Chapitre XXXI : La résignation

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Si un chemin n’est plus praticable, qu’à cela ne tienne, il suffit d’en emprunter un autre


Elle avait bien vu qu’on l’abrutissait de khôme. Elle n’était pas dupe. Elle se méfiait suffisamment pour ne pas toucher à ses plats, ne pas boire les potions qu’on lui servait. Elle avait fait venir plusieurs fois Youpur à son chevet. Elle n’avait confiance qu’en lui. Il lui apportait un peu d’eau.

Pour le reste elle avait des réserves. Elle se souvenait de son enfance et de la faim, avant que les jardins suspendus dans des troncs de chtuvax ne donnent suffisamment de récoltes. Depuis la fin de la guerre, les temps avaient changés. Son corps avait thésaurisé avec complaisance les signes de son opulence acquise grâce au mariage et, elle se plaisait à le croire, à ses efforts pour faire de l’homme qui lui avait été donné un parti à sa mesure. Ses courbes lui apportaient plus de satisfaction que des bijoux ou un voile d’honneur. Mais depuis trois jours elle n’avait pas mangé et son embonpoint ne lui permettrait pas de tenir indéfiniment.

Quoi qu’il lui en coûtât, il lui fallait éveiller en son fils la flamme de la révolte. Elle était prête à parier qu’il avait déjà préparé son bagage. L’air hautain n’était chez lui que le masque de l’enfance. Elle savait qu’il s’imaginait guerrier solitaire parcourant les immenses étendues désertes des Plaines Ourlées, gagnant l’estime des caravanes de passage, par les récits de ses exploits. Voilà à quoi l’acculerait le destin s’il ne mourrait pas: être un vagabond mendiant sa pitance. Il n’aurait d’autre choix que de jouer l’amuseur public, en contant les exploits des autres à des attroupements de soldats hirsutes qui ne manqueraient pas, à leur tour, de le charger de toutes leurs affabulations. De faux récits de guerre et des victoires factices viendraient s’ajouter à la crasse et à la misère, le grimant d’une horrible manière. Il traînerait dans la boue leur emblème. Elle ne pouvait se résoudre à voir sombrer sa lignée dans cet avenir misérablement burlesque. Elle le voulait chef de la tribu du coq. Burla, même affamée, n’était pas du genre à abandonner ses rêves.


Son prompt rétablissement surprit tout le monde. Elle obtint de son mari, ravi de la voir sur pied, la permission de sortir seule du kuva. Elle arpenta le campement, se rendit aux réserves. Elle y trouva les meilleures dattes, l’eau la plus pure. Elle garderait ses courbes généreuses c’était de bon augure. Il n’est pas bon de paraitre faible. La partie continuait et Burla en était la reine.

Elle avait toujours été respectée — la crainte et le respect sont parfois très proches— et quelle mère ne comprendrait pas son chagrin, quelle femme ne partagerait pas ses doutes ? Elles avaient toutes donné des ordres à Providence. Toutes redoutaient l’arrivée d’une nouvelle épouse… On peut séduire les hommes de bien des manières. Burla y excellait sans faire de simagrées. Quelle femme leur chef avait là ! Mère éplorée, elle faisait face ; épouse humiliée, elle se relevait et acceptait son destin. C’était un roc que ni le sable ni le vent n’érode, un abri sûr où poser ses doutes pour mieux les oublier.

Aujourd’hui elle cheminait parmi les tentes arborant un voile noir comme frappée par la mort. Cela lui donnait un statut. On s’écartait d’elle comme on le faisait pour les endeuillées. Seules femmes, avec les servantes au voile gris, autorisées à sortir librement afin d’aller où bon leur semblait épancher leur chagrin et trouver un avenir. Elle puisait de l’énergie dans les regards qui la mesurait avant de se détourner pudiquement. Elle y mesurait sa valeur et se trouvait légitimée à résister à l’absurde effondrement de sa vie.

Elle prépara elle-même ses repas pour éviter que l’une des autres épouses trop bien intentionnée n’y glisse quelques gouttes soporifiques. Elle avait besoin de toutes ses forces, et surtout de rester lucide.

Après une courte sieste pendant laquelle, paupières closes, elle élabora les prochaines étapes qu’il lui faudrait suivre consciencieusement. Elle fit porter les bagages de Youpur dans la pièce centrale du kuva afin qu’il les ait toujours sous les yeux.



Elle souhaita s’entretenir au plus vite avec Craon. Aussi sucrée qu’un loukoum à l’eau de rose des sables, et parfumée de girofle elle s’agenouilla devant lui attendant qu’il lui fasse signe de parler.

