Début de semaine compliqué, première dispute…

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Lundi matin, 6h30, c’est la sonnerie du réveil qui me tire du sommeil, le lit est vide à côté de moi et pas un bruit dans le studio. Je soupire, tourne la tête, personne dehors, la salle de bain est éteinte… Je m’extrais péniblement du plumard, et découvre un petit mot sur un post-it accroché sur la télé :

« Réveillée tôt, tu dormais comme un bébé, pas voulu te réveiller, partie courir un peu. Besoin de me défouler. A tout’. Je t’aime. Chou. »

Rien de tel pour me mettre de mauvais poil et commencer la semaine de travers, j’aime me réveiller en sa présence, on ne s’est pas quittés depuis qu’on est ici, être auprès d’elle me permet de ne pas penser au passé, et son absence à mon réveil me contrarie. Elle sait que cette semaine elle ne sera pas avec moi tout le temps, qu’elle doit commencer ses consultations au centre tous les matins, et bosser ses comptes rendus le reste du temps. Même si on quitte le centre vers 17h tous les soirs, qu’on vit ensemble, j’ai du mal à supporter l’idée d’être séparé d’elle ne serait-ce qu’une petite heure.

Je me prépare à aller sous la douche lorsque j’entends du bruit derrière la porte, j’accélère le mouvement pour ne pas la croiser, et file m’isoler sous l’eau. Lorsque j’entends la porte de la salle de bain s’ouvrir, je m’imagine ses plans et prend la décision de ne pas me laisser faire, quand j’ouvre la cabine pour attraper ma serviette, elle sursaute, et se tourne vers moi.

C’est vrai qu’à ce moment-là elle est vraiment craquante, le visage rougi par l’effort, encadré par ses deux tresses rousses, ses fringues trempées collants sa peau transpirante. Je dois prendre sur moi pour l’ignorer, j’entoure la serviette autour de ma taille, dépose un simple baiser sur la joue, et file dans le placard prendre de quoi m’habiller, enfile mes fringues et me sers un café sans lui décocher le moindre regard, ni le moindre mot.

Je file déguster mon café dehors, avec un paquet de biscuit et mon verre de jus d’orange, profitant du jour qui se lève et du silence. Je me permets même le luxe d’allumer une clope, histoire de lui faire comprendre ma colère. Si elle voulait aller courir elle aurait dû me réveiller et me le dire tout simplement, je me serais même permis de l’accompagner.

« - Tu boudes ?

- Mmm…

- C’est quoi le problème ?

- Rien… C’est moi… Ça va pas ce matin… C’est tout… Elle vient se planter devant moi, je tourne la tête pour la fuir, mais elle me prend les joues pour me forcer à la regarder dans les yeux…

- C’est bon, tu vas pas commencer la semaine en faisant la gueule pour rien !

- C’est bon… Laisse…

- Tu rêves là ! Tu crois que je vais te laisser sans avoir d’explications… Alors ? Son regard me transperce mais je lutte pour ne pas craquer…

- C’est rien, réveil difficile…

- Juste parce que je suis allé me défouler pour pas faire de bruit et te réveiller ? T’es vraiment un gamin !!!

- Ben oui Madame, t’oublies que je suis encore un gamin… J’ai que 17 ans

- Arrête ta crise, sinon je te ramène chez toi de suite.

J’ai aperçu des éclairs au fond de ses yeux verts, elle ne s’était jamais mise dans cet état avec moi, je préfère faire profil bas…

- C’est bon j’arrête… Maman…

- Bon, tu m’expliques ?

- C’est rien je te dis… C’est le réveil qui m’a tiré de mon sommeil… T’étais pas à côté de moi… T’étais même pas là… Je me suis senti délaissé… J’aurai pu venir avec toi…

- En fait non… J’avais besoin de prendre l’air… Seule… Et t’es pas en condition pour me suivre… T’en es même très loin… Avec ta patte folle… Et tes poumons de fumeur…

- Comment t’as su pour ma jambe ?

- Ta cicatrice, patate… Puis, tu t’en rends pas compte, mais quand tu fatigues tu boites… T’as fait quoi, tu me l’as jamais dit…

- Accident de foot au collège y’a un an et demi… Hosto, bloc, plaque, vis et points de suture… Puis canapé, glandouille, kiné et kilos en trop…

- Toujours en place ?

- Non, retirée en avril, mais j’ai jamais fait les séances de kiné après…

- C’est débile… Ça te coutait quoi ?

