Chapitre 1 : c'était un 9 septembre

4 minutes de lecture

Notes de l’auteur : C'est un roman qui aborde des thèmes sensibles et qui peuvent choquer les moins avertis. Peut contenir des scènes explicitement sexuelles. Aucun langage cru cependant. Il s'agit d'une romance homosexuelle dramatique.

Bonne lecture à vous, tous vos retours sont les bienvenus !

 Nous étions le 9 septembre, tout un symbole dans cet archipel que je découvrais depuis maintenant une petite semaine. Mon arrivée au pays du soleil levant n’était que très récente, et assez opportune. Je ne savais pas quoi faire de ma vie, tout me passionnait, me subjuguait pendant l’espace d’un instant, puis se fanait dans les mois qui suivaient. Je n’arrivais pas à m’accrocher suffisamment fort pour que mon projet ne m’échappe des mains et se brise en mille morceaux au sol. Je n’y étais à la fois pour rien, et en même temps, j'aurais pu éviter de faire de ma vie un échec.

Quand ma soeur était rentrée du Japon, elle en parlait avec un tel enthousiasme, que je ressentais presque les mêmes émotions qui l’avaient tant chamboulée. Et comme jaloux de son bonheur, presque sur un coup de tête, j’avais sondé tout l’internet à la recherche d’un quelconque travail, qui pourrait ainsi me permettre de loger pendant un moment sur cette gigantesque île qu'est Honshu. Une joie indomptable s’était échappée de la cage de mon stoïcisme permanent quand j’appris que mon employeur était partant pour embaucher une personne de mon type.

Je travaillais ainsi à la célèbre maison d’édition Shogakukan ! Comment y étais-je arrivé ? Aucune idée, mes talents rédactionnels et mon organisation martiale avaient peut-être su séduire mon employeur japonais. On dit que dans ce pays-là, plus vous êtes laid, et plus de chances vous avez d’être engagé, car qui dit “moche”, dit forcément "célibataire et sans enfants", et donc "apte à travailler jusqu’à vingt-deux heures sans problème". Je ne savais pas si je devais être fier d’avoir été embauché…

Suis-je laid ? Quand même pas, on me décrit comme la beauté aryenne : cheveux blonds bouclés en bataille, peau blanche et lisse, des lèvres charnues rosées, un nez un peu pointu et allongé me donnant un visage “d’aigle” selon mes proches, et des yeux… marrons. Oui, d’habitude c’est le bleu ou le vert qui prédominent chez les blonds, mais pas chez moi. Suis-je laid ? Non, selon les critères de beauté occidentaux portant au pied d’estale les hommes et femmes aux cheveux dorés, qui rappellent certainement les représentations d’anges bibliques. Quant à mon corps, il était assez frêle, mais commençaient à se dessiner quelques muscles timides. J’ai une taille mannequin, avec des hanches plutôt féminines et des jambes élancées. Cela ne fait pas de moi quelqu’un de grand, je suis dans une moyenne plutôt basse chez les hommes avec mon mètre soixante-huit. Suis-je laid ? Pour certains, sûrement, je trouve moi-même le blond fade et sans personnalité.

Je suscitais dans ce pays beaucoup d’interrogations et de curiosité, mon physique étant sérieusement atypique dans cette région du monde. Les yeux de certains brillaient tant je devais scintiller, quand d’autres ne me témoignaient soit absolument aucune émotion soit du dégoût, préférant la peau blanche plus sombre des asiatiques, leurs cheveux noir ébène et leurs yeux en forme de croissant qui sourient tout le temps. De mon point de vue, les asiatiques étaient comme n’importe quel autre peuple. Il y en avait des beaux, des moins beaux, des affreux, des sublimes, des répugnants. Pardonnez-moi, mais je ne regarde que les hommes, je suis capable de percevoir la beauté chez les femmes, ne vous inquiétez pas, mais il est vrai que la nature m’a doté de ce fardeau que d’être différent des autres et de n’être attiré que par mes semblables.

Nous étions donc le 9 septembre, et au Japon, c’était le festival de la joie, où l’on célèbre les chrysanthèmes, fleurs originaires de Chine, mais qui se sont bien acclimatées ici. Elles sont même le symbole de la famille impériale. C’est ainsi que, machinalement, je m’étais dirigé, en début de soirée, chez un marchand de fleurs pour appréhender un peu plus ses créations florales, où trois autres Japonais s’étaient garés devant la boutique avec leur moto. Je dois avouer que le jeune marchand m’avait fait craquer l’espace d’une nanoseconde. Il n’avait rien de spécial sinon que d’être à mon goût, les cheveux courts avec une frange entretenue, des yeux souriants, un nez assez fin et allongé, loin de ceux écrasés très répandus, et des lèvres en cupidon.

C’est quand il comprit que je venais tout juste d'arriver au Japon, que ma vie bascula pour l’éternité. Derrière cette beauté voluptueuse, résidait en lui le Démon lui-même. Il fit signe aux trois autres Japonais de rentrer dans le magasin. Moi je continua à contempler mes fleurs, quand on me prit par le bras, et qu’on m'entraîna dans l’arrière boutique. Le plus grand des quatre me frappa si fort que j’en fus déboussolé, m’écrasant à terre. Dans un japonais très bancal, je leur fis comprendre que je leur donnais mon argent sans sourciller. On me prit bien mon portefeuille, mais ce n’était qu’un bonus imprévu dans leur plan machiavélique.

La terreur se figea dans mon regard quand on m’arracha mes seuls remparts de pudeur, que mon pantalon voltigea en l’air pour s’écraser derrière moi, qu’on me plaqua au sol sur le dos, écartant mes cuisses, et que quatre poignards vinrent déchirer mon intimité. Je n’arrivais même pas à pleurer, regardant l’ampoule jaunâtre au plafond, comme une échappatoire à ma souffrance. On me retourna, et positionné tel un vulgaire animal, on me tranchait de l’intérieur, tandis que j’avais le nez dans les quelques chrysanthèmes de la réserve. Je ne faisais plus attention aux rires, aux crachats, ils m’étouffèrent plusieurs fois de leur virilité que je portais en bouche le plus mécaniquement possible, régurgitant à chaque fois qu’ils déversaient leur lave bouillonnante sur ma langue.

On m’ordonna de me rhabiller et de partir, l’un d’eux coupa la paume de ma main avec son couteau, pour me prévenir que si je disais quoi que ce soit, j’aurais la même chose sur ma gorge. Et j’errais, là, dans les rues sombres de Tokyo, dans le noir des chrysanthèmes.

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