— Mon cher époux, dit-elle en sanglotant, je tenais maintenant que j’ai retrouvé la raison, à vous témoigner ma reconnaissance et à vous assurer de mes plus vifs sentiments quelle que soit la place que vous m’accorderez.

Craon la contemplait surpris, il n’était pas habitué à de telle effusion et encore moins à pareille humilité. Avait-il négligé un trésor ? Il allait lui faire part de ses regrets quand d’un geste souple malgré ses formes généreuses elle se releva pour lui poser un doigt sur les lèvres.

— Ne dites rien mon aimé, je sais à quelle extrémités nous conduisent le devoir et j’imagine avec peine combien votre charge et vos responsabilités sont pesantes. Je n’ai pu vous protéger comme je l’aurais voulu. Je ne suis qu’une femme.

Mon aimé… Craon restait songeur. Burla avait-elle coutume de l’appeler ainsi ? Il se creusait la mémoire regrettant de ne pas avoir été suffisamment attentif pour départager les mon ami, mon aimé, mon tendre et mon époux et leurs différentes implications. Raboundar avait bien insisté sur l’importance du vocabulaire et sur le choix des mots à employer. Mais qu’entendait-il exactement par là. Les siens ou bien ceux de sa femme ? Dans une bataille n’est-on pas attentif à son armement comme à celui de l’adversaire ?

Le voyant perplexe Burla enchaina aussitôt : elle était passé par des moments de désespoir. Elle le reconnaissait. Et c’était grâce à sa prévenance qu’elle avait pu se remettre aussi vite. Il avait fait preuve des mêmes qualités dans le domaine publique que dans le domaine privé. Il avait pris les choses en main.

Craon acquiesça.

— Je suis content que tu le prennes ainsi dit-il rassuré. Sa femme avait la tête sur les épaules. Elle savait reconnaitre ses mérites. Raboundar avait raison, le vocabulaire était important. Il fallait battre le fer tant qu’il était encore chaud. Et pour mieux se faire comprendre Craon insista, j’ai donné l’ordre à mes épouses de prendre soin de toi. Ce n’est pas parce que ta situation a évolué qu’il s’agit de te négliger.

Burla avala sa salive et se força à sourire.

— Tes suivantes, le corrigea t’elle d’une voix douce.

C’est ainsi qu’elle nommait les autres épouses de Craon. Elle y trouvait une forme de réconfort et l’ambivalence du terme lui permettait de le faire accepter de tous y compris des personnes ainsi désignées.

Tes suivantes ont su prendre soin de moi ainsi que tu le leur avais ordonné. J’ai été dorlotée, je me suis entièrement remises à elles, comme si j’étais entre tes mains : en toute confiance.


L’ordre régnait dans son kuva, Craon était content. Une bonne gestion est un terrain fertile pour de bon sentiments. Les paroles passent, les actions restent et il était un homme d’action. Burla ne s’y trompait pas, c’était une femme avisée. Il avait su la protéger.

— Ne va pas croire que je suis une femme faible, une charge pour toi. Mais, certaines circonstances peuvent ébranler la meilleures des volontés. Oh, j’ai tellement de regret sanglota Burla en tordant un mouchoir entre ses mains.

Craon loin de s’énerver du temps perdu décida d’apaiser son épouse. Il admit avoir, lui aussi, souffert du cours tragique des évènements. Il lui confia sa peine pour ce fils qu’il chérissait entre tous et sur lequel il avait fondé de solides espoirs. Il énuméra une à une les qualités de ses garçons qui peuplaient les tentes et animaient de leurs jeux la cour du kuva des Rincecoq. Il n’en voyait aucun qui eût développé autant de qualités que son ainé au même âge. Il y avait bien Arvex qui courait vite, Gozax dont la voix de nourrisson portait au-delà des toiles du kuva. C’était prometteur tout de même. Il fallait du coffre pour faire un soldat !

Des jambes pour fuir et de la voix pour appeler à l’aide, quelle fine équipe ce serait là ! pensa pour elle-même Burla, tout en esquissant un sourire navré à l’intention de son époux. Celui-ci ne se démonta pas. Il avait gardé le meilleur pour la fin. Il fallait faire preuve de finesse avec Burla.

— Rien n’est perdu, affirma-t-il. Reprends espoir. Alexandar. Je l’apprécie beaucoup. Il tient de moi pour le physique. Il a de la finesse d’esprit, comme sa mère, c’est ce qu’on m’a rapporté. Il est encore jeune mais je pense qu’il pourra donner quelque chose. Il est humble, il est curieux. Il apprendra vite et il a moins d’orgueil que Youpur, il ne fera pas les même erreurs.

