Découvertes

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Le jour venu, nous nous retrouvons en milieu d’après-midi, sur la place du village, avant de rejoindre le lieu de la soirée qui se déroulera dans une petite maison à côté de la piscine. Cuisine équipée, télévision, magnétoscope (à l’époque le DVD ne s’était pas encore démocratisé), une chambre qui servira de vestiaire, petit salon-salle à manger, j'y retrouve la bande habituelle et quelques copines que Sarah avait invitées.

Je profite donc des retrouvailles avec mes potes et de la présence de ces nouvelles têtes pour laisser remonter à la surface mon côté pitre et déconneur, plutôt que mon ressentiment envers ma vie pourrie. Je balance vanne sur vanne et personne n’y coupe, même pas moi (l’autodérision reste la meilleure facette d’une personne pour moi)…
C’est donc parmi ces nouvelles camarades que je fais la connaissance de Cécilia qui m’a particulièrement plu lors de notre rencontre.
Qu'est-ce qui m’a attiré d’emblée chez elle, pourquoi elle ? Son corps menu, la fragilité qu’elle laisse paraitre? Son look plutôt gothique qui démarque particulièrement au milieu des autres, ses cheveux couleur corbeau, ses yeux bleus maquillés de noir, sa jupe plissée noire, son haut rouge vif? Ou son regard fuyant, cherchant à éviter systématiquement celui des autres?

J’ai découvert au fil des heures, sa gentillesse, sa petite voix fluette, son intelligence, et sa curiosité. Ele riait à chacune de mes blagues mais son rire ne semblait pas franc, plutôt un rire timide et retenu, forcé, avec une expression triste sur le visage.
Pourquoi cette tristesse constante ? Qu’est-ce qui pouvait faire que cette jolie fille était si triste ?
C’est la quête de ce mystère qui me fait m’intéresser à elle au fur et à mesure que la soirée approchait et je profite donc de cet après-midi pour lui lancer quelques coups d’œil, la taquiner aussi, tout en essayant de rester discret.
Mais les autres ont rapidement compris mon manège et Sarah est venue me voir pour m’avertir.

- Louis, tu joues à quoi avec Cess ? Attention à elle, s pas le con!

- Pourquoi faire le con? Tu me connais pas, mais je te le dis, c’est pas mon genre.

- Fait gaffe, elle est fragile, et si tu lui fais du mal, je m'occuperai personnellement de toi.

- Ça se voit que tu me connais pas toi…Te fais pas de soucis, je suis pas comme ça, elle m’intrigue c’est tout, et je pense pas que tu puisses m'empêcher de quoi que ce soit.

- Tu parles...

- Laisse-moi suivre mon envie, fais-moi confiance.

- Attention, c’est tout.

- T’inquiètes…

Je me veux rassurant, j’espère qu’elle a compris…

Je la laisse avec ses prises de tête, en fait elle commence déjà à me taper sur le système. L’instant d’après je la vois se diriger vers son amie, et elles discutent quelques instants.

Pas question de tenter quoi que ce soit pour le moment, avec la tonne de vestes que je me suis pris ces derniers temps. Aujourd’hui ma priorité c’est de profiter de mes amis et de faire la fête.

Et question fête on est servi, après le repas made in America (Mc Do pour les intimes…), c’est musique à fond et un peu d'alcool…
J’aime faire la fête, la musique occupe une place primordiale dans ma vie, et je ne pourrais pas vivre sans ces deux choses. En fait je n’ai pas besoin d’alcool pour ça, mais ce soir, après les quelques bières je me lâche vraiment, même si je reste à l’ écart et vis la musique dans mon petit monde, concentré sur le rythme, sans chercher à suivre mes compagnons.

Je l’observe quand elle danse elle aussi et je remarque encore ce masque triste sur son visage, toujours le regard vissé au sol, ou perdu dans le vide.

C’est à ce moment, je pense que tout a basculé, que ma vie a pris une trajectoire que je n’aurais jamais pensé suivre, que je ne souhaite à personne…

Après avoir bien profité de ce début de soirée, je sors quelques minutes pour fumer une cigarette, dans le silence de la nuit, je m’installe sur un transat au bord de la piscine, à une dizaine de mètres de la maisonnette. Plus de bruit de musique, uniquement le bruit de l’eau de la piscine et les murmures de la forêt.
Oui, même sans vent, la forêt fait du bruit, bruissements, craquements, cri d’animaux nocturnes, et ces bruits-là prennent toute leur dimension dans le silence apaisant de la nuit …
C’est donc calé dans un transat, au frais, une bière à la main, que je savoure ma cigarette les yeux fermés, et ce chant de la nature caressant mes tympans, lorsque j’entends la porte de la maison se fermer.
Je ne me retourne même pas, ne prêtant pas attention à qui peut bien venir troubler ma quiétude. Les pas s’approchent, lentement, quelqu’un s’installe sur le transat voisin, pas un mot.
J’entends une main qui s’empare de mon paquet de cigarette, le bruit de mon briquet, et le bruissement du tabac qui se consume.
Je goûte le silence de cette mystérieuse personne, qui respecte cet instant, magique pour moi, solennel.

