Nouveaux écouteurs

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 Comme à son habitude, Théobald n'écoutait pas le cours de droit civil dispensé sous ses yeux, en bas d'un amphithéâtre à moitié remplit. Il était trop concentré sur la musique que diffusaient ses vieux écouteurs : la suite pour orchestre de variété n°1 de Chostakovitch. Cela l'encourageait de savoir que certains vivaient encore de la composition il y a moins d'un siècle. C'était son rêve. Composer, retranscrire en musique des sentiments, des histoires. Par-dessus tout, il voulait toucher les gens, leur faire ressentir des choses à travers sa musique. Jusqu'à maintenant, les quelques morceaux qu'il avait écrits pour lui-même ne le satisfaisaient pas. Il cherchait donc à analyser les musiques qui lui plaisaient pour s'améliorer. Certes, faire cela durant les cours n'était pas la meilleure des idées. D'un autre coté, écouter un professeur vieux jeux débiter des informations dont il n'avait que faire était une perte de temps certaine. Il aurait préféré être chez lui, dans le calme de son appartement, mais il se devait d'être présent à chaque cours sans quoi il risquait de se voir supprimer sa bourse d'études. Or il en avait besoin s'il voulait garder du temps libre pour sa passion.

 Lorsque le cours fut terminé, il acheta un sandwich aux œufs à la cafétéria du CROUS et se rendit dans un coin du campus qu'il était le seul à fréquenter. Là, il pouvait être seul avec sa musique, loin de l'agitation de la vie étudiante. Il s'échappait alors dans un monde à chaque fois différent...

 Alors que les squelettes se précipitaient de part et d'autre du cimetière pour retourner dans leurs cercueils après une folle nuit de gigue endiablée, avant que le soleil ne darde ses premiers rayons sur les tombes fraichement retournées, les écouteurs de Théobald rendirent l'âme, mettant fin du même coup à la scène qu'il s'imaginait en écoutant la Danse Macabre de Saint-Saëns. Voilà qui était embêtant. Il n'avait pas prévu d'en racheter de si tôt, et du bon matériel représentait une somme non-négligeable. Il passerait dans un magasin en rentrant des cours et verrait bien sur place s'il trouvait un bon compromis.

 Avant son cours de droit public de l'après-midi, une étudiante vint délibérément prendre place à côté de lui, alors même que l'amphithéâtre était encore aux trois-quarts vide. Il ne l'avait jamais remarqué, ce qui ne relevait pas du miracle puisqu'il accordait peu d'attention aux autres. Elle engagea tout de suite la conversation.

"Salut ! J'ai vu l'autre jour que tu avais un étui à flûte dans ton sac, tu en joues ?"

 Elle avait une jolie voix chantante, qui s'accordait bien avec son air enjoué et ses yeux pétillants. Elle semblait sincèrement intéressée par la réponse de Théobald. Il décida donc de répondre honnêtement. Discuter avec une voix si charmante pendant le cours serait un bon substitut à sa musique. D'autant qu'ils semblaient avoir un intérêt commun.

"Oui, depuis mes 6 ans.

— Ouah ! Tu dois maîtriser ! s'exclama-t-elle avec admiration.

— Bah, je ne passerai pas des auditions. Tu es musicienne aussi ?"

 La conversation continua ainsi jusqu'à la fin du cours sans qu'ils furent dérangés par le professeur. En sortant de l'amphithéâtre, l'étudiante déclara soudain :

"Au fait ! Je m'appelle Ludivine, et toi ?

  • Moi c'est Théobald. Et non, ce n'est pas une blague ! Je ne t'avais jamais vu en cours jusqu'à maintenant, tu es sûre d'être en Droit ?
  • Oui oui, simplement je ne vais pas souvent en amphi ! Eh bien Théobald, ce fut un plaisir ! On se reverra sûrement au prochain CM !


 Il ne trouva rien à répondre, aussi le laissa-t-elle seul et ravi d'avoir passé deux heures qui s'annonçaient mortellement ennuyeuses en présence d'une personne si intéressante.

