51 - Les dragonneaux (à réécrire)

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 Dame Calwaën saisit Yuling par le bras et l'entraîna à sa suite. Elles traversèrent ainsi tout le bâtiment, descendirent les escaliers de l'aile est jusqu'à gagner la cours. Inquiète, la jeune fille n'avait eu de cesse de chercher sa dragonne du regard. Cette dernière lui communiquait sa détresse par des vagues d'images de plus en plus rapide.

 La jeune femme finit par s'arrêter peu avant qu'elles ne rejoignent les terrains d'entraînement. Yuling se laissa tomber dans l'herbe encore humide, la tête entre les mains.

 – C'est exactement pour ça que tu ne dois manquer l'entraînement sous aucun prétexte ! s'emporta le Maître. La moitié de la Dragonnerie vous a vues, sur les remparts ! Qu'est-ce qu'on fait, maintenant ? Maître Torrish sera au courant sous peu, et le Dragonium risque de mêler son nez à cette affaire !

 Quand Fei lui laissa un peu de répit, la jeune fille releva la tête vers Dame Calwaën. Elle avait les traits tirés et des cernes plus marqués qu'à l'accoutumée. Les mains sur les hanches, elle la fixait, agacée.

 – Et comment suis-je censée me rendre à l'entraînement ? Je n'arrive même pas à avoir les idées claires ! Encore moins à marcher droit ! Je n'ai pas eu le temps de me réveiller que je mourais déjà d'envie de dévorer du sang. Du sang !

 La jeune femme parut décontenancée. Sa colère s'envola d'un coup. Elle se baissa, maladroite, vers son apprentie et voulut l'aider mais Yuling repoussa sa main d'un geste sec. La transition avait été si brutale qu'elle réintégrait à peine ses sens. Un début de larmes perla au coin de ses yeux, qu'elle retint. Elle avait tant rêvé de ce moment, tant rêvé de ce dragon, qu'il était hors de question qu'elle n'assume pas.

 – Je suis désolée, dit Dame Calwaën plus calmement. Je ne voulais... Je ne suis pas en colère contre toi. C'est cette situation qui me met hors de moi, mais tu as raison, j'aurais dû être là.

 Yuling tituba au moment de se relever. Fei la cherchait. Elle pouvait presque l'entendre couiner dans sa tête. Le désespoir la gagna brutalement, comme une vague de solitude entremêlée de peur.

 – Je...

 La jeune femme la rattrapa alors qu'elle perdait l'équilibre.

 – Yuling, regarde-moi.

 Sa voix résonnait doucement lorsqu'elle lui releva le menton pour croiser son regard.

 – Focalise-toi sur tes propres sens. Ecoute le son de ma voix, ne laisse pas ta dragonne prendre le contrôle.

 La jeune fille regarda autour d'elle. Elle semblait retrouver ses esprits.

 – C'est bien. Maintenant essaie de visualiser le chemin qui t'a mené ici. Ta dragonne devrait chercher à te rejoindre, ils n'aiment pas être séparés de leur Maître, surtout quand ils viennent d'éclore !

 Yuling se concentra mais Fei semblait tellement perdue qu'elle n'écoutait plus rien.

 – Pense au point d'ancrage ! insista la jeune femme. Le dernier endroit où vous étiez ensemble.

 Les remparts surgirent dans son esprit et le flots d'images qui se déversaient en elle sembla enfin s'apaiser. Fei éprouvait un brin de curiosité. Maladroitement, elle visualisa les couloirs qu'elles avaient empruntés, redescendit les marches. La dragonne s'était calmée et paraissait même particulièrement attentive. Des pans de murs et des éclats de pierre apparurent en écho dans sa tête, lui confirmant qu'elle avait compris le message.

 – Ewa ne va pas tarder à arriver, la prévint Dame Calwaën.

 Elle sentit plus qu'elle ne vit sa dragonne arriver, grimaça à la sensation de terre humide lorsqu'elle foula la cours ; du fait de sa petite taille, il lui fallait un moment pour la traverser. Puis enfin, la couleur de l'herbe effleura son esprit et avec elle, l'odeur des fleurs naissantes.

 Lorsqu'elle la repéra, Fei se précipita vers elle et grimpa le long de son corps jusqu'à se percher sur son épaule.