- Du temps avec mes potes… Je commençais tout juste à me relever… Je voulais pas devoir tout réexpliquer… »

Je lui en veux toujours pour ce matin, elle est ma bouée de sauvetage, elle m’aide à survivre, et j’ai du mal à supporter la solitude, je reste convaincu qu’elle n’aurait pas dû me laisser seul, sans m’en parler.

Nous avons rapidement rejoint le centre dans un silence pesant, j’espère que mon mutisme lui fait comprendre ma rancune, la fait réfléchir sur son attitude de ce matin. Une fois garés sur le parking, je bondis à l’extérieur de l’habitacle, Mélo sur le dos, et file rejoindre mes compagnons, sans un geste envers Charlène. J’ai bien l’intention de lui faire comprendre ma colère, ma frustration de m’être réveillé seul. Je veux qu’elle se rende compte que j’ai besoin de sa présence en continu, je veux bien faire l’effort au centre pour qu’elle puisse bosser pour ses études, mais en dehors, je veux rattraper le temps perdu, profiter d’elle.

Je retrouve donc mes compagnons d’infortune à la sortie de leur petit-déjeuner, les salue un par un, et je suis immédiatement frappé par un détail d’importance qui ne m'avait pas frappé la semaine précédente: je suis le plus jeune des pensionnaires, peut-être même le seul mineur et ça me réjouis. J’aime bien être le petit dernier, le plus jeune, celui dont on s’occupe, que tout le monde chouchoute.

Je fais le pitre pendant les activités de la matinée, ça me permet d’oublier ma tristesse, l’absence de Charlène, ma colère et surtout de faire rire mes compagnons. Après le repas du midi et sous l’insistance de mes camarades, nous nous réunissons à l’ombre du parc pour fredonner quelques chansons, accompagnés par Mélodie.

Cet après-midi, j’ai mon premier rendez-vous avec une psy du centre, je suis inquiet de devoir encore déballer mes états d’âme à une inconnue coincée dans son tailleur, j’en ai marre de ressasser toujours la même histoire, de répéter les mêmes mots, de déterrer toujours les mêmes souvenirs.

Accident, blessures, hôpital, coma, mort, cimetière, colère, tristesse…

Lorsque Magali vient me chercher, nous fredonnons à capella Le sud de Nino Ferrer, je l’aperçois du coin de l’œil lorsqu’elle s’approche de nous et nous observe, n’osant probablement pas nous interrompre. En fait, c'est surtout moi qui l'interesse et je sens son regard curieux se poser régulièrement sur moi, me détailler avec précision, analyser mon attitude.

La fin du morceau sonne la reprise des ateliers de l’après midi pour tous, elle s’approche de moi et se présente, J’en profite pour la scruter avec insistance, elle ne ressemble pas à l’image que j’avais de la psy, elle est jeune, très grande, fine, de longs cheveux noirs ondulés encadrent un visage jeune et souriant, ses yeux sont d’un noir profond, observateurs. Elle est légèrement maquillée, un trait de crayon sur les paupières pour souligner son regard, un peu de fard bleu très clair, un rouge à lèvres légèrement foncé. Que nenni des lunettes à montures épaisses, du tailleur, du rouge à lèvre rouge et du chignon, cliché habituel de la psy, elle porte un simple jean bleu clair, un débardeur noir, et une paire de baskets blanches.

« - Louis, c’est bien ça ?

- Il paraît… Elle me tend une main fine aux ongles vernis de blanc.

- Je suis Magali, je fais partie de l’équipe de psychologues du centre. Patrick et Charlène m’ont confié ton cas, tu préfères qu’on discute dans mon bureau ?

- Comme vous voulez.

- On peut rester ici, si tu préfères, et se tutoyer, je préfère.

- Oui je préfère ici. Pourquoi toi ?

- C’est-à-dire ?

- Pourquoi ils m’ont confié à toi ?

- Disons que j’ai vécu un peu la même histoire que toi, et j’ai l’impression qu’on a aussi le même caractère, pile et face, Dr Jekill et Mr Hyde, le feu et la glace…

- Tu connais mon histoire ?

- Effectivement, Patrick m’a dressé ton profil assez précisément, Charlène a été assez bavarde aussi ce matin…

- Ah ouais… C’est bien… Faut pas l’écouter aujourd’hui… Elle doit m’en vouloir…

- Tu te trompes… C’est à elle qu’elle en veut… Elle sait bien qu’elle a déconné ce matin…

- C’était plus une maladresse, c’est pas très grave en soi, mais j’ai été surpris… Ça m’a mis de travers… Mais ça va passer… Ça passe déjà en fait… Avec la musique ça passe toujours…

- Parlons en tiens… Ça te plais de te donner en spectacle comme ça ?

