dois me cacher.

Une note sinistre avait ponctué le départ de la jeune femme. Alors que son ombre disparaissait dans le couloir, Docini, bras ballants, avait réalisé ce qu’elle avait insinué.

Serais-je capable de la protéger, ainsi que tous ces innocents ?

Et le souvenir s’affadissait pour mieux réapparaître aux moments moins opportuns.

Inquisiteurs, miliciens, soldats. Ils s’étaient rassemblés au sud d’Amberadie et chevauchaient en direction du sud. Des troupes issues d’Unbo, Kisona, Ilhazaos Dielu-Seles et Leïdosil les rejoignirent en chemin. Quelques rumeurs avaient suffi à amorcer le mouvement général, bien que d’autres messagers leur prodiguassent des informations supplémentaires. Bakaden Yanoum, mort ? J’en verserais presque une larme si j’en savais davantage sur lui. Le plus inquiétant est la légalisation de la magie à Doroniak.

Par centaines ils galopèrent à travers le désert. Chevaux gris poussiéreux, blancs et noirs fendaient les étendues de sable à vélocité soutenue. Peu de répits jalonnaient le parcours des défenseurs de la nation, surtout compte tenu de l’urgence de la situation. Certes les montures, quoiqu’adaptées à ce climat, étaient mises à rude épreuves. Les meneurs refusaient de les traiter d’excessive bienveillance. Ils sont habitués, répètent-ils. Pauvres animaux, exploités tels des outils, envoyés dans une guerre qui les dépasse.

Le défilement de panoramas sous un soleil de plomb restreignait les occasions de dialoguer. D’un côté Docini se réjouissait des absences de sermons de Godéra, Adelam et Nerben, en revanche échanger avec Lehold et Édelle lui aurait insufflé au moins un brin de courage. Lui était trop occupés à s’entretenir avec les siens au cours des rares pauses. Il s’agissait également de se préparer à l’imminence de l’assaut. En ce sens, le chef des miliciens taisait les rumeurs vis-à-vis de la surpuissance adverse, quand bien même ses exhortations étaient ponctuées d’hésitations.

Au sein de cette mêlée, au sein de tous ces d’hommes et femmes surentraînés, une intruse interpellait sporadiquement l’inquisitrice. Une jeune femme de petite taille, d’une sinistre maigreur, aux joues creuses, aux cheveux de jais démêlés, habillée d’une tunique brunâtre. Seuls ses yeux bridés luisant d’azur ressortaient. Sûrement une dimérienne. Et une otage, il semblerait.

Docini refoula ses interrogations dans une esquive d’indiscrétion. Néanmoins, alors qu’ils s’étaient arrêtés le long d’une série de palmiers, sa bouche s’ouvrit face aux crachats dont elle était victime, agenouillée à terre, en proie aux larmes. Adelam était l’un des principaux bourreaux.

Notant l’inquiétude sa cadette, Godéra la prit en aparté :

— Ne prête pas attention à elle, déclara-t-elle. Elle n’en vaut pas la peine.

— Puis-je au moins savoir qui est-ce ? s’enquit Docini.

— Taori, une raclure de mage dimérienne.

— N’est-ce pas un peu offensant, comme appellation ?

— Docini, ne me dis pas que tu es sensible à ce point ! Je n’ai rien contre les dimériens, au contraire je pense que nous devrions nous inspirer de leur patience, de leur sagesse et de leur esprit guerrier. Si j’avais plus de temps à disposition, je serais curieuse de découvrir leur littérature. Mais voilà, quand on va jusqu’au bout de ses idées, les mages sont condamnables quel que soit le pays dont ils sont issus.

— C’est une mage ? Je n’ai pas ressenti son aura magique…

— Cette enfoirée le dissimule bien. Les miliciens l’ont repérée tandis qu’elle franchissait la frontière. Elle déployait un flux si puissant qu’une dizaine d’entre eux ont été nécessaires pour l’arrêter. C’aurait été dommage d’éliminer un tel potentiel, tu ne penses pas ?

— Et à quoi servira-t-elle ? Toi qui disais vouloir éliminer tous les mages.

— Pas celles et ceux qui se rendent utiles. Si tu cherches à savoir comment, tu le découvriras demain.