***


 La jeune femme ne parvenait pas à détacher ses yeux de l’étrange créature qui se tortillait devant elle. Celle-ci la dévisageait sans vergogne, le regard franc, dénué d’une quelconque peur. Elle n’avait jamais vu pareil dragon. Tout au plus en avait elle entendu parler dans les légendes.

 Un dragon blanc.

 Son cœur se mit à exploser dans sa poitrine. Ses oreilles sifflèrent si fort qu'elle manqua perdre son souffle. Elle avait attendu si longtemps cet instant qu’elle avait du mal à croire ce qu’elle voyait.

 Un dragon blanc.

 Ses yeux en amande trahissaient un caractère aussi rusé qu’intelligent. Une curiosité mordante, un affront à toute épreuve. Était-il possible qu'un dragon n'ait pas d'écailles ? Car oui, elle n'avait pas rêvé, elle avait bien des poils ! Des poils, bon sang !

 – Qu'y a-t-il ? s'enquit la jeune fille.

 – Rien, rien...

 Un étrange sourire venait d’illuminer son visage. L'espoir. Un espoir tel qu'elle n'en avait pas ressenti depuis l’instant où elle avait appris qu’en dépit du passé, elle deviendrait Maître. Ses apprenties avaient fusionné. Yuling la première.

 La jeune femme avait pris un risque en se rendant aux portes de la ville ; les Maîtres de la Dragonnerie n’étaient pas autorisés à sortir sans accord préalable. Ella avait dû pour ça braver les règles, et s’octroyer par là une chance d’approcher les meilleurs. Ella n’avait pas repéré chez la jeune fille le comportement étrange adopté par certains Appelés. Parfois les élèves montraient peu de signes... Elle avait tout de même décidé de tenter sa chance avec Yuling, persuadée que si son intuition devait l’induire en erreur, les épreuves se chargeraient de trancher. A présent, Yuling se tenait devant elle, un dragon blanc dans les bras ; la jeune femme jubilait, c'était la première fois qu’elle se trouvait témoin d'un miracle. Et ce miracle redorait le portrait qu’on avait érigé à son nom. Ses apprenties venaient de lui offrir une revanche bien méritée, une revanche dont elle allait se délecter !


***


 Lorsqu'Ewa les rejoignit, l'attention de Yuling fut accaparée par sa dragonne. Elle était d'une splendeur étonnante, un concentré d'élégance et de distinction. Une tête fine et rustique, de grands yeux d'ébène surmontés d'arcades rutilantes. Beaucoup plus imposante que la sienne, beaucoup plus longue aussi, ses écailles dorées mettaient en exergue une prestance que ne possédaient aucun de ses congénères ; chaque rayon du soleil s'y reflétait avec ardeur, la faisant briller comme une pièce d'or au milieu de la prairie.

 Fei se redressa en poussant un grondement sourd. Elle avait gagné l'épaule de sa maîtresse et n'appréciait pas la nouvelle venue. Yuling tenta alors de l'apaiser mais cette dernière semblait obnubilée par sa congénère. Une avalanche d'émotions la foudroya ; tous crocs dehors, Fei bondit sur la dragonne dorée sans tenir compte de la différence de taille. Elle avait beau être plus petite, sa détermination marqua d'un coup une distinction très franche dans leurs rapports. Fei dominait la dorée par sa vivacité et son côté espiègle.

 – Ça suffit !

 Dame Calwaën se précipita vers les dragonneaux pour les séparer. Elle attrapa la blanche par la peau du cou et la souleva sans ménagement :

 – Toi, tu es un brin trop téméraire, nota-t-elle avant de se tourner vers sa maîtresse. Focalise ton esprit sur autre chose ! Concentre-toi !

 Yuling dut se secouer pour détourner les yeux de la scène. L'attaque l'avait tant surprise qu'elle était restée figée sur place. Elle tourna la tête et aperçut deux autres dragons, plus loin. Très vite, elle chassa cette image pour éviter que ne se produise un nouvel incident. Non, il fallait une autre idée. Une idée suffisamment attrayante qui surtout, surtout, n'avait pas quatre pattes et des ailes !

L'entraînement, pense à l'entraînement...

