L’électrochoc…

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Nous sommes au mois de mars, il neige de nouveau, et aujourd’hui elle aurait eu seize ans, un cap dans la vie d’une ado… C’est un bon jour pour un traitement radical, je suis au bord du gouffre depuis plus de deux mois, mais je connais le remède pour me soigner, un petit pas du côté du vide et tout sera terminé… Je suis bien décidé à aller la retrouver où qu'elle soit, j’en ai marre d’attendre que ma peine s’estompe, que les choses aillent mieux.

Aujourd’hui comme tous les samedis, j’ai décidé de me rendre dans le grand cimetière où elle repose, mais cette fois pour lui annoncer mon arrivée imminente. J’ai écrit une très longue lettre à mes proches dans laquelle je leur explique tout, que cette vie, vide de sens, n’est plus supportable pour moi, je m’excuse aussi de la peine que je vais leur faire, et je la glisse dans une de mes poches.

Il fait froid, les nuages sont bas et les flocons tourbillonnent depuis le milieu de la nuit, j’ai pris le bus comme à chaque fois, j’ai discuté avec le chauffeur tout le long du trajet, il sait pourquoi je suis là chaque semaine, il connaît mon histoire mais évite poliment le sujet.

On parle de météo, il m’explique que par ce temps, il préfèrerait être chez lui pour jouer avec ses enfants, je lui réponds que moi aussi j’aurai préféré jouer dans la neige aujourd’hui, mais que seul, ce n’était pas très marrant.

Au terminus, il me souhaite une bonne journée, me demande d’embrasser Cess de sa part, j’ai attrapé Mélo sur le siège à côté du mien et je suis descendu en le remerciant.

« - Joyeux anniversaire ma petite étoile, j’espère que tout va bien là-haut, tu me manques mon amour, si tu savais comme tu me manques… Mais c’est fini ce vide, je serai bientôt à tes côtés… Surveille-moi bien de là-haut et attends-moi… Prépare-moi une place au chaud près de toi… »

J’ai embrassé une dernière fois la photo sur sa tombe, je me suis assis juste à côté et j’ai serré celle où nous sommes tous les deux contre mon cœur, j’ai sorti mon Opinel fraîchement aiguisé et posé la lame à la naissance de mon avant-bras. Une bonne pression sur la lame, un mouvement de la main pour remonter le plus possible vers le coude et il n’y aurait plus qu’à attendre la fin.

J’ai fermé les yeux, j’ai inspiré une dernière fois…

Soudain son visage est apparu derrière mes paupières, déformé par la peur et la colère, hurlant un « NON !!!!» terrifiant, au moment exact où j'entame mon geste…

À cet instant j’ai senti la lame de mon couteau se briser net…

J’ai arrêté de respirer quelques secondes, attendant la suite, espérant que ce ne soit qu’une hallucination, ou le début de mon voyage vers elle…

Il m’a fallu quelques minutes pour réaliser que j’étais toujours en vie, que ça n’avait pas marché…

Je me suis allongé dans la neige en pleurant, ne comprenant pas ce qu’il venait de se passer… Ne voulant pas accepter que je ne puisse pas lui offrir son cadeau aujourd’hui…

j'ai laissé le chagrin passer, je me suis de nouveau assis, je ferme les yeux, tout se bouscule dans mon esprit embrouillé, j’essaie de démêler la pelote, de comprendre ce qui avait bien pu se passer.

J’étais sûr du bon état de mon couteau, je l’avais aiguisé avant de partir, et il n’était pas usé au point de casser comme ça.

Son visage, souriant et heureux maintenant, apparaît une nouvelle fois, et j’entends un éclat de rire… Je laisse ce moment durer le plus longtemps possible, profitant encore une fois son rire d’enfant.

Lorsque je rouvre les yeux, le temps est toujours aussi maussade, mais bizarrement, je ne suis plus aussi triste qu’en arrivant, le poids qui pesait sur mes épaules semble s’être en partie envolé. Je décide donc, légèrement soulagé, mais pas résigné, de remettre mes actes à un prochain jour, et de rentrer chez moi…

Le soir venu, je me couche, un peu plus serein qu’à l’accoutumé, comme si quelque chose avait remis en question toutes mes idées noires des dernières heures, pas besoin, ce soir, de mon joint habituel pour arriver à plonger dans le sommeil...

