En marche…

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« - Tu traines mon cœur… Accélère… »

Je ne suis pas très sportif à la base, et après les mois passés, enfermé dans ma chambre, je le suis encore moins. J’avais accepté de suivre son programme sans broncher, je suis même heureux de découvrir la magnifique vallée de Freissinières en sa compagnie. Il est vrai que malgré la saison, les randonneurs sont très peu nombreux pour un samedi, le calme qui règne ici est apaisant, simplement le chant des oiseaux, le bruissement des branches et le murmure de l’eau du torrent de la Biaysse.

J’ai l’impression d’avoir totalement changé de continent, la végétation de cette vallée est luxuriante, le sol recouvert d’humus, bien humide après la pluie de la veille, les falaises immenses, d’où s’écoulent les torrents en impressionnantes chutes d’eau.

J’ai appris par la suite que cette vallée était surnommée la vallée du bout du monde par les habitants du coin et qu'elle n’avait pas que le nom de bout du monde, elle en avait aussi l’aspect. Plus de 2000m d’altitude séparent le fond de cette vallée encaissée, et les sommets les hauts qui nous entourent.

Je suis à la traîne, ne sachant plus où braquer l’objectif de mon appareil photo pour immortaliser la splendeur du paysage, et mon manque de condition physique se trouve être une très bonne excuse pour rester en retrait et profiter du paysage.

Je me suis découvert une passion pour la photo ce jour-là, j’avais emprunté l’appareil de mes parents, histoire de garder des souvenirs de ce séjour, sans grande prétention, et je me suis rapidement pris au jeu…

« - Loulou, putain, on va vite avoir chaud après, j’aimerais arriver rapidement au hameau pour pouvoir me poser…

- Clac…Clac… Clac…

- Tu fais quoi là ?

- Rien, juste quelques photos…

- De moi ?

- Non, t’es trop moche !!!

- Connard !!!

-Merci… Je sais… »

Là où certaines auraient mal pris ma remarque, elle, elle a ri, elle a compris que ce n’était que de l’humour, elle sait l’admiration que je lui porte et elle sait ce que ma réaction révèle sur mon état. Si je retrouve mon sens de l’humour, c’est que le vent tourne…

Elle revient vers moi avec son magnifique sourire, j’en profite pour déclencher une bonne dizaine de fois avant qu’elle ne soit trop près, je sais que sur ces photos, certaines seront à jeter, mais d’autres pourraient faire de jolis portraits souvenirs le jour où…

‘ Le jour où quoi ? T’es con de penser à des choses pareilles… T’espères pas revivre le même drame encore une fois ?

Elle est venue me prendre la main, et nous sommes repartis le long du sentier, découvrant régulièrement quelques cascades que je m’empresse de photographier tandis qu’elle me tire par le bras pour m’obliger à la suivre. Nous avons suivi le torrent jusqu’à un pont en bois, que nous avons franchi, puis traversé un parking pour rejoindre le sentier qui monte jusqu’aux hameaux de Dormillouse, qui ne sont accessibles qu’à pied. Le premier kilomètre du sentier est un enchainement de lacets, en sous-bois, zigzagant entre le torrent des Oules d’un côté, celui de Chichin de l’autre, laissant apparaître deux imposantes chutes d’eau que je ne me lasse pas de photographier sous tous les angles possibles. Sur la suite du trajet la végétation se fait plus rare, et laisse enfin entrevoir les premières toitures du hameau, le sentier est maintenant plus rectiligne, longeant le flanc de la montagne pour arriver aux premières maisons après avoir de nouveau enjambé le torrent sur un pont de bois. Le point de vue tout le long du chemin est magnifique, le panorama sur la vallée est impressionnant, je suis tellement subjugué par toutes ces découvertes, que je ne peux prononcer un mot, est après deux heures de marche sans quasiment avoir échangé un mot, nous découvrons enfin les premières maisons.

Nous flânons jusqu’à rejoindre la terrasse du gîte aménagé dans l’ancienne école, où nous nous installons pour prendre un repas bien mérité.

« - Alors, t’en pense quoi du coin ?

