43 - Les bains (1/2) (à réécrire)

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 On s'agitait dans le couloir. Des bribes de conversations leur parvinrent, parsemées de frottements et de tintements métalliques. Collée à la porte, Ewa suivait les péripéties avec curiosité.

 – Mais puisque je vous dis que je n’ai rien à voir avec ça, insista Dame Calwaën. Vous croyez sincèrement que si je l’avais dérobé, j’aurais été assez idiote pour le cacher dans mes propres appartements ?

 Yuling se précipita aux côtés d’Ewa pour observer la scène par la serrure. Deux hommes vêtus des habituelles combinaisons noires des Maîtres se tenaient dans l'embrasure des appartements de la jeune femme. Le plus menaçant des deux, celui aux cheveux courts, laissait à Yuling une sensation étrange. Son visage impassible était aussi froid qu'une pleine nuit d'hiver, sa détermination, sans faille : il n'était pas homme à plaisanter.

 Les lèvres pincées, la jeune femme le dévisagea longuement. Il lui rendit son regard, un sourire en coin, sans plus d'égards. Il savait l'effet qu'il lui faisait. Dame Calwaën, elle, redoublait d'efforts pour ne pas lui renvoyer à la figure ce qu'elle pensait de sa suffisance.

 – Ils ont vraiment le droit ? s’étrangla Ewa.

 Prise d'une lueur de lucidité, Yuling récupéra en vitesse son journal sous son oreiller. Personne ne devait savoir. Si l'on apprenait qu'elle avait approché un dragon de près, elle aurait à rendre des comptes. La situation prendrait une tournure qu'elle n'avait pas envie d'imaginer. Non, elle devait s'en débarrasser !

 Elle chercha paniquée une cachette dans une chambre qui en était dénuée.

A quoi bon fouiller leurs appartements quand elle n'était même pas fichue d'y dissimuler un journal !

 – La fenêtre ! s'exclama Ewa, qui avait compris.

 Son amie ouvrit le battant. Dans la pénombre du soir, la jeune fille se pencha et chercha du bout des doigts un interstice où glisser ce qui devait rester dissimulé. En vain. Son cœur effectuait des triples bons dans sa poitrine tandis que des bruits de pas dans le couloir lui indiquaient qu'ils en avaient terminé avec les appartement de Dame Calwaën.

Et mince ! maugréa-t-elle.

 Sans écouter les petites voix dans sa tête qui tentèrent de l'en dissuader, elle jeta le journal en contrebas en visant un coin de la cours. Elle devait être folle. Qu'est-ce qui lui prenait ?

Stop !

 C'était toujours préférable à ce qui se passerait si on le découvrait dans sa chambre !

 En vitesse, Yuling referma la fenêtre et se tourna vers la porte, juste à temps pour la voir s'ouvrir.

Souris, reste calme, aie l'air naturelle...

 Elle retint sa respiration quand les Maîtres pénétrèrent dans la pièce. Ils croisèrent son regard, puis celui d'Ewa qui n'en menait pas plus large qu'elle.

 – Mesdemoiselles... Nous venons inspecter les chambres.

 Le ton de sa voix était sans équivoque et fit perdre ses moyens à Yuling. Elle ne tenait pas à se mettre ces individus à dos. Un simple regard à leur tenue suffisait à prendre conscience du nombres d'heures qu'ils avaient passé à l'entrainement.

 Ils passèrent en revue chaque recoin de la pièce, trouvant dans le fond d’une table de nuit de vieux carnets oubliés dont ni Yuling ni Ewa n’avaient connaissance. Puis vérifièrent sous le bureau et dessus l’armoire, quand l’un des Héros suivit le regard de Yuling jusqu’à la fenêtre. La jeune fille se figea. Son sang ne fit qu’un tour. Comment avait-elle pu se trahir ? Comment avait-elle pu lui indiquer la direction ? Elle se maudit et devint livide quand il ouvrit la fenêtre.

 Heureusement, Dame Calwaën finit par apparaître :

 – Vous pouvez chercher tant que vous le souhaitez, vous ne trouverez rien, lâcha-t-elle d'une nonchalence que Yuling ne lui connaissait pas.

 – Si l'on pouvait se fier à la parole d'un traître, le Dragonium n'aurait pas eu besoin de se déplacer.

 Le Dragonium ? Yuling ferma les yeux et pria pour que le Maître referme la fenêtre.

 – Croyez-le ou non, je suis fidèle à mon royaume. Soyez raisonnables, elles viennent tout juste d'arriver.

 L'homme se tourna vers Ella, un sourire en coin.

 – Ce qui n'est pas votre cas... Et personne n'est sans savoir combien il vous serait utile.

 Yuling sentit son estomac se tordre : le regard de Dame Calwaën s'était soudain illuminé d'une lueur vengeresse. La jeune femme resta stoïque, ce qui pesa sur l'ambiance. Elle qui d'ordinaire dévouait une passion sans bornes à l'univers des dragons semblait soudain prise de dégoût. De quoi l'accusait-on ? Quelle relation entretenait-elle avait le Dragonium ?