Elle est là près de moi, son corps tiède contre le mien, sa peau douce caresse la mienne, son doux parfum de vanille sucrée emplit mes narines, ses mains enserrent mon visage et ses yeux sont plongés dans les miens.

« - Salut mon cœur.

- Coucou mon étoile…

- Merci pour tes visites chaque semaine, j’aime bien quand tu viens me parler, le temps passe plus vite.

- Ça me fait du bien de te raconter ma vie sans toi, même si c’est vraiment pas très drôle depuis que t’es plus là… C’est même vraiment très dur à supporter, j’en peux plus, tu me manques tellement mon amour, je me sens vide depuis deux mois, j’ai plus envie de vivre, j’ai envie d’être près de toi…

- Mais je suis là Loulou, je suis toujours là, près de toi, tout le temps, et c’est pour ça que je voulais te parler… A propos de cet après-midi… Tu pensais que j’allais rester là, à te regarder te foutre en l’air pour moi ??? T’étais sérieux en plus !!!

Sa voix est pleine de colère, dure, sèche tout à coup.

- Tu veux plus de moi ? C’est ça en fait ? Je m’énerve à mon tour

- Bien sûr que si, je veux encore de toi, mais pas comme ça, t’as pas le droit de faire ça à tes proches, c’est pas la bonne solution…

- Putain mais Cess, t’arrive pas à comprendre que je veux plus vivre sans toi ? T’as débarqué dans ma vie, t’as tout chamboulé, t’as envahi mon espace, j’étais si heureux avec toi, comme jamais. Depuis que t’es partie, tout s’est écroulé, je me suis effondré… J’arriverai pas à me relever tout seul…

- Mais t’es pas tout seul, putain !!!! Je suis là moi, je veille sur toi maintenant, et ne recommence pas tes conneries de suicide, je te laisserai pas faire, je serai toujours là pour contrecarrer tes plans…

- Et je fais quoi maintenant ? Je continue à traîner ma carcasse jusqu’à quand ?

- Jusqu’à maintenant… Demain tu vas te reprendre en main, tu vas recommencer à vivre…

- J’ai pas la force de me relever, j’ai pas envie de me relever…

- Si !!!! Tu vas y arriver !!! Pour toi, pour ta famille, pour ma mère… Et surtout pour moi ! Je te le demande comme un dernier service, laisse-moi vivre à travers toi ! Je t’en supplie !

- …

- Mon Loulou, je t’en supplie !!!

- Si tu penses que je peux, je vais essayer, je te promets de faire de mon mieux.

- Je te crois mon chéri, j’ai confiance en toi, comme depuis le début, je sais que tu vas y arriver. Je suis là pour t’aider si tu as besoin.

- Merci ma puce, merci de tout mon cœur de pas me laisser tomber… Je t’aime.

- Je t’aime aussi mon cœur. »

Je me suis réveillé en sursaut lorsque ses lèvres se sont posées sur les miennes, je suis en nage, mais j’ai froid. Il est à peine trois heures du matin, je me sens pourtant reposé et apaisé pour une fois, je sors discrètement de mon lit et file me glisser sous la douche, puis retourne dans ma caverne, attrape Mélodie, et lui raconte mon rêve.

Je ne sais pas vraiment ce que cette vision a débloqué en moi, mais le lendemain je prends la décision de suivre immédiatement ses conseils, de commencer à faire mon deuil, à accepter ma vie telle qu’elle est aujourd’hui, sans elle à mes côtés, avec le sentiment qu’elle veille constamment sur moi.

Je commence par rentrer à l’hôpital pour retirer la plaque qui renforçait mon tibia depuis un an, puis un fois rétabli je retrouve certains amis, je sors le samedi après-midi, je rencontre de nouvelles personnes, de nouvelles filles, et c’est l’une d’elles qui va me sortir de mon état de loque humaine.

Je ne sais pas comment, avec tout le retard pris depuis six mois, j’arrive à réussir mes épreuves du bac de français, plutôt avec succès, pour basculer en terminale.

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