Celui qui regardait passer le Temps

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Il était une fois un pays de rires et de chants.

Dans ce royaume où tout n'était que joie et fête, vivait un petit garçon qui regardait passer le Temps.

Jour après jour, nuit après nuit, au sommet de la montagne où il avait élu domicile, il contemplait le lent écoulement du Temps.

Et les gens qui parfois grimpaient jusqu'à lui, le voyant les yeux perdus dans le vague, s'approchaient et lui demandaient ce qu'il faisait.

- Je regarde passer le Temps, répondait l'enfant.

- Et c'est tout ? Où sont tes parents ?

- Je n'en ai plus.

- Allons, tu ne peux pas rester ici tout seul, ce n'est pas amusant !

Et le petit garçon avait alors un sourire énigmatique et répliquait :

- Pourtant je m'amuse, moi.

Jour après jour, nuit après nuit, mois après mois, saison après saison, année après année, le petit garçon regardait passer le Temps. On pouvait le voir flâner dans les neiges éternelles de la montagne ou dans la sombre forêt des sapins, ou encore dans les prairies. Il allait toujours lentement, le regard rêveur, et s'arrêtait souvent pour observer quelque chose que les autres ne voyaient pas. Le Temps sans doute.

Les années passant, le petit garçon devint jeune homme, mais il continuait d'errer de son pas lent et doux dans sa montagne, le regard comme aveugle au monde qui l'entourait.

Dans tout le royaume, on le connaissait, certains affirmaient même qu'il pouvait réellement voir le Temps, comme on peut voir une fleur, un nuage ou un animal.

Aussi, beaucoup de voyageurs de passage faisaient un détour par la montagne, espérant le croiser au détour d'un chemin. Ceux qui avaient la chance de le rencontrer lui posaient toujours les mêmes questions :

- Toi qui regarde passer le Temps, de quelle couleur est-il ?

Ou encore :

- Toi qui regarde passer le Temps, passe-t-il vite ?

Ou bien :

- Toi qui regarde passer le Temps, comment est-il ?

Et le jeune homme répondait toujours ainsi :

- Le Temps n'a pas de couleur et il est lent, très lent et il long et grand.

Les voyageurs repartaient et rapportaient les réponses du jeune homme à qui voulait les écouter. Mais nombreux étaient ceux à ne pas être d'accord avec lui : pour eux le Temps avait la couleur grise de la poussière, et passait beaucoup trop vite, si vite qu'il était impossible de le voir, il devait donc être petit et court, comme un jeune serpent.

Et le Temps passa, si bien que les habitants du pays des rires et des chants vieillirent. Eux qui vivaient comme si jamais ils ne devaient mourir, n'avaient fait que danser, rire et chanter, ils n'avaient pas pris le temps d'aimer et, préférant s'amuser, n'avaient pas voulu avoir d'enfants. Or ils étaient devenus si vieux, qu'ils ne pouvaient plus ni danser, ni chanter et cela les rendait si tristes qu'ils n'arrivaient plus à rire non plus.

Aussi, les seuls rires et les seuls chants qu'on entendait maintenant venaient de la montagne. Jusqu'alors, personne n'avait fait attention à ces rires et ces chants, tout le royaume riant et chantant.

Un jour, un vieillard voulut savoir d'où venait ces rires et ces chants.

Et, après de longues et épuisantes heures de marche, il le vit.

Le jeune homme qui regardait passer le Temps avait vieilli, comme eux tous, mais malgré ses cheveux blancs et ses rides, ses yeux brillaient de la même lueur qu'au temps de sa jeunesse. Certes, il n'avait pas trouvé l'amour non plus et n'avait pas de descendance, pourtant il riait, dansait et chantait, sous les étoiles, au milieu des lucioles, avec l'énergie d'un jeune homme.

Le vieillard s'approcha donc et demanda à l'autre :

- Pourquoi chantes-tu, danses-tu et ries-tu alors que tu es si vieux et que la mort te guette ?

- Je chante, voyageur, car le chêne foudroyé l'été dernier bourgeonne. Je danse, voyageur, car les vents m'apportent mille odeurs incroyables. Et je rie, voyageur, car le Temps passe encore, toujours aussi lentement et que, même si jamais je n'en vois le bout, j'ai vu tant et tant de choses mourir et renaître, que je me sens heureux quand même.

Le vieillard repartit vers les siens et rapporta les paroles de celui qui regarde passer le Temps.

Tous comprirent alors que le garçon qu'ils pensaient aveugle au monde, l'avait en fait mieux vu qu'eux-mêmes. Ils comprirent aussi que s'ils chantaient, dansaient et riaient autrefois, c'était justement pour ne pas voir le Temps passer et oublier qu'un jour il leur faudrait mourir.

On dit que le dernier habitant du pays des rires et des chants à s'éteindre fut celui qui regardait passer le Temps, après une vie très très longue. On dit aussi qu'aujourd'hui encore, pourtant, on entend son rire et ses chants résonner à travers les roches, la forêt et les prairies de sa montagne, car si le Temps donne puis reprend nos vies, il ne les efface jamais complètement et garde toujours au fond de son coeur immortel quelque souvenir qu'il offre au présent.

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Celui qui regardait passer le TempsChapitre9 messages | 6 ans

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