Docini arqua les sourcils. Elle parle directement mais laisse planer un soupçon de mystère. Quels plans ourdit-elle ? Godéra jeta un autre regard vers Taori avant de détourner sa petite sœur de cette vision jugée impure. Posant sa main sur son épaule, elle plissa les yeux comme elle pointait les dunes qui tutoyaient l’horizon.

— L’Empire Myrrhéen, d’apparence inhospitalier, recèle de paysages magnifiques, affirma-t-elle.

— Quel rapport ? douta Docini.

— Tu es si indécise, si rabat-joie ! Toi qui foules ces terres plus longtemps que moi, tu ne considères pas qu’elles doivent être protégées ?

— Comme partout ailleurs. Oui, l’empire n’est pas sans défaut, mais je m’y suis attachée.

— Nous sommes d’accord. Demain sera la concrétisation de tous nos affaires. Qui aurait cru que notre lutte s’étendrait au-delà de la Belurdie ? Nous combattrons aux côtés de Myrrhéens pour éliminer l’infamie. Il n’y a rien de plus beau. Et ce sera l’occasion de prouver ta valeur.

— J’ai déjà prouvé ma valeur !

— Parce que tu as été nommée citoyenne d’honneur ? Peut-être es-tu une héroïne aux yeux des miliciens et de l’impératrice, mais pas pour moi.

Docini déglutit et brisa ce faisant le dialogue. Tout juste parvenait-elle à s’accrocher à l’insistance de son aînée. Voici la triste vérité : l’inquisition me ralentit. Combien de prouesses dois-je accomplir pour enfin montrer à ma sœur qui je suis vraiment ?

— Plaçons-nous en toute objectivité, déclara Godéra. Ton arrestation de Horis Saiden a été bien menée, mais il a fini par s’échapper. L’opportunité en or est devant toi. Jounabie Neit, contaminée par la folie, s’est soumise à la dégénérescence magique. Khanir Nédret, meneur de la rébellion, a propagé ses maléfices dans chaque artère de Doroniak. Horis Saiden, son protégé, le suivra jusqu’à la mort. Trois têtes à saisir. Fais-en tomber au moins une des trois et tu deviendras une héroïne.

Godéra tapota le crâne de Docini tout en lui flanquant un sourire arrogant.

— Bonne chance, souffla-t-elle.

Et elle rejoignit le peloton principal afin de s’en désaltérer. Derrière, telle une lointaine spectatrice, Docini se réfugia dans la saveur du pain plat tartiné de tapenades d’olive noire. Au moins la nourriture ne la décevrait jamais.

Une légère pression me tombe dessus, non ? Comme si j’étais l’unique parmi tous à pouvoir triompher de nos ennemis. Notre victoire, si nous l’obtenons, sera un résultat collectif et non individuel !

Il était futile de se claquemurer dans la négativité quand la digestion œuvrait. Dès le départ, Docini était consciente que tout dialogue avec Godéra se heurtait à ce type d’impasse. Édelle le lui avait rappelé. Elle coopérerait. Elle chevaucherait aux côtés de ses alliés. Mais elle n’aurait de compte à rendre à personne.

Ils atteignirent le fleuve Nozwé près duquel soldats et miliciens Mospo et Mezilara les rejoignirent. Quelques jours plus tard eut lieu la concrétisation. Quand ladite ville se découpa à l’horizon. Les murailles, d’abord si lointaines, se dressèrent alors à quelques dizaines de mètres de leur position. Par-delà l’alignement de centaines de combattants, prêts à assiéger une cité entière. Là où les attendait un grand nombre de gardes.

Une femme se distingua de cette nuée de protecteurs. Au loin, elle apparaissait telle une silhouette brumeuse, s’érigeant cependant comme la digne défenseuse de la cité.

— Jounabie Neit ! cria Lehold. Il est encore temps de vous rendre. Il est encore temps d’éviter le bain de sang.

— Assez de ces formalités ! hurla Jounabie, sa voix résonnant sur des dizaines de mètres. Vous n’avez pas quitté votre confortable capitale pour me proposer la paix. Si nous nous rendons, si nous renonçons à notre insoumission, le sort qui nous attend sera pire que la mort. Ne me prenez pas pour une idiote. La torture est l’une de vos spécialités.