Craon se prit à imaginer les futurs exploits de se fils prometteur qu’il avait jusqu’alors négligé. Il se surprit à avoir envie de l’appeler, de pincer ses joues et d’ébouriffer sa tignasse. Où était-il d’ailleurs ? Faute de l’avoir sous la main, il tapota la cuisse de Burla

— Tu verras, on en fera un homme dont tu pourras être fière ! déclara-t-il à la fois joyeux et soulagé d’être en mesure de la rassurer.

Qu’il est bon de veiller sur une femme pensa-t-il.

Burla toussa. Elle ravalait sa fureur. Tant d’années, tant d’efforts pour voir, en quelques jours à peine, la progéniture d’une autre usurper tous ses efforts ! Elle en pleurait de rage.


— Ressaisis-toi, mon aimée, susurra Craon s’autorisant à jouer du vocabulaire avec la dextérité d’un amant accompli. Tu sais, ajouta-il sur le ton de la confidence, je ne suis pas fâché que Providence fasse maintenant partie de la famille. Comme toi, elle a la tête sur les épaules. Au Conseil, elle a toujours été clairvoyante pour les alliances et les appariements. Elle m’aidera certainement à trouver les meilleures issues à donner à des situations parfois délicates. Oui, je crois pouvoir dire que ce n’est pas une mauvaise chose. « Le monde change » comme le dit Rabundar. J’ai bien besoin d’idées nouvelles… surtout avec ce qui vient de se produire. D’ailleurs, en parlant de Youpur, tu as une idée de ce qui a pu lui passer par la tête ? Toi qui le connais bien, tu penses qu’il est stupide ?

Burla suffoquait. Elle subissait le monologue de son mari en ayant l’impression d’assister à son propre enterrement. Entre deux quintes de toux elle lui cracha au visage :

— Tu pourras toujours lui toucher l’épaule, il paraît que ça porte bonheur.

— Penses-tu ? lui répondit-il avec condescendance, je ne te savais pas superstitieuse. Et ne te fais pas de soucis, je connais les usages. Ce n’est pas digne d’une première épouse. Il faudra d’ailleurs t’en abstenir si tu en avais pris l’habitude. Quant à son infirmité, ne te tourmente donc pas. Cela ne me répugne pas, elle est bien assez jeune pour pouvoir enfanter, j’en toucherai un mot à Andelka, on ne sait jamais quelle surprise la vie nous réserve. Décidément en en parlant, l’avenir de la tribu des Rince-Coq m’apparait prometteur. Tu vois tu n’as pas à t’inquiéter. Je suis là.

Il posa les yeux sur son épouse. Elle était coite, un peu de sueur perlait sur son front. Il lui sembla même déceler sous le parfum du clou de girofle un petit relent aigrelet. Il avait fait le nécessaire.

—Je dois te laisser maintenant, j’ai fort à faire. Il appuya la main sur son épaule avec affection et un brin de condescendance. C’est vrai qu’elle n’était plus toute jeune…

Puis, il écarta d’une poigne ferme la peau de gnouzk qui obstruait l’entrée. Tranchant avec la pénombre qui régnait à l’intérieur, le soleil baignait de lumière le campement. Aveuglé, il distinguait tout de même, en clignant des yeux, la silhouette massive du bicéphale.

Il va aussi falloir que je m’occupe de ça pensa-t-il. Je n’arrête pas !


Raboundar avait raison de dire qu’il fallait parler aux femmes et les écouter. Même si elle n’avait pas grand-chose à dire, il s’était senti proche de son épouse. A sa manière, elle faisait preuve de courage et il appréciait le courage, même chez une femme. Le vieux était trop pessimiste. Ses admonitions s’étaient révélées inutiles. Il n’avait rien à craindre de son épouse. Elle était juste un peu usée, et un peu trop grasse, mais solide et dévouée. Il devrait mettre en garde Raboundar, car il entretenait une vision biaisée des choses. Avoir peur d’une femme ! Quelle inversion des valeurs ! Lui qui piaffait sans arrêt contre la modernité énonçait des idées qui, si elles étaient fausses, n’en étaient pas moins dangereuses. Il lui faudrait réfléchir à tout cela à tête reposée. Mais plus tard.

