Chapitre 8 : Invitée impériale (1/2)

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DOCINI


Loin de chez elle, privée de tout repère familier, elle ignorait si elle s’intègrerait dans la cité d’Amberadie. Peut-être y était-elle parvenue à un moment inopportun.

Je suis ici pour une raison bien précise ! Je dois juste suivre ces hommes et femmes en uniforme. Ils sont des héros. Ils ont déjà fait leurs preuves.

Une route esquissée, inscrite de dallage ocre, indiquait la voie à suivre. S’étendait Amberadie dans une vague de chaleur tempérée par certaines ombres. Par-delà les habitations en plâtre, chamottes et moellons, riches de courbures et d’embrasures, les couleurs de l’empire exerçaient leur domination. Les sabots de leurs chevaux claquaient davantage tandis que des rafales de vent sec s’abattaient sur leur équipement.

Et une foule excitée accueillait cette milice en direction du centre de la capitale.

Une once d’humidité effleura l’inquisitrice. Si son propre symbole luisait moins en ce zénith défavorable, elle ne relâchait aucune bride pour autant. Peu de citadins, fussent-ils inaccoutumés à une telle présence, orientait leur attention vers elle. Cette vingtaine de défenseurs de leur patrie les intéressait bien plus. Aussi suivirent-ils le rythme de leur monture jusqu’à Place Suprême.

Pour autant Docini succomba à l’attractivité des lieux. Un superlatif peut-être, mais ce nom est justifié ! Un pavé constitué de triangles dorés cerclait un pentagone de platanes, au centre desquels trônait une sculpture en cipolin. Y était représenté un orbe fendu par une hache, un tout maintenu en équilibre par des carreaux en céramique. J’ignore encore tout des myrrhéens, mais ils ont le sens de la présentation. Je le préfère même au symbole des inquisiteurs !

Le décor l’écrasa outre mesure une fois descendue de son cheval. Jamais elle n’aurait imaginé autant d’éminentes structures à une telle proximité. Des dômes à perte de vue. Ils s’élevaient sur des dizaines de mètres, diaprant du céruléen à l’orangé, chacune soutenue par une demi-douzaine de piliers. Entre ces richesses insoupçonnées s’imposaient des tours ivoirines, seules à même de rivaliser avec leur hauteur. Peu d’êtres humains pouvaient s’enorgueillir de rivaliser avec elles.

L’impératrice Bennenike appartenait à cette infime catégorie.

Les rumeurs mésestimaient sa grandeur… Docini plaqua sa main contre sa bouche : des larmes naquirent au creux de ses yeux comme des frémissements la gagnaient. Il s’agissait bien de la souveraine du territoire le plus puissant connu. Grande de taille comme de prestige, une cape ambrée soutenant ses foulées, vêtue d’une ample tunique à boutons dorées. Elle émergeait d’une ombre étendue, en-dessous d’un enchâssement d’arcs outrepassés. Une femme basanée, probablement sa garde du corps, marchait à même hauteur qu’elle.

En ces lieux, Docini dégoulinait plus de banalité que de sueur. Ainsi échoua-t-elle à se frayer un passage parmi l’affluence, autant noyée dans ce tintamarre. Comment une foule aussi dense peut vivre au quotidien ? Ils doivent être des centaines de milliers à peupler cette ville ! Amberadie n’est pas surnommée « La lueur du désert » pour rien. Tout ce qu’elle repéra fut l’homme à la tête des miliciens. Pour sûr qu’une myriade d’applaudissements l’accueillit lorsqu’il descendit de sa monture et se réceptionna avec grâce et hâte sur le pavé.

Bennenike dévora l’invité du regard. Lui qui étincelait d’yeux bruns et d’un nez camus au sein d’un visage ébène aux parfaites proportions tira un sourire en coin. Une barbe naissante détonnait avec l’élégance de ses épaisses tresses noirâtres. Au lieu de la broigne rouge et noire de ses subordonnés, une brigandine en velours pourpre, accompagnée d’une cape vermeille, accentuait sa robustesse doublée de joliesse.

Il posa un genou à terre, par-devers sa souveraine.

— Me voici arrivé, ô glorieuse impératrice ! salua-t-il. Que puis-je faire pour vous servir ?

— Relevez-vous, pour commencer, exigea Bennenike. C’est un honneur de vous accueillir, Koulad Tioumen.

— Un tel titre doit être digne de votre prestige. Je m’y suis efforcé jusqu’à présent et je continuerai.

Koulad se plaça à même hauteur que son impératrice. Il était aisé pour eux de se fixer dans les yeux puisqu’ils avaient une taille similaire, tous deux plongés dans une insistance lourde de sens, dans la vocation de paraître et de servir.

— Mon prestige seul ne suffit pas, avança Bennenike. J’incarne juste la volonté citoyenne, or elle doit être affermie et respectée. Chaque serviteur de l’empire contribue à sa grandeur et à sa prospérité, bien sûr, mais vous vous êtes hissé au-delà des espérances. Vous avez foulé maints lieux pour lutter contre l’infamie. Vous avez uni des protecteurs de toute origine, unis désormais sous la bannière de la milice. Vous êtes l’homme idéal pour agrandir ma succession. Koulad Tioumen, notre mariage scellera notre alliance, pour l’avenir de l’Empire Myrrhéen !

Une pléthore d’ovations salua ces illustres personnes, sous la puissance d’une armada de sourires. Maintenant que j’y pense, son nom me parle. Sa réputation le précède ! Il a fait toute cette preuve, alors son avenir lui est offert sous la bénédiction de la toute puissante impératrice. Est-ce qu’une étrangère peu expérimentée, fût-elle d’un ordre aux objectifs communs, peut avoir les mêmes ambitions ? Jamais je ne le saurai si je ne m’impose pas.