Docini perçut des hennissements. Ses mains se crispèrent davantage sur la bride. Penchée, attention rivée vers la négociation, elle flatta l’encolure de sa monture. Elle restait en retrait, au contraire de Godéra, qui fit s’avancer son cheval.

Mais la cheffe ne progressait pas seule. Aux pieds de l’animal, réduite à similaire condition, Taori claudiqua sur une distance identique. Une corde était nouée autour de son cou. Godéra la maintenait avec fermeté et tirait régulièrement, gestes dépourvus de toute hésitation. Qui est le véritable monstre ? De la bile remonta dans la bouche de Docini : elle s’évertua à la ravaler.

— Vous êtes bornée, provoqua Godéra.

— Ah oui ? répliqua Jounabie. Qui êtes-vous donc, interventionniste, pour me juger ainsi ?

— Godéra Mohild. Cheffe de l’inquisition de Belurdie. À ma droite, Adelam Ordun, mon second. À ma gauche, Lehold Domaïs, meneur de la milice impériale. Malgré nos appellations différentes, nous partageons un but identique : éradiquer les mages de notre monde.

— Une ambition irréalisable. Du flux magique s’écoule en chacun de nous. Renier son existence, c’est renier notre nature. Avez-vous envie de détruire l’humanité ? De plus, Godéra Mohild, je connais votre nom. À l’époque, vous n’étiez que la seconde et, frustrée que Kalhimon trouve sa nouvelle voie, vous avez fondé votre propre branche.

— Il n’y a pas de place pour les modérés !

— Nous nous accordons sur au moins sur un point.

Plus le ton des deux femmes grimpait, plus les nerfs de Lehold se durcirent. Il entreprit d’avancer sa monture. Ainsi s’impliqua-t-il de nouveau dans les pourparlers :

— Ne nous emportons pas ! Il existe forcément une solution.

— Visiblement, tu n’as pas écouté nos dernières affirmations, trancha Godéra. Devant nous, à l’abri en haut de sa muraille, une arrogante criminelle se dresse. Soumise à la vermine magique, elle est prête à sacrifier des honnêtes gens pour ses convictions.

— Vous gâchez notre aubaine ! riposta Jounabie. La prospérité mondiale ne sera jamais obtenue tant que la liberté n’aura pas été imposée à tous ! Combien de braves gens sont morts sous l’injustice de la purge ? Et vous, belurdois, osez imiter des intentions de génocide ?

— La Belurdie n’imite pas l’Empire Myrrhéen. Des sages réformes doivent accompagner chaque pays. Mais inutile d’en déblatérer, hein ? Vous campez sur vos positions. Vous refusez d’admettre la réalité. Votre erreur a coûté la vie à bon nombre d’innocents, et d’autres périront !

— Je gaspille ma salive avec les ennemis du peuple. Vos intentions sont sans équivoque, mais comment espérez-vous les concrétiser ? Ces murailles résistent depuis des siècles ! Vous auriez dû amener des catapultes ! À moins que le but du siège soit de priver les milliers de citoyens de provisions ?

— Qui a dit que nous avions besoin de catapultes ?

Sur ces mots, Godéra tira la corde d’un coup sec, et Taori tomba à genoux, presque recroquevillée sur le sable. Lehold en pinça les lèvres, et des murmures désapprobateurs circulèrent parmi bien d’autres combattants.

— Apprenez de vos adversaires ! beugla la cheffe. Pour surpasser ses opposants, rien de tel que d’exploiter ses propres outils !

Taori s’inclina à contrecœur sur injonction de Godéra. Avec tâtonnement, traits ravagés à son inclinaison, chacun de ses doigts s’enfonça dans les grains. Des ondes de choc déchirèrent les environs, se propagèrent à vélocité inouïe, accélèrent de façon constante. Il se dégageait une émanation si puissante de la mage que beaucoup furent tentés de reculer.

Mais c’étaient bien les murailles qui étaient visées. Jusqu’au terrible impact au retentissement assourdissant.. Une pléthore de fissures se format tandis que la secousse générée se répercuta à travers la ville entière.

— Retirez-vous ! ordonna Jounabie. Cette partie va s’écrouler !