En attendant, il décida de se changer les idées en allant boire un kwa avec le vieil Andelka. Ce serait l’occasion d’aborder la question des grossesses futures de Providence. Il voulait aussi s’assurer que les enfants à venir seraient dépourvus de toute difformité.


Burla, une fois seule, jugea plus prudent de ne pas laisser libre court à sa colère. Elle s’appliqua à retrouver son souffle et se faisant ressentit une immense fatigue. Elle repensa à l’histoire de l’imbécile qui roule une pierre sur le flanc d’une montagne. Elle ne put s’empêcher de s’identifier à lui. Il lui semblait avoir été écrasée une première fois et ne s’être relevée que pour constater que la pierre avait roulé encore plus bas, tout en bas. Il lui faudrait descendre et à nouveau tel Sysiphe — quel nom étrange — recommencer. La pierre alourdie par la terre, sa force amoindrie par l’âge et les désillusions. Une parenthèse de la pensée suspendit les va-et-vient de son esprit entre abîme et hauteurs. La pierre pouvait-elle tenir immobile sur la cime ? Pouvait-elle la coiffer de sa rondeur ? N’aurait-elle pas tendance à rouler aussitôt sur le versant inverse ? Burla referma la courbe subtile de sa pensée. Elle s’égarait.

Une chose à la fois, c’était bien assez. Elle avait une facilité à appréhender les objectifs plus que les finalités. En cela elle ressemblait à son mari, à la différence près qu’ils n’avaient ni les même méthodes, ni les même résultats. Là où il trouvait, dans le cours normal des choses, à satisfaire le frugal appétit de simples ambitions, elle devait composer avec des attentes d’une autre envergure dans une réalité fort complexe. Elle était femme et le jeu qu’elle menait n’avait pas de lignes claires. La seule constante était la nécessité de recourir à l’écheveau des autres pour tisser son motif. Elle avait le don des assemblages, elle connaissait les couleurs. D’une façon ou d’une autre, elle parviendrait à marier l’orange et le bleu, à faire de son fils le chef de la tribu du Coq.


Craon était d’excellente humeur, son entretien avec Andelka avait comblé ses attentes. Providence était jeune, elle avait les hanches larges. Sa difformité était due à un accident si précoce qu’il avait certainement eu lieu pendant la conception. Il arrivait qu’en de très rares occasions l’enfant à naître rencontre dans le ventre de sa mère un obstacle dont on ne connaissait ni l’origine, ni les causes. L’enfant se développait alors de manière plus ou moins heureuse. Ce phénomène était rare et ne présageait pas de l’avenir. Le guérisseur y voyait même une sorte de présage en rapprochant cette difficulté de la situation présente. Il conclut l’entretien en félicitant Craon qui était encore fort et aurait le temps de voir grandir de nombreux enfants. Parmi eux les garçons revêtiraient le voile orange. Devenus des hommes ils pourraient s’apparier à des familles puissantes, des filles de chefs, belles et bien portantes qui feraient d’eux des chefs en puissance. Craon était satisfait. Ils trinquèrent. Après quelques coupes bien remplies Andelka s’essaya aux confidences. Providence, aussi jeune qu’elle soit, était robuste et vaillante à l’ouvrage. Elle disposait d’une expérience dont les initiés n’avaient jamais eu à se plaindre. Craon dont l’initiation remontait à belle lurette se souvint avec débord de ses premiers émois mais calma les ardeurs du médecin. Il préférait ne pas partager ses ressentis. Une sorte d’intuition, ou l’envie de profiter seul de ce qui deviendrait bientôt une ardente impatience…


Quand il revint au kuva Burla l’attendait. Il fut un peu déçu de la trouver là pensant avoir précédemment fait le nécessaire et n’avoir plus rien à ajouter. Il aurait aimé disposer de plus de temps pour envisager les implications futures de ses prochaines épousailles. Tout en se concentrant sur le moment présent il ne pouvait s’empêcher d’imaginer les prouesses dont on disait Providence capable.

— Tu m’écoutes ? L’interrogea Burla

— Oui, bien sûr, mentit Craon tout en pensant qu’il ne serait pas mauvais de réorganiser l’attribution des tentes dans le kuva pour éloigner un peu sa femme de la chambre nuptiale.

Pas dupe, Burla exprima une seconde fois sa requête en haussant légèrement la voix pour mieux se faire entendre. Elle déclara sans ambages que son fils était mort pour elle. Pour preuve, elle avait fait préparer son paquetage.

—Tout est là, dit-elle en désignant de la main un amas informe d’habits et de victuailles empilés dans des malles et censés permettre à Youpur de survivre quelque temps seul dans les plaines où, sans cartes, il ne tarderait pas à se perdre et à disparaître.

