La délivrance...

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- Mon coeur… C’est l'heure de te lever…

- Laisse-moi… J’ai pas envie…

- T’as pas le choix… Tu le sais… Même si t’as pas envie… Ce soir tout sera terminé…

- Je sais… J’ai peur de pas y arriver…

- Allez, bouge toi!!!

- C’est bon… J’arrive…

Nous somme ce jour tant redouté et tant attendu à la fois, ce soir tout sera terminé, et c’est la seule chose qui me contraint à quitter mon lit ce matin. Je gobe un café à la vas-vite, grignote un morceau de croissant, enfile mon blouson et nous partons pour le tribunal où nous retrouvons Hélène, Thaïs, et Cedric. L’ambiance est lourde, froide, larmoyante entre nous, mais nous en connaissons tous la raison, revivre cette tragédie nous effraie tous, nous attriste, même nos compagnons, qui la connaissent par coeur appréhendent ce moment où ils prendront cette réalité en pleine figure, je les serre tous dans mes bras, en silence, pas besoin de mots dans ces moments-là.

Lorsque Maître Rangon nous rejoint, il arrive à détendre un peu l’atmosphère par sa mine joviale, et sa confiance inébranlable.

- Plus que quelques heures à tenir, et vous serez libérés de tout ce poids. Je sais que ce n’est pas facile pour vous trois, mais ne vous en faites pas trop. Soyez bien à l'écoute surtout, répondez simplement et clairement aux questions qui vous seront posées, et faites confiance à la justice de votre pays.

- Merci Maître

- Merci.

- Un grand merci de vous occuper de nous avec autant d’attention.

- Merci à vous de me faire confiance, c’est un plaisir pour moi de défendre des gens comme vous dans ce genre d’affaires, Cécilia peut être fière de vous tous, de votre combat, pour lui rendre justice, c’est avant tout pour elle que nous sommes là.

- D’accord...

- Allons-y, c’est l’heure.

Nous traversons la salle des pas perdus pour nous rendre dans la salle d'audience, où sont déjà installés plusieurs personnes, des visages que je reconnais sans me rappeler les avoir déjà vu. Nous nous installons sur les chaises qui nous sont désignées par notre avocat dans un silence pesant tandis que l’avocat de l’accusé entre à son tour, nous salue poliment et s’installe à sa place. Puis c’est au tour de son client d’entrer, menotté et encadré par deux policiers, la tête basse, le dos voûté, il semble accablé par le poids de sa culpabilité, mais pour autant il ne m’inspire aucune pitié, aucune compassion, à son passage devant nous, je sens les ongles de Thaïs et Hélène s’incruster dans mes épaules.

La juge rejoint enfin son siège, droite et digne, une grande brune d’une quarantaine d’années, elle nous entoure d’un regard doux, puis ses yeux se font sévères en se posant sur l’accusé, elle lance sèchement:

- Mesdames et messieurs, bonjour… Nous n’allons pas perdre de temps et nous lancer immédiatement dans les débats… Monsieur S…… Levez-vous! Vous avez le droit de garder le silence, de prendre la parole spontanément en la demandant et de répondre aux questions qui vous seront posées, je vous prierais de bien vouloir rester poli, courtois et respectueux...

Monsieur, vous êtes accusé des faits d'homicide involontaire avec circonstances aggravantes sur la personne de Mademoiselle Cécilia Maillard, les faits se sont déroulés le 25 décembre 2…, au carrefour des Boulevards … et … à Aix en Provence, Bouches du Rhône, France. Avez-vous une déclaration à faire?

- Je… Non… Enfin oui…

Il a levé les yeux vers nous, des yeux vides, sans vie, inondés de larmes.

- Nous vous écoutons Monsieur.

- Je suis désolé… Je m’excuse du fond du cœur… Je ne voulais pas, j'imaginais pas que ça pouvait arriver… Je regrette profondément ce qui s’est passé ce jour-là, j’ai fait une erreur, la pire erreur de ma vie et je m’en veux depuis. Je ne vous demande pas de me pardonner, non, juste de comprendre que je m’en veux, que je regrette, et que j’assumerai jusqu’au bout les conséquences de mes actes.

Sachant qu’il avait reconnu les faits, son interrogatoire par la juge ne dure que quelques minutes, avant de laisser la place aux témoins qui nous relatent chacun leur tour leur point de vue sur l’accident, les détails qui les ont frappés, certains encore profondément choqués, répondant aux questions des différents acteurs. J’encaisse tant bien que mal tous ces récits, écoutant attentivement pour essayer de comprendre le déroulé de ses dernières minutes. Je comprends en voyant certains témoins d'où me venait cette sensation de “déjà-vu” quand j’ai repéré certains visages en entrant dans la salle. De son côté, l’accusé reste prostré sur sa chaise, secoué de sanglots, dans un mutisme presque respectueux.

