Chapitre 3 : du blond angélique au noir diabolique

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  C’était comme si le coiffeur m’avait un peu regardé de travers, voire même plongé dans l’incompréhension la plus totale. Pourquoi vouloir me teindre les cheveux en noir, alors que j’ai de “magnifiques boucles blondes” ? Je faisais passer ça par une envie de changer d’air, de voir autre chose que ce blond qui m’insupportait. Et puis, pourquoi me poser autant de questions ? Je ne lui devais rien, seulement trois-mille-quatre-cents yens pour ses services. Je sentais dans sa façon de faire qu’il était dérangé de colorer en noir des mèches naturellement dorées, chose qui était tellement rare ici. Mais cela n’avait pas d’importance pour moi, dès lors que ces minables personnes m’avaient touché le haut de la tête, ces cheveux avaient été souillés pour l’éternité.

Je fus évidemment sous le choc de redécouvrir un nouveau visage, complètement transformé. Mes boucles noires assombrissaient mon teint devenu pâle et mes yeux bruns accentuaient la tristesse de ma mine. Mes yeux s’humidifiaient, le passage à un homme nouveau, qui s’oublie, était forcément douloureux. Mon corps prenaient conscience de tout ce que cela impliquait, comme futur, mais aussi comme passé. Je m’empressai de le payer, et de fuir. Pourquoi fuir ? Sam reprends-toi. Samuel, c’est mon prénom, il aurait été peut-être bon de le mentionner avant, mais je suis très mauvais quand il s’agit de faire les présentations.

Je rentrais pour une énième journée de travail dans l’immense bâtiment qui abritait Shogakukan. L’immeuble était aussi triste que moi : tout en béton armé, à la façade terne, presque noire. Décidément, je n’étais pas le seul à avoir opté pour cette couleur là. Je travaillais dans le département dédié à l’exportation de leurs mangas, mais surtout de leurs dictionnaires linguistiques. J’avais comme mission de réaliser un nouvel ouvrage dédié à l’apprentissage du français pour les Japonais. Je n’étais pas seul, ça changeait de d’habitude.

On me présenta très vite Ryu Kobayashi, un jeune japonais de mon âge, soit vingt cinq ans. Il était de ce qu’il y avait de plus courant, c’est-à-dire les cheveux noirs avec une frange tombante sur son front, des yeux bridés (forcément), un nez un peu aplati (rien d’étonnant) et des lèvres en forme de coeur (moins ordinaire). Il était assez grand, un mètre quatre-vingt deux, autant dire que j’étais tout petit face à lui. De nature très gentil et serviable, il ne parlait pas beaucoup, même s’il maîtrisait le français.

Vous vous demandez surement comment je fais pour bosser dans un tel service sans être bilingue ? Et bien, outre mon japonais de base acquis grâce aux dessins animés, chansons et mangas, j’ai souscrit avant de partir à des cours intensifs en japonais, même si l’anglais prédominait dans mon département, puisqu’ils étaient spécialisés à l’international. Il n’y avait d’ailleurs pas que des Japonais, mais aussi un Britannique, une Sud-coréenne et un Philippin. J’arrivais donc à me débrouiller.

Ryu et tout mon service furent tout aussi surpris que moi d’arriver métamorphosé, passant du blond angélique au noir diabolique, tel un ange déchu chutant de l’Olympe pour se retrouver en terra incognita. Pardonnez le mélange des cultures spirituelles, il n’y avait en effet pas d’ange à l’Olympe, impossible qu’il choit. Seul le Britannique, Michael ou Michel je ne savais plus trop, s’en était surpris au point de me lancer un “et bah dis donc ! Tu cherches à te fondre dans le paysage ?”. Devenir invisible ? Il avait marqué un point. Si j’avais été comme tout le monde en entrant dans cette boutique, peut-être aurais-je évité tout cela ? Si j’avais été Japonais, m’auraient-ils attaqué ? Cette réflexion me fit frissonner. Etait-ce parce que j’étais étranger qu’on m’avait fait subir cette atrocité ?

Le racisme japonais et asiatique en général ne m’était pas inconnu. Ma soeur m'avait raconté que lors d'une excusion en Corée du Sud elle avait dans un parc lu sur un panneau :

개와 일본인 금지

Interdit aux chiens et aux Japonais

Non seulement c’était choquant, mais de surcroît complètement banal. Et comme pour enfoncer le clou, ils avaient eu l’idée de mentionner les Japonais après les chiens… On retrouvait la même chose au pays du soleil levant, des restaurants étaient interdits aux Coréens et parfois aux étrangers en général. Ils écrivaient tous leurs menus en kanji pour dissuader les non-natifs de venir. Alors avais-je été victime de racisme ? Peut-être, sûrement.

La journée se passa sans encombre, on termina très tard, vers vingt-deux heures car il fallait que nous attendions que notre chef de service, Monsieur Akira Ogawa quitte son bureau, pour que nous puissions nous aussi partir. Le fameux code du travail nippon… Je m’apprétais à appuyer sur l’interrupteur pour éteindre la lumière de mon bureau quand Mitchel (voilà c’était ça son prénom) m’apostropha :

— Hey Samouel (les Anglais sont définitivement incapables de prononcer le “u” français), est-ce que ça te dirait qu’on mange tous ensemble ce soir ? Eun-Jung est partante.

Eun-Jung c’était la Sud-coréenne qui travaillait avec nous. En temps normal, mon asociabilité voudrait que je reste chez moi, qui plus est, avec ce qui m’arrivait, je n’avais pas la force de m’amuser, de rire, de profiter d’une vie qui m’en voulait terriblement. Mais je pensai alors à mes cheveux, et mon envie de recommencer à zéro, d’oublier l’ancien Samuel. J’acceptais, et je le regrettais presque déjà.

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