Craon qui jusqu’alors n’avait prêté aucune attention à l’amas d’affaires, ne put plus, dès lors, le contempler sans émotion. Il en eut la gorge noué et oublia Providence. Il tenta d’apaiser le chagrin qui, il en était certain, submergeait également Burla.

— Mon aimée, Youpur à des qualités d’endurance. Il est robuste. Il s’en sortira. Certain survivent… Sa langue avait fourché, il tenta de se reprendre mais fut interrompu par Burla qui déclara d’une voix tranchante

— Mon ami, rien ne pourra me consoler de la perte d’un fils, mais…

Elle suspendit sa voix guettant la réaction de Craon. Il était attendri, vulnérable. Il avait envie que la conversation se termine au plus vite. Il était mal à l’aise en présence de cette femme affligée, qui lui rappelait probablement la mère des frères Tronx, dont la silhouette en deuil avait longtemps hanté ses cauchemars et à son réveil les allées entre les kuva de la tribu du Coq.

…Mais…dit-elle d’une voix plus douce, je souhaiterais adopter la petite Luanda.

— Pardon, je ne comprends pas le rapport hasarda Craon déstabilisé par cette demande inattendue.

— Raboundar est un vieillard aigri, expliqua Burla. Elle recevrait ici une bien meilleure éducation et pourrait prétendre à un meilleur mariage. Sa présence adoucirait mes vieux jours.

J’ai toujours éprouvé de la tendresse pour elle. Je souhaiterais lui enseigner les secrets de notre couleur. Tu t’en étais déjà ouvert à son père et il n’y voyait pas d’objections, implora-t-elle. La petite, qui n’a certainement pas eu vent de ce qui s’est passé, ne comprendrait pas que nous ne tenions pas notre engagement. J’espérais secrètement qu’elle puisse rejoindre notre lignée. Les obstacles étaient nombreux mais je m’étais trompée sur la manière, voilà tout. Oh ! Je l’aime déjà comme une fille, déclara Burla en essuyant le bord de ses yeux de ses doigts boudinés.

Touché, Craon regardait Burla, c’était une bonne personne. Eplorée, rétrogradée dans l’ordre des épousées, elle ne songeait pourtant qu’à être mère et à aider une pauvre petite. Elle n’était plus de première jeunesse mais elle avait des qualités. Il pouvait bien satisfaire à une de ses exigence afin d’adoucir son sort. Et puis c’était aussi un moyen de rendre service à Raboundar en le déchargeant d’un poids. Il se remémora sa visite. Luanda était la plus jeune des filles, croyait-il. Celle-là même qui lui avait ouvert la porte. Elle était presque en âge de se marier. Ce ne serait donc que l’affaire de quelques mois, le temps que le grand rassemblement se mette en place… pourquoi pas ? La fille était avenante, Raboundar était réputé pour bien avoir éduqué ses ainées. En ajoutant à cela le prestige des Rince-Coq, un appariement avantageux pourrait éclipser l’absence de Youpur et taire les rumeurs.

Il donna son assentiment. Il ferait le nécessaire auprès du vieil homme. Burla pouvait disposer.


Resté seul dans l’entrée du kuva il jeta de nouveau un œil sur l’amas de sacs et de matériel qui encombrait le centre de la tente. Adopter une fille pourquoi pas… cela lui était indifférent. Youpur ne lui manquerait pas moins… Combien de temps son fils pourrait-il survivre dans les Plaines Ourlées ? Les effets de l’alcool qu’il avait bu avec Andelka se dissipait cédant la place à une humeur chagrine, une grande solitude.

Craon se révolta intérieurement. Non, il ne porterait pas le voile du deuil. La vie était trop belle pour s’enlaidir de noir. La résignation, il laissait ça aux femmes. Un fils était un fils quoi qu’il arrive. Il trouverait bien le moyen de lui faire porter un peu de nourriture, de l’eau… ce serait une vie de chien des sables, mais une vie tout de même. Il irait de temps en temps le serrer dans ses bras. On n’éduquait pas un chef comme cela, dans l’effusion des sentiments. Mais un pauvre hère, un misérable, un moins que rien on pouvait bien lui donner l’affection d’un père. Au moins ça, car la vie ne lui offrirait plus jamais rien d’autre.

Craon pleurait, seul, dans l’entrée face au paquetage comme un petit garçon qui voit ses rêves lui échapper, comme si la soif de la guerre avait encore frappé sans qu’il put rien y faire.

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