À peine Docini se fraya-t-elle un chemin dans la densité qu’une bousculade la déséquilibra. Si l’homme responsable s’excusa dans un murmure, son visage resta déparé d’une grimace, nuisant quelque peu à la progression de l’inquisitrice. Elle vit tout de même Bennenike claquer des doigts. Et la foule se tut.

— Retournez à votre devoir, exigea-t-elle. Rassurez-vous, cette union revêt une importance symbole, c’est pourquoi, contrairement aux deux premières, la cérémonie se fera en public. Mais nous devons la préparer avec minutie, et avant cela, nous entretenir en privé. Nous nous retirons au palais.

La foule se dispersa, aussi prestement qu’elle s’était conglomérée. Seuls demeurèrent les troupes de Koulad, lesquels s’accordaient à ses instructions en toute circonstance. De l’air et un chemin se libérèrent pour Docini. Elle devait néanmoins rattraper l’impératrice et ses suivants. Parmi eux, sa garde du corps semblait particulièrement loquace.

— Comment était le nord-est ? demanda-t-elle, trépignant en l’attente d’une réponse. Souniera m’a toujours intriguée.

— Plus humide, répondit une milicienne à sa hauteur. On marchait sur de la roche et non sur du sable. Il y avait quelques jolies plaines là-bas, des rivières plus abondantes que nos oasis. Il y faisait plus tempéré aussi.

— Mais encore ?

— Vu que tu as dû rarement quitter la capitale, sans offense Badeni, je me disais que ça devait t’intéresser de savoir à quoi ça ressemblait. Pour le reste, rien de bien intéressant à raconter, sinon des gens chaleureux, des bâtiments colorés, et une cuisine riche en poissons ! Ce n’est pas comme si on était tombé sur des mages.

— Aucun, vraiment ? Mais je croyais qu’ils se terraient au nord !

— Entre les rumeurs et la réalité, il y a parfois un monde. Ou alors il faut regarder au-delà. Le plus ironique serait que certains se soient réfugiés dans les Terres Désolées, mais je ne pense pas. Peut-être qu’il faut investiguer au-delà des mers. Dans les contrées glacées. C’est hors de notre portée, ceci dit.

— Mais il y a un autre nord dans nos portées. La Belurdie. L’Enthelian.

— La magie est aussi interdite en Belurdie. En Enthelian, non, et c’est en effet un gros problème. Combien se sont réfugiés dans ce pays ? Il faudrait qu’on nous envoie le conquérir, tiens. Ce sera une autre région de l’empire.

Ce sujet me concerne ! Je peux leur raconter la situation dans mon pays. Leur faire comprendre que nous partageons le même objectif ! Mais ces ambitions… Conquérir l’Enthelian, est-ce une idée vaguement mentionnée ou un véritable projet ? L’inquisitrice accéléra la démarche, mais sitôt les avait-elle rattrapé que plusieurs se retournèrent vers elle. Badeni la première, pointant sa hallebarde argentée vers elle.

— Qui es-tu ? agressa-t-elle.

— Attendez ! supplia Docini. Je suis votre alliée !

— Ah bon ? Je ne te reconnais pas. Peux-tu prouver tes dires ?

— Je suis inquisitrice ! Je suis alliée à l’empire !

Chaque milicien se figea. D’aucuns dévisagèrent davantage la jeune femme tandis que d’autres virent leur trait se durcir. Koulad tenta une approche, jaugea d’un premier regard avant de se conformer à l’opinion de l’impératrice. Or ses paupières se plissèrent en contemplant cette personne issue de lointaines terres.

— Ce symbole…, décela-t-elle. Vous êtes de l’ordre des inquisiteurs de Belurdie ? Déclinez votre identité.

Aussitôt Docini imita le geste de Koulad, inclinée face à la plus pure autorité, courbée face à l’insatiable soif de recrutement.

— Docini Mohild, se présenta-t-elle. Envoyée pour vous servir. Je m’échinerai à obéir à toutes vos directives.

— Intéressant ! fit Bennenike. J’avais demandé à votre cheffe d’envoyer une émissaire en vue d’une fructueuse collaboration. Au fond, ma milice et votre inquisition partagent le même but, bien que le vôtre ait été divisé.

Docini s’empourpra, sans toutefois le dévoiler d’une franche posture. Main sur son menton, Bennenike l’examina de la tête aux pieds d’un sourcil arqué, ce contre quoi l’inquisitrice se sentit comme pétrifiée. Ne rien laisser transparaître. Je dois être digne de mon ordre !

— L'inquisition a été épurée de ses éléments récalcitrants, rebondit-elle. Ma loyauté vous est acquise, soyez-en assurée.

— Cela, je n’en doute pas, dit Bennenike. Vos qualités, en revanche, ne ressortent pas directement. Mais discutons-en dans un cadre plus privé. Je remarque que mes miliciens vous mettent mal à l’aise.

Je suis si indiscrète que cela ? Le dédain de la souveraine semblait confirmer ses pensées. Docini ravala sa fierté pour mieux se conformer à l’avancée du groupe. Suite à quoi ils cheminèrent vers la convergence des pouvoirs et de l’architecture. Elle qui avait tant fantasmé sur les grandeurs du Palais Impérial ne s’en pâma guère outre mesure une fois parvenue à ses portes. Certes ses jardins et ses structures outrepassaient ses conceptions. Pourtant sa vision se limita aux enjambées répétitives des gardes sous le grondement terrifiant de l’entrée.

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