La femme à la robe rouge (4)

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Jour 4 : 1h13

Peter s’éveilla complètement reposé. Il avait dormi toute la journée d’hier. Sa panique était passée. Presque souriant, il se retourna pour se remettre confortablement dans son lit. Soudain son regard se bloqua sur l’heure.

1h13.

Dans une minute elle allait apparaître.

Elle allait venir.

Il sentit la peur revenir. Elle s’insinuait en lui comme un poison qui s’infiltre dans les veines. La première chose qu’il entendit fut le bruit dans le couloir. Les pas étaient toujours aussi lourds. Et le raclement sur le sol arriva de nouveau. Le bruit d’une hache qui traîne sur le sol.

Une hache qui veut s’enfoncer dans le corps de quelqu’un.

Peter se tourna lentement vers la porte de la salle de bains. Il le sentait. Elle était là. Elle le regardait.

Elle est encore plus près.

Elle est là.

La femme à la robe rouge était désormais à un pas de son lit. Peter n’osait pas détourner le regard d’elle. Cette dernière le regardait avec toujours cette haine dans le regard. Du fait de sa bonne journée de sommeil, Peter prit son courage à deux mains et cria à l’adresse de la femme.

- « Va-t’en ! Va-t’en ! PARS LOIN D’ICI. »

Deux choses se produisirent alors en même temps. Les pas s’arrêtèrent dans le couloir et on toqua à la porte. Plus qu’un simple coup sur la porte c’était un glas qui semblait résonner dans tout l’immeuble. Peter tourna vivement la tête vers la porte d’entrée. Les coups lui faisaient plus peur que la femme à la robe rouge. Un bruit plus fort se fit entendre. Quelqu’un frappait la porte. Et Peter ne pouvait s’empêcher de penser qu’on frappait avec une hache. La femme à la robe rouge tourna son regard aussi vers la porte. Elle hurla dans sa direction. Les coups cessèrent aussitôt. La femme arrêta de crier une minute après. Elle se tourna vers Peter et le regarda de toute sa haine avant de disparaître comme les soirs précédents. Mais cette fois-ci, Peter ne s’endormit pas. Il avait trop dormi. Il était trop terrifié pour penser à dormir. Il attendit presque une demi-heure dans son lit, assis, pour vérifier qu’il n’entendait pas à nouveau les pas dans le couloir. Lorsqu’il fut sûr que ce dernier était vide, il se leva et alla dans son salon. Il fallait qu’il en ait le cœur net. Quelqu’un avait fracassé un objet contre sa porte. Il avait besoin de preuves matérielles. Il voulait être sûr qu’il n’était pas fou. Il resta quelques minutes face à la porte d’entrée. Il n’osait pas l’ouvrir. De l’intérieur on pouvait voir une petite brèche. Peter n’arriva pas à se souvenir si elle était déjà là la veille. Il poussa un soupir et ouvrit. Le couloir était vide. Il se tourna vers sa porte pour l’examiner. Une longue fissure était apparue dedans. On n’avait pas toqué à sa porte. On l’avait frappée à coups de hache. Peter tomba sur le sol. Il ne pouvait ôter son regard de la porte. Il commença à gémir. Il n’en pouvait plus. C’était trop. Quelqu’un s’amusait à le torturer, ce n’était pas possible autrement. Peter resta ainsi quelques minutes à pleurer et rire à la fois quand soudain il sentit une main sur son épaule. Il se retourna en hurlant. C’était la vieille folle d’en face. Sans un mot elle aida Peter à se redresser et le conduisit chez elle. C’est alors qu’il remarqua les traces de fissures sur la porte de la voisine.

La hache avait déjà frappé cette porte.

Toujours sans un mot, la vieille dame amena Peter sur un fauteuil et le força à s’asseoir. Elle alla lui préparer du thé. Pendant ce temps ce dernier examina son appartement. On avait le parfait stéréotype de l’appartement d’une vieille folle : des livres un peu partout, des couleurs vives, des objets aussi bizarres qu’insolites éparpillés çà et là. Peter s’était toujours demandé comment une personne bordélique arrivait à retrouver des affaires chez elle. Un détail cependant attira son attention. Sur le mur un portrait était affiché. Peter s’approcha pour être sûr qu’il ne rêvait pas. C’était un portrait de la femme à la robe rouge. Mais dessus, son regard n’était pas haineux. Juste triste. Une tristesse à faire pleurer.

- « Elle est belle, n’est-ce pas Monsieur Schubert ? »

Peter sursauta. Il n’avait pas entendu revenir la vieille dame. Cette dernière n’attendit pas la réponse et posa le plateau de thé sur la table basse. Tout cela semblait si naturel pour elle. Il était presque 2h du matin et elle servait du thé à un inconnu.

Tout est normal.

Toujours en gardant un œil sur le portrait, Peter alla s’asseoir près de la table. Il prit une tasse de thé et en but une gorgée. Il sentit la boisson lui brûler la gorge mais peu lui importait. Il avait tellement de questions. La vieille femme aurait-elle les réponses ? Cette dernière ne se fit pas prier pour raconter son histoire.

- « Elle a toujours été si belle. C’est ce qui l’a perdue. Vous l’avez vue n’est-ce pas ?