 – Allons chère Ella, rentrez vos crocs. N'oubliez pas que votre position au sein de la Dragonnerie ne tient qu’à un mot de notre part.

 La jeune femme le fusilla du regard, tandis que lui et son confrère quittaient la chambre. Tel un dragon contrarié, elle fixa encore un moment l'endroit où ils avaient disparu avant de ravaler sa colère, les poings serrés. Seulement alors, elle sembla se souvenir de ses apprenties :

 – Je suis désolée, j'aurais préféré que nous vous accueillons dans de meilleures dispositions, dit-elle. Au moins, ils ne devraient plus en avoir pour longtemps. Quand ils auront terminé, vous pourrez aller vous sustenter.

 – Qu'est-ce qu'ils cherchent ? demanda Ewa, curieuse.

 – Rien qui vous concerne. Cependant, il serait préférable de ne pas attirer leur attention dans les jours à venir. Leur présence est suffisamment irritante pour qu'ils trouvent ne serait-ce qu'une raison supplémentaire de rester. C'est pourquoi je vous demanderai de rester discrètes.

 Les deux filles acquiescèrent, puis Ella quitta la chambre, furibonde. La colère ne lui était pas passée, finalement.

 En fin de soirée, Dame Calwaën repassa brièvement leur signaler que le Dragonium en avait terminé. Elle déposa un maigre repas et en profita pour leur indiquer l'emplacement des bains, tout en grimaçant devant leur odeur nauséabonde.

 – Désolée, c'est tout ce que j'ai pu trouver. Les cuisines sont fermées. Pour les bains, c'est l'aile ouest. Tachez de m'enlever toute cette crasse ou on finira par vous confondre avec un dragon en putréfaction.

 – En putréfac... Quoi ?

 Ewa ouvrit grand la bouche et se vexa devant l'air faussement enjoué de la jeune femme. Dame Calwaën avait l'air préoccupé. Elle se garda de leur communiquer ses doutes, mais Yuling voyait bien qu'elle avait la tête ailleurs. La jeune fille fit mine de se concentrer sur le morceau de pain et la tranche de jambon, tandis que la porte se refermait doucement. Pour un premier repas à la Dragonnerie, Yuling était déçue. Elle qui s'était imaginé festoyer dans une ambiance galvanisante se retrouvait à manger à peine mieux qu'au cours de l'épreuve.

 Elle avala rapidement de quoi combler le creux de son estomac, et attendit qu'Ewa ne termine avant de l'entraîner avec elle aux bains. Se débarrasser de la crasse des derniers jours lui permettrait peut-être de tourner la page sur cette première journée fracassante à la Dragonnerie.

 Creusé à même la roche, le couloir de l'aile ouest menait à un large hall souterrain aux parois d'un gris nacré. Rapidement, la chaleur les gagna ; l'air était chargé, irrespirable même, empreint de l'odeur musquée du souffre. Humide, de surcroît. De fines particules d'eau en suspension stagnaient au dessus de leur tête, et plus haut encore, des milliers de cristaux éparses recouvraient la voûte afin d'imiter un ciel parsemé d'étoiles.

 Yuling suivit du regard les apprentis qui entraient et sortaient des bains et reconnut quelques visages familiers. Nirvan, notamment, qui s'adressait au comptoir de bois dressé au milieu du hall. En le revoyant, Yuling pensa à son journal et arrêta Ewa.

 – Attends-moi là, j'ai oublié quelque chose !

 L'apprentie la dévisagea avec de grands yeux, mais Yuling s'était déjà éclipsée. Elle remonta le couloir qu'elles venaient d'emprunter, traversa en vitesse le rez-de-chaussée pour se retrouver de l'autre côté, au pied des alcôves qui soutenaient la façade est. Dans l'obscurité, elle chercha au sol son journal. Releva la tête pour s'assurer qu'elle se trouvait bien en dessous de leur chambre, chercha à nouveau. Elle ne distinguait pas grand chose, mais la lune était suffisamment pleine pour que ses rayons déversent sur la cour une lumière blafarde.

 Rien. Absolument rien.

 Son cœur se mit à tambouriner dans sa poitrine. Il ne pouvait pas avoir disparu !

 Elle tourna en rond quelques minutes encore, s'assura qu'elle ne s'était pas trompée : après tout, elle connaissait mal la Dragonnerie. Une partie de son esprit lui criait que ça ne pouvait pas arriver. Son côté rationnel, qu'elle devait se rendre à l'évidence.

Oh non, oh non, oh non... Dans quels problèmes je me suis fichue encore...

 Pour la première fois depuis l'après-midi, elle pensa à Mees, et s'excusa intérieurement. Elle n'avait pas été assez prudente. Elle avait manqué à ses conseils. Elle n'avait plus qu'à prier pour que la personne qui l'ait trouvé ne remonte pas jusqu'à elle.

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