- Plutôt oui, mais pas devant des inconnus… Je suis trop timide pour ça… Et il faut que les gens participent un minimum… Sinon c’est nul…

- Ça te fait quoi ?

- De jouer ? Je m’isole dans ma bulle avec Mélodie, et Cécilia parfois aussi, je ne vois plus vraiment les gens, je les entends chanter, fredonner, je sens leurs regards, mais je divague dans mes pensées… Je sens leurs sourires aussi… Et ça me fait du bien de donner du bonheur aux gens…

- Mélodie ?

- Ma guitare…

Je souris encore en disant ça, elle aussi… Elle est très charmante, elle me rappelle un peu Cess dans ses attitudes, avec dix ans de plus…

On a une relation sérieuse, elle et moi… On communique… Elle me répond quand je lui parle…

- Ça aussi j’en ai entendu parler…

- En fait tu sais déjà tout…

- Oh que non… J’ai que les grandes lignes… Bon tu me racontes un peu Cécilia ?

- Un coup de foudre… Un soir d’automne… Ça a été deux mois de pur bonheur… On a découvert le vrai amour ensemble, le sexe aussi… J’ai découvert ce que les sentiments ont de plus fort, de plus beau… Et de plus douloureux… J’ai compris qu’elle était faite pour moi, qu’on était fait l’un pour l’autre… Mais la vie en a décidé autrement… Je l’ai trouvée inanimée au sol, j’ai espéré, j’ai prié… Dans le vide… J’ai pleuré surtout… De bonheur, au début… Puis… Elle est partie…

- C’est dur à ton âge… Mais t’as l’air d’être bien maintenant…

- Dur ? C’est pire que ça… Mais tu dois savoir… C’est grâce à Chou que ça va mieux en ce moment… Elle me tire vers le haut, chaque jour, chaque minute, elle prend soin de moi… En fait c’est sa présence… Même si elle fait rien de spécial…

- J’ai connu ça… Effectivement… J’ai perdu mes parents à l’âge de 13 ans, accident de la route… Je suis partie à la DDASS avec mon frère… C’est là que j’ai connu Patrick… C’était mon psy référent… Il m’a remis dans le droit chemin… M’a donné le goût pour la psycho… Il m'a accompagné depuis… Lorsque j’ai eu mon diplôme, j’ai couru le voir pour bosser avec lui…

- Donc tu connais bien Cha ?

- Oh que oui… Je l’ai vu grandir… Elle ira loin… Et vous deux, ça donne quoi ?

- C’est la psy qui parle là ?

- Oui et non, on va arrêter de te torturer pour aujourd’hui et passer à des choses plus joyeuses… Mais c’est un peu comme ma petite sœur… Alors ?

- On s’est rencontré début Juillet, pour l'anniversaire de Will, son cousin… On a juste sympathisé au début… Puis j’ai commencé à craquer pour elle… Elle m’a recadré sur mon comportement et mon hygiène de vie… Et elle m’a proposé d’intégrer le centre pour me soigner, d’habiter avec elle, en colloc… Comme des potes… Mais c’était déjà plus que ça… Il a fallu que je lui avoue mes sentiments samedi… Pour qu’elle se dévoile enfin un peu…

- Oui j’en ai largement entendu parler, de samedi… T’as de la chance… C’est une perle…

- Un peu chiante parfois…

- Comme tout le monde… Mais il faut savoir l’accepter… T’es pas non plus un saint… À ce qu’il parait…

- Ouais… Ce matin j’ai pas géré… J’ai un peu déconné…

- On en discutera demain de ça… Mais y’a pas que ce matin…

- Elle t’as raconté quoi ???

- …

- Pas hier matin ???

Elle hoche la tête en me regardant.

Si ???

Elle continue, je vire au rouge foncé…

Je vais la tuer… Je vais la tuer… Je vais la tuer…

- Elle y est pour rien… C’est pas de sa faute… J’ai tellement insisté quand j’ai vu ses yeux quand elle m’a parlé de toi… Je pense qu’elle a voulu se venger de ce matin, un peu… »

Je me lève soudainement, et la plante sur le banc je me sens trahi tout à coup… J’oscille entre la colère, la honte et un peu de fierté tout de même…

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