- C’est juste magnifique, j’ai pas l’impression d’être en France, à quelques kilomètres de la civilisation. Merci de m’avoir emmené ici…

- C’est mon pèlerinage cette vallée, ma première randonnée chaque année, j’y viens depuis gamine pourtant, mais à chaque fois c’est le même plaisir, le même émerveillement quand je monte jusqu’ici…

- Comme je te comprends…

- C’est le seul hameau de montagne habité à l’année dans le parc des Écrins. En fait je pourrais t’en raconter l’histoire complète, je la connais par cœur…

- C’est gentil, mais ça ira… Je vais profiter du décor pour l’instant…

- Voilà les jeunes, deux grandes salades du jour et deux Cocas.

- Merci.

- Merci.

- Te vexe pas Chouchou, c’est pas que ça m’intéresse pas, mais y’a tellement de choses à voir ici, que je suis pas sûr d’arriver à t’écouter…

- Je suis pas vexée… En fait je suis heureuse que ça te plaise ce coin… C’est important pour moi… Bon on mange, j’ai la dalle…

- Bon appétit, mademoiselle Rivière…

- Bon appétit monsieur Gallo… Et ne m’appelle plus jamais comme ça, c’est réservé aux autres… »

Nous dégustons en silence nos salades, elles sont délicieuses, préparée uniquement avec des produits artisanaux : salade et tomates cultivées ici même derrière le gîte par la patronne, charcuterie et fromage fabriquées par les paysans de la vallée, les œufs et le pain d’un des habitants du hameau, cuit au feu de bois.

Je profite de ce moment de calme pour me plonger dans ses yeux lorsqu’elle termine son assiette, je reste hypnotisé par la profondeur de son regard, ces deux émeraudes qui scintillent me fascinent tant…

« - T’as un problème Loulou?

- Non, pas du tout. C’est juste tes yeux… Ils sont… Je sais pas… J’ai juste envie de… Je les trouve magnifiques…

- Merci, on me l’a souvent dit en fait…

- Si en plus tu te mets à sourire comme ça, je fais finir par fondre…

- Qu’est-ce qu’il t’arrive ? Tu deviens romantique ou quoi ? T’as jamais été comme ça avec moi depuis le début…

- Ma Chou… Je vais si bien depuis mercredi… J’ai plus touché une goutte d’alcool depuis Briançon, j’ai plus fumé un joint depuis l’autre nuit… Et on n’a pas encore commencé le suivi au centre… Je sais pas ce que tu m’as fait…

- C’est bon signe non ? Ça montre que tu vas un peu mieux. J’ai bien ma petite idée sur ce qu’il se passe, mais je veux pas m’avancer…

Nous sommes, une nouvelle fois, interrompus par la serveuse qui nous apporte les desserts et les cafés.

- Monsieur-dame, ça a été ?

- Parfait !!! »

Après avoir englouti nos délicieux flans au caramel, préparés avec des œufs et du lait frais, bien évidemment, j’allume une cigarette pour accompagner mon café. J’ai vu au regard de Charlène, qu’elle désapprouve mon geste, mais je ne me souviens même plus la dernière fois que j’ai réalisé ce geste et j’estime avoir amplement mérité cette petite entorse, et le regard que je lui lance semble la convaincre.

Après avoir pris le temps de digérer un peu notre repas, nous nous levons pour aller régler la note et reprendre notre périple.

« - Laisse, c’est moi qui t'invite…

- T’abuse mon Lou… C’est moi qui ai eu l’idée de cette rando…

- Et alors ? Tu m’as fait un cadeau en m’emmenant ici, en me faisant découvrir ce coin, c’est juste ma façon de te montrer que j’apprécie, de te remercier…

- C’est pas une raison… C’est pour toi que je le fais, pour que tu ailles mieux…

- Je sais… C’est pour ça que…

- Que quoi ?

- Que je te remercie à ma façon… »

Je me suis rendu compte que j’avais failli prononcer les paroles qu’elle semblait vouloir entendre, j’avais fait marche arrière au dernier moment sans vraiment m’en rendre compte. Pour faire bonne figure, je l’ai prise dans mes bras pour l’embrasser.

Plus les jours en sa compagnie passaient, plus j’avais envie de contacts physiques avec elle, bien sûr nous passions nos journées ensemble, mais d'un accord silencieux, conclu dans un échange de regards, nous avions retrouvé nos lits respectifs, et je m’étais battu plusieurs fois contre l’envie de la rejoindre la nuit. Je savais que je ne pouvais franchir cette limite de son intimité, que ce contrat tacite qui régissait nos règles de vie ensemble me l’interdisait, elle me faisait confiance et je ne devais pas briser ce lien entre nous.

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