Nous avons droit ensuite aux analyses rigoureuses de deux experts, factuelles, scientifiques, froides, qui relatent les causes et conséquences de chaque phase de l’accident, ce qui nous permet de mieux appréhender les faits relatés par les témoins, les avocats et la juge demandent des précisions sur certains points, les réponses sont de nouveau précises et explicites.

Après la pause repas où nous ne grignotons que quelques miettes, dans un silence monacal, des sandwichs que Charlène nous avait préparés, nous sommes appelés chacun notre tour à la barre pour nos dépositions. C’est Thaïs qui s’y colle la première, répondant clairement aux questions sur sa relation avec Cécilia, son enfance à ses côtés, ses difficultés à reprendre une vie normale depuis sa disparition. Même si je connais cette relation, même si nous en avons discuté plusieurs fois tous les deux, je suis touché en redécouvrant la profondeur des sentiments qu’elle partage avec son amie.

Lorsque vient mon tour, j’applique simplement les consignes de notre avocat, raconte le déroulé de cette triste journée, mon arrivée sur les lieux, la découverte de la tragédie, mes difficultés à accepter sa disparition, à reprendre une vie normale par la suite puis les étapes de ma guérison sans entrer dans les détails.

- Avant que vous ne m'autorisiez à regagner mon siège, j’aimerais simplement adresser quelques mots à Mr S…

- Allez-y… Mais restez courtois…

- Merci. Regardez moi s’il vous plaît, ayez le courage d’affronter mon regard. Il y a presque deux ans, vous m’avez enlevé celle que j’aimais, alors vos excuses, vos remords, même s’ils sont de circonstance, ne me font ni chaud ni froid… J’ai mis plusieurs mois à m’en remettre, et aujourd’hui, ici, j’ai encore du mal à accepter cette perte. J’espère seulement que vous comprendrez ce que nous avons vécu, ce que nous vivons encore, et que vous en souffrirez toute votre vie.

Hélène a pris la parole à son tour, répondu aux questions sur l’enfance de Cécilia, sur les relations qu’elles entretenaient, les difficultés de son divorce et la façon dont sa fille essayait d’encaisser, puis les changements lorsque sa fille m’a rencontré, et le vide dans sa vie après le drame, pour terminer par s’effondrer en larmes, à la fin de son interrogatoire. Je me suis levé, pour aller la chercher, incapable de tenir seule sur ses jambes, et nous avons quitté la salle d’audiance avec l’accord de la cour pendant que Me. Rangon prenait la parole à la place de mon ex beau-père, que je n’avais, étonnamment, jamais rencontré.

Après une pause de trente minutes, que nous avons mis à profit pour reprendre un peu de courage, et revenir sur nos témoignages, le temps que le tribunal prenne sa décision, nous revenons dans la salle, qui s’est considérablement remplie, pour entendre le verdict et l'énoncé des peines.

- Mr S… Je vous demande de vous lever pour entendre la décision de ce tribunal.

Comme vous l’avez déclaré lors de votre garde à vue, vous êtes reconnu coupable d’homicide involontaire avec les circonstances aggravantes retenues: conduite sans permis en récidive, conduite en état d’ivresse et sous l’emprise de stupéfiants en récidive, délit de fuite, je vous rappelle que deux jours auparavant vous aviez été contrôlé au guidon d’un deux roues, en état d’ivresse, et sous l’emprise de stupéfiants. Vous êtes donc condamné à dix ans d’emprisonnement, dont trois avec sursis, obligation de soins et de suivi psychologique pour vos addictions à la drogue et l’alcool, et cinquante mille euros d'amende. De plus, le tribunal vous condamne au versement de dommages et intérêts aux quatre parties civiles:

- A Mr C... , Père de la victime, 8000 € au titre du préjudice moral.

- A Mme Maillard, Mère de la victime, 15000€ au titre du préjudice moral et professionnel.

- A Mlle Gaillardon et Mr Gallo, amis et témoins indirects de l’accident, 1500€ chacun au titre du préjudice moral. Vos ressources ne vous permettant pas de subvenir aux sommes dues aux victimes, le tribunal, en collaboration avec votre avocat, se chargera d’engager un huissier pour la saisie de vos biens. Avez- vous quelque chose à déclarer?

- Aucune, j'accepte la peine avec résignation. Je pense que je l’ai méritée…

-Très bien, j’espère que vous continuerez sur cette voie dans le futur, pour votre propre réhabilitation.

L'audience est levée.

Nous quittons le tribunal quelques minutes plus tard, aux bras de nos compagnons, Hélène encore soutenue par Me Rangon, nous sommes soulagés par la sévérité de la peine, mais les souvenirs remués tout au long de la journée nous ont éprouvés mentalement. Nous nous retrouvons ensuite chez Hélène pour passer un moment tous ensemble, avant de rentrer chez nous.

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