 C'était mieux. Elle repéra le terrain et ses obstacles et, comme le lui avait appris Ella, tenta de se visualiser en train de marcher sur la poutre en bois. Elle fit des aller-retour, puis s'imagina courir et sauter pour se saisir de cerceaux, dans les airs, qu'elle attrapa en vol. L'agressivité de sa dragonne diminua à mesure que la curiosité l'emportait. Fei cessa de gronder. Sous l'effort, Yuling se laissa retomber dans l'herbe. La dragonne se débattit avec hargne pour la rejoindre : la jeune fille pouvait enfin respirer.

 – L'entraînement est indispensable pour apprendre à focaliser votre esprit, expliqua Ella. Pour l'instant elles sont encore petites, elles ont du mal à discerner les nuances derrière les images. Mais plus vous passerez de temps avec elles et plus elles apprendront. La communication doit devenir facile, fluide ! Elle ne doit en aucun cas vous déstabiliser ou vous empêcher de faire ce que vous souhaitez faire.

 La jeune femme les entraîna vers le terrain qu'elles avaient foulé la veille et leur indiqua des panneaux en bois, au milieu desquels apparaissaient un cercle de peinture rouge.

 – Voici vos cibles. Elles seront votre principal objectif dans les jours à venir. Elles ont pour but de vous apprendre à fixer votre attention. Asseyez-vous là, précisa-t-elle en leur désignant l'herbe à une dizaine de mètre des panneaux. Bien, maintenant visualisez le cercle. Si votre dragon part vadrouiller pendant l'exercice, c'est que votre concentration n'est pas totale. Faites le vide dans votre esprit et ne laissez apparaître que l'image que vous avez souhaité voir.

 La double-vision était déconcertante. Par moments, Yuling avait l'impression de se perdre dans ses pensées. Par d'autres, elle se sentait si légère qu'elle avait la sensation de ne plus être maîtresse de son corps. La perception du terrain se modulait au travers des sens de sa dragonne ; le panneau lui apparaissait plus grand. La peinture, plus rouge. A certains moments, certains détails ressortaient de manière exagérée. Et pour couronner le tout, les odeurs qui s'entremêlaient en permanence partout autour d'elle lui donnaient mal à la tête.

 Elle tenta de faire abstraction des distractions que lui communiquaient Fei ; un papillon qui avait volé un peu trop près, une brise soudaine qui avait fait bruisser l'herbe. Ou encore sa congénère, Stream - c'est ainsi qu'elle s'appelait - qui mâchouillait quelque chose trouvé dans l'herbe. Mais elle avait bien du mal à garder en tête son objectif devant l'insatiable curiosité de sa dragonne.

 – Vous ne devez pas rejeter votre dragon, précisa Dame Calwaën, mais l'accueillir. L'amener à se synchroniser à votre pensée, à vos intentions. L'inclure avec sa personnalité à votre vision des choses.

 Sur ces conseils, Yuling tenta de s'ouvrir un peu à sa dragonne. Cette dernière le sentit immédiatement et lui communiqua une ribambelles de bruits éparpillés qui résonnèrent dans son cerveau. Yuling tenta alors de se recentrer sur le cercle. Mais l'enthousiasme grandissant de Fei avait pris le dessus et la jeune fille se prit la tête entre les mains en poussant un cri de découragement.

 – Je n'y arriverai jamais...

 – C'est une question de patience, formula Ella.

 – Depuis quand les dragons sont bavards ?

 La jeune femme rigola tout en jetant un œil sur les dragonnes, parties gambader librement sur le terrain.

 – C'est avant tout une question de personnalité. Après, certains le sont plus que d'autres, tout comme certains dragons sont plus compliqués à gérer. Il vous faudra faire preuve de persévérance, mais n'oubliez jamais qu'une fusion ne se fait jamais au hasard. Les dragons choisissent leur maître.

 Les paroles d'Ella laissèrent Yuling pensive un moment. Elle regarda sa dragonne jouer avec un insecte qu'elle venait de dénicher dans le sol et se demanda à quel point la rencontre avec Yör avait influencé sa vie. Yuling n'était-elle pas là de sa propre volonté ? La dragonne avait-elle pu prévoir qu'elle réussirait les épreuves ? Ces questions la remuèrent une bonne partie de la journée. 

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