- Tu dors Lou ?

Je reconnais immédiatement la voix de mon ami Julien.

- Non, t’inquiète.

- Putain, on est bien là quand même!

- Ta gueule, écoute le bruit du silence…

C'est con mais j’adore cette réplique

- T'es con.

- Je sais.

- Elle te plait la petite ?

- Lâche-moi avec ça. Oui je la trouve mignonne, elle me plaît, mais elle a l’air d’avoir des soucis.

- Et tu peux pas t’empêcher d’avoir envie de jouer au chevalier au grand cœur qui veut sauver la jolie princesse.

- Ben ouais, je peux pas m’empêcher…

Vu le ton de ma réponse, je pense qu’il a compris qu’il fallait me lâcher avec ça et il n’insiste pas. Il se lève, écrase sa clope et retourne vers la maison.

- Ju, ferme ta gueule pour ça, déconne pas.

- Pas de soucis, je te couvre.

Je l’imite quelques minutes plus tard, et retourne auprès des autres. La musique toujours présente, m’entraine de nouveau, je retourne dans ma bulle, m’isole au milieu de tout le monde. Mais je ne peux m’empêcher de penser à cette jeune fille, je retrouve son regard sombre, j’aimerais comprendre ce qui la rend si triste, pourquoi elle semble tellement abattue alors que nous faisons la fête …

Comme à chaque soirée, il a fallu que quelqu’un réclame une petite série de slow, à ce moment là, pour moi c'en est trop, depuis pas mal de temps et ma première « histoire d’amour », cette musique me rend triste, et fait remonter en moi les sentiments les plus noirs. Je m’éclipse donc de nouveau vers le bord de la piscine, et lorsque je passe la porte…

- Attends-moi !

Je m’arrête et me retourne, elle prend sa veste et s’approche de moi.

-Je viens avec toi, si je reste là je vais me mettre une balle…

-Je te comprends.

Elle attrape mon bras et c’est bras dessus, bras dessous, comme de vieux camarades que nous rejoignons les transats. Elle colle le sien au mien, je sors une clope et lui en propose une, qu’elle accepte.

Cette attitude me trouble, nous nous connaissons à-peine, je n’ai pas senti d’intérêt particulier de sa part depuis que nous sommes ici, mais je suis ravi de sa présence à mes côtés.

- Sarah m’a parlé de toi tout à l’heure, et je pensais que tu viendrais me voir plus tôt.

- Je lui ai dit aussi que je tenterais rien, que si tu le souhaitais tu viendrais par toi-même.

- C’est ce que je fais, mais c’est sympa de ta part, j’avais senti que tu me traquais depuis le début, mais je savais pas pourquoi.

- Je cherchais juste à savoir ce qui pouvait te rendre si triste, savoir si je pouvais faire quelque chose pour que tu abandonnes cette air tristounet…

- Tu peux pas y faire grand-chose, malheureusement… Je sens les larmes monter dans sa voix.

- Te mets pas à pleurer, c’est moche une fille qui pleure…

- T’es con… Mais j’y peux rien.

- Je sais que je suis con… Mais si tu veux en parler, je peux te prêter une oreille…

- Merci…

- À une seule condition…

- Oui, laquelle ?

- Tu me la rends après…

Elle a planté son regard dans le mien, j’ai pris mon air sérieux, puis nous avons éclaté de rire, pour la première fois de la soirée elle semble rire sans retenue.

Quelques détails sur la discussion qui suivit, simplement, la séparation et le futur divorce de ses parents avaient du mal à passer, elle se sentait mise de côté, me disant qu’elle détestait la vie, ses parents, comme tout ado de notre âge. Je sentais qu’elle n’allait pas bien fort, qu’elle était vraiment au bord du gouffre et au bout du rouleau.
Je tente donc de la rassurer, la laisse pleurer un bon coup et essaye de dédramatiser la situation, mais elle retourne tous mes arguments contre moi…

J’abandonne donc le sujet et nous parlons de nos vies ensuite, mes échecs sentimentaux, ses histoires avec les mecs, la vie au lycée, les galères avec les autres élèves.
Elle se rapproche de moi, quitte son transat et viens s’installer entre mes jambes, face à moi et nous poursuivons notre discussion faite maintenant de tout et de rien. Ses yeux bleus reflètent la lumière de la lune, je ne peux m’en détacher, je ne les quitte plus.
Au moment où elle s’en rend compte et fuit de nouveau, baissant la tête, ma main droite attrape son menton et ramène son visage face au mien.

- Ne baisse pas les yeux comme ça…

- Ca me gêne…

- Ne le soit pas, avec des yeux comme ça tu devrais pas, et puis c’est un aveu de faiblesse.

- Merci.

J’arrive enfin à obtenir un sourire, franc, presque heureux, je ne décèle plus rancœur, pas de tristesse, et je lui rends avec bonheur. Ces quelques secondes les yeux dans les yeux me font frissonner, jamais on ne m’avait regardé comme ça, jamais je n’avais ressenti le bien être que me procure cet échange. Je lâche son menton, elle se retourne et viens se plaquer contre moi, pose sa tête sur ma poitrine et scrute le ciel.

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