La dirigeante se sauva d’un bond prodigieux, rejoignant ses gardes juchés à sa droite. Pareille salvation n’attendit guère les plus lents et mal placés : les briques crues dégringolèrent l’une après l’autre. De la poussière se souleva à la chute des malheureux, couvrit les jaillissements de sang d’un assourdissant fracas. Des colonnes entières se dissipaient encore dans les airs des minutes après le déclenchement du sort. Tout un passage se délivra par la même occasion puisque l’amas de blocs tapissait les douves.

C’est de ce potentiel-là dont Godéra parlait…

— Horreur ! beugla Jounabie, paniquée. Vous n’allez pas détruire nos fondations. Notre peuple ne périra pas sans se défendre !

Sa voix perdait en netteté nonobstant les amplifications de la dirigeante. Quand de tels échos parvinrent aux belligérants, ces derniers se positionnèrent pour l’assaut. Lehold, bouche bée jusqu’alors circula au-delà des siens, croisant les militaires du regard.

— Miliciens, soldats, inquisiteurs ! sollicita-t-il. Une ouverture se présente à nous. Saisissons-la avant qu’il ne soit trop tard ! Rappelez-vous cependant que la richesse de Doroniak réside en ses citoyens. Eux-mêmes sont victimes de la tyrannie de Jounabie Neit. N’oubliez jamais qui sont vos vrais ennemis ! En avant !

En braquant sa hache d’armes vers la cité, Lehold amorça le signal de l’assaut. Il fut le premier parmi les troupes à dégainer, à exhorter son cheval au galop, à se ruer vers cette fraîche brèche. Bientôt des centaines le rejoignirent, et ensemble ils formèrent l’incoercible légion de cavaliers.

Docini exhala un souffle, son cœur tambourinant dans sa cage thoracique. Bien vite elle avisa son retard et s’adapta à la cadence du peloton. Sur sa lancée, elle jeta un ultime coup d’œil derrière, là où Taori s’était pelotonnée, comme vidée de sa substance, laissée pour compte dès son utilité achevée.

Pourvu que ma sœur lui épargne de futurs tourments… Malheureusement, je ne dois plus me soucier d’elle maintenant. La bataille se situe devant moi. Et elle ne laissera personne indemne.

Désolée, Taori, pour le traitement que tu as subi.

— Mages ! réclama Jounabie. Réagissez ! Tuez-en un maximum avant qu’ils ne franchissent les murailles ! C’est vos vies qui sont en jeu, pensez-y !

Docini redressa le chef, et aperçut alors à qui la dirigeante s’adressait. Des mages occupaient les toits des bâtiments à proximité de la nouvelle entrée. Ils avaient planifié un minimum. Une armée qui se dirige vers l’une des plus grandes cités d’un empire passe rarement inaperçue. Ils se concernèrent dans le déploiement des bras : des particules lumineuses, emportées dans un mouvement hélicoïdal, montaient de pleine intensité.

Le ciel s’assombrit.

Des éclairs s’illuminèrent dans l’amoncellement de nuages d’incomparable grisaille.

Et quand le grondement du tonnerre parvint à leurs tympans, ils réalisèrent quelle puissance avait été rassemblée.

Des jets de foudre s’abattirent de part et d’autre des troupes. Si célères que toute esquive parût insensée. Si efficaces que la dizaine de cavaliers abattus pérît sur le coup. Maints impacts touchèrent le sol, d’où décollèrent des masses de sable, aveuglant quiconque se trouvait à proximité. La discorde est semée. La mélodie de la fatalité est entonnée à tue-tête.

— Brandissez vos armes ! enjoignit Godéra. Déviez leurs sorts !

Les cavaliers s’appliquèrent à l’approche de la seconde salve. Néanmoins, non seulement d’autres s’écroulèrent, mais des sphères enflammées accompagnèrent les rafales d’éléments issue du ciel. Il suffisait des secondes et les volontés de conquête se trouvaient caduques. Ces hommes et femmes, rassemblés dans un but commun, succombaient en masse, ce avant même de pénétrer à Doroniak. Édelle manqua de peu d’être touchée, puis sa monture bifurqua auprès du second qui brandissait sa lame.

