Chapitre 39

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Joren entra dans la cité de Lengelbronn sous les vivats de la foule. Au trot, à visage découvert et arborant sur sa cape épaulée la tête de lion d'or et d'azur, il rendait ponctuellement les saluts enthousiastes par un bref hochement de tête. Les chevaux écrasèrent de leur sabots les branches de sapin blanc qui avait été jetés sur la route en son honneur.

— Je vois que votre nom sonne toujours favorablement aux oreilles des dalsteinis, commenta le capitaine de sa garde en se penchant légèrement vers lui.

— Oui, malgré les rumeurs, je suis heureux de voir que beaucoup respectent le choix de mon père... Nous verrons jusqu'où leur ferveur ira dans ces prochains mois...

Jusqu'à sa route au Palais Impérial, la foule s'accumula sur les trottoirs, on le saluait depuis les balcons des immeubles aux jolies façades de fer forgées, on stoppa les omnibus, les fiacres et autres berlines pour voir sa célèbre compagnie.

— Que Délia vous bénisse !

— Ta Gloire est dans nos racines et dans nos racines se trouvent ta Gloire !

— Place à Joren Fretnarch Primtis, Héritier du Saint Empire de Dalstein !

Les immenses grilles dorées du Palais Impériales s'ouvrirent. Contrairement à sa dernière visite à la capitale, il était cette fois-ci attendu. Plusieurs nobles et fonctionnaires se tenaient prêts à l'accueillir, encadré par des chevaliers aux regards ouvertement malveillants.
En mettant pied à terre, Joren vit Ottmen et ne put s'empêcher de serrer le poing. Les visages de ses amis morts au combat surgirent dans sa mémoire. Pour la première fois depuis son départ du Nord, il perdit patience et jeta d'un geste rageur les rênes de sa monture au premier palefrenier venu.

Ottmen s'avanca :

— Votre Altesse Impériale, au nom de la mère et de ses enfants, vos hommes doivent rendre les armes comme il est d'usage dans l'enceinte du Palais.

Le ton de sa voix était rempli de rage et de ressentiments. Joren s'adressa à ses hommes :

— Déposez vos canons et vos lames !

Sa voix tonna si fort que les personnes présentes sursautèrent. D'un seul geste, les garde de sa compagnie donnèrent leurs armes aux chevaliers.

Joren fendit la petite foule sans un regard pour Ottmen et quitta la cour pour pénétrer dans le Palais. Ses hommes le suivirent, secrètement toujours porteurs de poignards et autres couperets invisibles, les chevaliers allèrent à leur suite, suivit par les personnes ayant été chargés de les accueillir.

Agacé par cette ribambelle de témoins, Joren monta les marches quatre à quatre et longea les couloirs d'un pas vif.

Il savait que le Palais tout entier se méfiait à présent de lui et que ses gestes étaient étroitement surveillés. Son arrestation pouvait avoir lieu d'un instant à l'autre. Combien de temps faudra-t-il, avant que ces regards suspicieux et accusateurs ne descendent dans les rues de l'Empire ? Qui parmi ceux qui l'applaudissent aujourd'hui, iront bientôt jeter en sa direction la pierre du déshonneur ? Pourtant, à mesure qu'il s'approchait de la chambre de son père, sa gorge se gonfla d'émotion. Il ignora les bruits de pas précipités derrière lui.

Deux valets de pieds ouvrirent les portes et sans plus attendre, Joren pénétra dans la pièce plongée dans l'obscurité.

Il ne remarqua pas au premier abord la famille impériale réunie au grand complet, tous vêtus de rouge et de noir, arborant les symboles de Ronia. Une figure de la déesse se tenait au milieu de la pièce, des branches de peupliers étaient étalées sur les tapis, à ses pieds se tenait allongé Auguste sur une couche couverte de fleurs et de branches. L'atmosphère était glaciale, lourde de chagrin et de ressentiments.

Les membres de la famille impériale, tous noirs de cheveux, ne purent s'empêcher de se sentir mal à l'aise en voyant la crinière blonde de Joren scintiller à la lueur des bougies mortuaires.

— Père..., souffla ce dernier en se précipitant vers le corps défunt.

L'émotion dans sa voix était réelle, on le vit se baisser au coté de la couche et prendre la main de l'Empereur décédé. Dusan et quelques personnes se raidirent. Il n'était normalement plus permis de le toucher.

Joren baissa la tête et récita une prière au nom de la Mère et de Délia. Tout le monde savait qu'Auguste et l'Héritier étaient nés au printemps et partageaient le même signe.

Après quelques minutes, Joren se releva et il sembla enfin aviser les personnes autour de lui. Il salua ses ainés puis son regard tomba sur Oriana, parée de sa couronne de perle et d'une robe de satin de soie noire.

— Oriana, je peux voir que votre santé s'est améliorée, dit-il en plongeant ses yeux clairs dans le regard bleu profond de son épouse.

Cette dernière hocha la tête et articula doucement :

— Je vois que vous êtes parvenu à arriver à temps pour la cérémonie.

— Certes, je l'avoue, j'ai subi un léger contretemps.

Le regard de l'héritier glissa vers ses deux frères.

L'expression de Damjan était indéchiffrable, ses yeux exorbités fixait le visage d'Auguste et ses mains s'agitaient nerveusement. Joren fronça les sourcils en remarquant cette agitation. La voix de Dusan l'arracha de ses pensées :

— Après la cérémonie, il te faudra répondre à nos questions.

— Lesquelles ? demanda Joren d'un ton détaché.