Peter ne répondit pas tout de suite. Il plongea de nouveau son regard sur le portrait. C’est vrai qu’elle était belle une fois qu’on lui avait enlevé son regard haineux. Peter jugea qu’il était temps qu’il partage son expérience avec quelqu’un. Et celle qu’il appelait la vieille folle était toute disposée à l’écouter.

- « Oui je l’ai vue. Dans ma chambre. Elle est vêtue d’une robe rouge. Elle garde son regard rivé sur moi puis elle regarde le couloir et elle crie comme une réponse au bruit de pas. Qui est-elle ?

- Elle s’appelle Élizabeth. Elle a vécu ici il y a plus de 150 ans. À l’époque c’était encore un riche manoir et non un immeuble miteux. Elle vivait là avec son père : un homme autoritaire et brutal comme on en faisait souvent à cette époque-là. Il avait arrangé un mariage pour sa fille. Un bon mariage, ce qui signifiait des liens avec des personnes importantes pour lui. Mais comme dans toutes les histoires tragiques la belle était amoureuse de quelqu’un d’autre. Amoureuse d’une bête. Vous avez vu la cabane à outils derrière l’immeuble ? C’est là qu’il vivait. C’était un peu l’homme à tout faire de la maison. Un homme grand, fort, capable de vous arracher la tête d’une seule main. Une longue cicatrice séparait presque son visage en deux. Il faisait peur à voir. Mais il était doux comme un agneau. Il n’avait aucune prétention sur la belle. Comment aurait-il pu en avoir ? Il était hideux face à elle. Alors il se contentait de la savoir heureuse et le simple fait de la voir le rendait heureux aussi. Quant à notre belle, elle était bien élevée et donc obéit à son père en se mariant à un autre. Malgré tout son bon sentiment, notre bête ne se sentait pas capable de voir sa belle convoler en justes noces. Alors il partit quelques semaines chez sa famille. Il revint le cœur léger prêt à sourire du moment qu’elle était heureuse. Mais elle ne l’était pas. L’homme qu’elle avait épousé était pire que son père. Il la trompait ouvertement, la battait parfois et je ne vous raconte pas comment sa nuit de noces a dû se passer. Pauvre petite. Et notre brave homme arriva dans ce climat. Il ne lui fallut pas deux jours pour comprendre tout ce qui se passait. Un soir il attrapa la hache de sa remise et pénétra dans la chambre nuptiale. Il voulait simplement menacer le mari et emporter la femme je suppose. Mais ce qu’il vit le rendit fou. Sa belle, sa princesse, son aimée était en train de se faire violer par son mari. Ce dernier l’avait attachée au lit. Au-delà de ça, ce qui fit perdre toute raison à notre brave homme c’est quand il vit le sang sur les draps. Le sang de sa belle. Alors il ne se contrôla plus. D’un geste il décapita son rival. Alerté par les cris ce fut toute la maisonnée qui arriva et notre brave homme commit un massacre. Il ne voyait plus rien. Il n’entendait plus rien. Lui si doux, si brave avait perdu toute raison dès l’instant où il avait donné le premier coup de hache. Mais voyez-vous le tragique de cette histoire ce n’est pas qu’il a tué tout le monde, c’est que dans sa folie il n’a pas vu qu’il avait enfoncé sa hache dans le corps de sa bien-aimée. Une fois son massacre fini, une fois la chambre repeinte en rouge par le sang de ses victimes, alors il prit conscience de ce qu’il avait fait. Il resta ainsi des heures à pleurer sur le corps mort de sa belle. Mais il était trop tard. Dans un dernier élan de douleur, il retourna dans sa cabane et s’y suicida. Comprenez-vous ce que cela signifie mon bon monsieur ? »


Peter resta un moment sans réagir. Il n’imaginait pas quelque chose comme ça. D’ailleurs il n’imaginait rien du tout. Mais une question se forma dans son esprit.

- « Mais pourquoi la femme, Élizabeth c’est ça, hurle-t-elle en direction du couloir ?

- Vous n’avez rien compris alors. Ces deux êtres que tout a séparés se cherchent. Notre homme erre dans les couloirs la nuit en cherchant son aimée et elle l’attend dans cette chambre lieu du méfait. Elle crie pour qu’il vienne. Mais lui prend peur en entendant son cri et il part. C’est une tragédie qui se joue chaque soir dans ces murs. Et on ne peut rien y faire.

- Comment savez-vous tout cela ?

- Cela fait plus de trente ans que je vis ici. Croyez-vous être le seul à avoir entendu les pas dans le couloir ? Les premières nuits ont été dures. Voyez-vous je crois aux esprits. J’y ai toujours cru alors j’ai fait des recherches sur l’immeuble et j’ai trouvé cette histoire dans des journaux d’époque. Une nuit, l’homme a frappé ma porte à coups de hache. J’étais terrifiée. Élizabeth a hurlé dans l’autre chambre. Il est parti et il n’a jamais plus frappé à ma porte. Mais il continuera à frapper à la vôtre car sa belle est là-bas. »


Sur ces mots peu rassurants, Miss Jackson finit tranquillement son thé. Peter ne savait plus quoi faire. Il but son thé qui avait refroidi depuis. Il hésita à lui demander s’il pouvait passer la nuit ici mais il ne le fit pas. Il n’y aurait plus d’apparition cette nuit. Il remercia la vieille dame pour son thé et ses explications et retourna se coucher. Il avait de grands projets pour la nuit suivante.

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