Foudres et boules de feu pleuvaient en continu. Seule une fraction négligeable gagnait les pointes du métal, alors renvoyés vers les assaillants, quoique trop éloignés pour un impact significatif. Docini avait beau inciter son cheval d’aller au triple galop, elle craignait chaque seconde d’être la prochaine victime.

Connaissais-je ces soldats et miliciens ? Je ne pense pas. Portaient-ils tous des idéaux nobles ? Sûrement pas. Et pourtant… Et pourtant…

Des tourbillons de flammes dévoraient les uns, des éclats éblouissants fauchaient les autres. Cavaliers et montures se heurtaient en même temps à la fin d’une si longue traversée.

Un instant suffit pour que la vie s’achève. Pour que toutes les luttes se terminent dans le vide et l’absurdité. À quoi bon se rues tels des désespérés si un implacable destin nous accueille ? L’existence en perd un sens. Telle est l’ironie des batailles.

La densité des troupes diminuait au contraire du déferlement de flux. Atteindre les murailles constituait l’aubaine à saisir, et à la vitesse à laquelle galopaient les chevaux, l’objectif leur tendait les bras. Déjà les cavaliers en tête du peloton firent bondir leurs montures par-dessus les gravats.

— Ils ne peuvent plus nous toucher d’ici sans dommages collatéraux ! se réjouit Nerben. Profitons-en !

Après tous ces morts, il arrive encore à se pâmer ? Les mages trouveront d’autres solutions pour nous assaillir.

Docini se situait au milieu de la troupe. Près de deux cents cavaliers avaient déjà pénétré dans Doroniak au moment où elle et sa monture harassée les suivirent. Militaires, miliciens et inquisiteurs se dispersèrent alors dans l’infini dédale de la ville portuaire.

Un véritable enchevêtrement d’allées… Impossible de se repérer. Et pas le temps d’admirer.

— Les envahisseurs sont là ! hurla une citoyenne. Vite, réfugiez-vous !

Des mouvements désordonnés contribuèrent au chaos local. D’une part fonçaient des cavaliers, armes au poing, prompts à estoquer ou transpercer quiconque offrait un peu de résistance. D’autre part se rassemblèrent des gardes, perdus en cris distordus, ripostant du mieux qu’ils purent, malgré la différence de hauteur et de rapidité. Entre eux deux couraient des citadins dans tous les sens. Ils claquèrent leurs portes, verrouillèrent la serrure à double tour. Au-delà des murs pourtant épais perçaient des hurlements à en glacer les veines.

Trop tard pour que les innocents en réchappent…

Un temps durant, les armes supplantèrent la magie dans l’exercice de la violence. Des lances embrochèrent. Des cimeterres démembrèrent. Des hallebardes décapitèrent. Des haches fendirent des crânes. Ainsi coalisées pour mieux engendrer agonies ponctuées de borborygmes. Toutes réunies pour semer des dépouilles dans tous les quartiers de Doroniak. C’était au sein de cette multitude, où plus personne n’entendait les sanglots, que les attaques à l’aveugle s’opéraient.

Docini se perdait. Les silhouettes familières se dispersèrent. À chaque virage se multipliaient les assauts. De montures renversées à combattants transpercés, un faible écart séparait les assiégeants de la fatalité. Or son propre cheval ralentit à force de trotter sur le dallage. Même si elle peinait à le maîtriser, même si son épée manquait de glisser de ses mains, elle réalisait l’importance de sa présence. Sur son passage, elle semait elle aussi des cadavres. C’était ce pourquoi elle était venue. La raison de son engagement à l’inquisition. Quitte à verser de colossales quantités de sang.

Où aller ? Nous n’avons aucune stratégie ! Nous nous contentons de nous ruer à l’aveugle !

Ses yeux s’écarquillèrent lorsque ses impressions se renforcèrent. Pour cause, un garde portant une lance en acier se manifesta d’un cri hystérique. Signe de témérité abusive ? À peine Docini eut le temps de le repérer que sa lance traversa la chair de son malheureux cheval. Dans un ultime réflexe, l’inquisitrice trancha l’assaillant. Mais l’acte combinée à la chute du destrier eut raison de son équilibre.

À sa collision contre un mur, le dos frappé de plein fouet, Docini sombra dans les limbes de l’inconscience.

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