Des chuchotements outrés traversèrent la famille impériale, Dusan se racla la gorge et continua :

— Ne prends pas la peine de jouer les imbéciles... Tu sais très bien de quoi il s'agit.

— Pas précisément, non. Serait-ce au sujet de ma soi-disante implication dans la mort de Carolina ? Ou bien du fait que son journal relate que je ne suis pas le véritable héritier de Dalstein ?

— Exactement.

Dusan esquissa un léger sourire de satisfaction, Joren fronça encore les sourcils et avisa les visages des membres de sa famille. Dans leurs regards, il pouvait lire un mélange de désapprobation et de curiosité. Certains détournaient la tête, d'autres observaient la scène avec intérêt.

— Et bien ! s'écria soudain l'Héritier avec une telle force que tout le monde sursauta. Je n'ai rien à cacher et je répondrai à toutes les questions que les dalsteinis me poseront !

Les bouches se tordirent dans une grimace et certains reculèrent devant l'énergie brutale de Joren. Ils remarquèrent ses épaules larges et ses mains immenses, sa mâchoire se contracta lorsqu'il continua d'un ton impétueux :

— Dusan, tu oses m'accuser d'être un bâtard devant le corps sans vie de notre père et souverain, toi qui as la réputation d'être un homme sérieux et sage ! Tu prouves maintenant que tu n'es qu'un malappris et un crétin !

Le jeune homme s'avança de plusieurs pas face à la provocation mais une main lui retint l'épaule.

— Votre Altesse, fit Garance avec une voix d'apaisement. Il ne s'agit que de quelques questions ayant pour but de...

— Garance, quelle satisfaction de vous trouver ici, coupa Joren en essayant de masquer tout le mépris qu'il éprouvait pour la religieuse. Je vous l'ai dit, je répondrai à toutes les questions posées par les dalsteinis. Mais en ce qui concerne ce journal... Je ne veux rien avoir affaire avec lui.

— Pour... Pourquoi cela ? questionna la vieille Archiduchesse qui était restée silencieuse jusqu'alors.

— Quelle est la garantie que le cahier que vous allez me présenter est bien le vrai journal de l'Impératrice ?

Un silence de plomb tomba dans la chambrée luxueuse, éclairée faiblement par les candélabres et autres bougies parfumées. Pour la première fois, Damjan releva la tête et prit garde à ce qu'il se passait autour de lui.

— Ce sont des imbécilités ! fustigea Dusan sans plus contenir sa colère. Par quels moyens le journal de notre mère aurait-il pu être falsifié ? Il est resté enfermé dans les sous-sols sans que personne ne puisse l'atteindre !

Joren eut une pensée pour son père, allongé là à leurs cotés : Pardonnez-moi, pardonnez-nous... Vous qui souhaitiez seulement avoir vos enfants réunis dans la force du chagrin... Nous voilà en train de nous déchirer pour faire respecter votre héritage...

— Sans doute par les mêmes procédés qui ont permis d'accuser votre ancienne fiancée Giselle.

Un léger cri traversa l'assemblée, le visage de Dusan devint soudain très pâle.

— Ne me dites pas que vous avez vraiment cru que cette jeune femme était capable d'une telle trahison !

— Tu ne sais rien de Giselle..., gronda le jeune homme.

— Au contraire, je peux témoigner de son intelligence et de sa détermination. Quelle injustice de l'avoir écartée de notre famille, sans prendre en considération son dévouement pour notre pays !

Joren avait dit cela afin d'observer Garance, dont les joues s'étaient soudainement empourprées. La religieuse eut soudain le souffle court et balbutia :

— Allons, allons ! Les Dieux nous observent, nous devons encore procéder à une dernière cérémonie !

— Certes, fit la voix acide de l'Archiduchesse, Auguste attend.

Joren hocha la tête et reprit immédiatement son sang-froid. La famille se réunit en cercle autour de la sépulture et se mit à chanter et prier, dans une atmosphère des plus pénible. Ils allumèrent de l'encens et firent bruler des branches de peuplier en évitant soigneusement de croiser leurs regards. Ils se signèrent finalement, en touchant leurs yeux et leur bouche du bout des doigts puis ouvrirent les portes de la chambre. Dehors, le personnel du palais attendait, aligné dans les couloirs pour voir passer l'Empereur une dernière fois.

En respectant le protocole, Joren prit place aux côtés d'Oriana. Il eut le temps d'entendre Dusan prononcer :

— J'ai lu le journal, Joren. Ulrika a fauté et c'est toi qui a volé le rouleau, nous avons un de tes hommes en cellule qui a tout avoué. Demain, tout sera révélé et tu ne pourras plus te présenter la tête haute devant le trône de Dalstein.

La voix de son jeune frère était lourde de menaces et il décela les idées dangereuses qui l'habitaient. L'estomac de l'Héritier se tordit légèrement, il répondit :

— Cette croyance si ferme, n'est-ce pas juste pour te convaincre et avancer la conscience tranquille, comme la fois où tu as préféré prendre la sœur de Giselle ?

Il ne sut pas la réponse du Troisième Prince, Oriana tira vivement sur son bras pour le faire avancer vers la suite du cortège.

Ils allèrent lentement, afin de laisser les habitants du palais et tous les membres du personnel, quels qu'ils soient, rendre un dernier salut à l'Empereur. Joren avisa son capitaine au loin, qui lui fit un signe imperceptible. Il ne put s'empêcher de grogner de satisfaction. Ils étaient prêts.

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