 Il n'avait pas à marcher très longtemps pour rentrer chez lui car son appartement était proche du campus. Cependant, il devait acheter de nouveaux écouteurs, sans quoi il passerait une soirée sans musique. Écouter quoi que ce soit avec le haut-parleur de mauvaise qualité de son téléphone était impensable. Il s'arrêta donc dans une grande surface afin d'acheter de quoi remplacer temporairement ses anciens intra-auriculaires pour pas cher sans trop sacrifier la qualité audio. Il aurait souhaité que les précédents durent plus longtemps, considérant la somme qu'il y avait investie ! À peine sorti du magasin, il s'empressa de les visser à ses oreilles. Alors qu'il était seul dans la rue, choisissant le premier morceau que sa nouvelle acquisition jouerait, une voix retentit.

"Allô ? Est-ce que quelqu'un m'entend ?"

Théobald sursauta. Il était pourtant sûr qu'il n'y avait personne d'autre que lui sur cette route peu fréquentée. Il n'arrivait pas déterminé d'où la voix avait jaillit pour tenter d'en débusquer le propriétaire. Et puis cet "Allô", c'était étrange. Qui commence une conversation de vive voix par un "Allô" ? Peut-être avait-il tout simplement rêvé. Comme pour démentir ses pensées, la voix résonna de nouveaux.

"Allô ? J'aurais pourtant juré qu'il y avait quelqu'un..."

Cette fois, il était aux aguets. Le son provenait de... l'intérieur de sa tête ? Était-il devenu fou ? Pour en avoir le coeur net, il se mit à parler, visiblement seul.

"Qui est-là ? demanda-t-il, prudent ?

  • Ah ! Il y a donc bien quelqu'un qui m'entend ! Bonjour ! Je m'appelle Sandre, comme ce qu'il reste après une crémation, mais avec un "s" et un "a" au lieu du "c" et du "e", répondit-on gaiement.
  • Et où êtes-vous ?
  • Oh, je ne suis pas physiquement présente dans ce monde, je ne suis qu'une voix qui s'exprime à travers ces écouteurs.
  • Quoi ? Non c'est impossible. Est-ce que mon téléphone est devenu fou ?
  • Je t'assure que non, tu peux même le débrancher pour voir.

Il s'exécuta sur-le-champ, refusant de croire à ce phénomène étrange. La voix avait-elle disparu maintenant ?

  • Tu vois ! Même sans téléphone, je peux parler, ça ne vient pas de lui. J'existe dans ces écouteurs c'est tout.
  • C'est... Démentiel...

La réalité était dure à avaler. Ses intras étaient hantés ? Ou était-ce plutôt comme le génie dans sa lampe ? Devait-il aller les échanger tout de suite ? Est-ce qu'au moins...

  • Et euh... Je peux quand même écouter de la musique avec ?
  • Bien sûr ! Je peux t'en chanter si tu veux. Au clair de la lune, mo...
  • Non merci, ça ira ! s'empressa-t-il de crier en s'empressant de retirer les écouteurs pour préserver ses oreilles.

 Il rentra chez lui bien vite, pressé de retrouver en terrain connu. Après un moment durant lequel il douta réellement de sa santé mentale, il réfléchit et conclut que le meilleur moyen de vérifier si la voix venait de lui était de lui tendre un piège. Il mit donc ses écouteurs et, après s'être assuré qu'elle écoutait, lui posa une série de questions. Quel était son âge ? Elle n'en avait pas. Quel était son genre ? Elle n'en avait pas. Quelles étaient ses origines ? Elle n'en avait pas. Pourtant, elle savait qui était Mozart, ce qu'était une flûte ou encore comment faire cuire des pâtes. Il lui demanda alors quel était son nom, mettant son piège à exécution. Elle ne sut répondre à cette question. Il semblait donc que cet être existe bel et bien. Théobald passa tout le reste de la soirée à discuter avec lui.

 Alors qu'il se couchait, il repensa à sa journée. Il avait fait la rencontre de deux personnes en moins de douze heures. C'était plus que depuis sa rentrée à la fac, il y a six mois... Le lendemain promettait d'être excitant !

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