8 - Lunian (2/2)

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 – N’approchez-pas ! ordonna-t-il à ses confrères.

 En surgissant hors du fourreau, la lame avait émis un son qui fit tressaillir la jeune femme. Elle se reflétait à présent dangereusement dans la pénombre, à quelques centimètres à peine de son cou. Crispée, Maya laissa glisser ses yeux de l’épée au garde, du garde à l’épée. Puis ses doigts se refermèrent juste à temps sur l’ampoule :

Maintenant, grogna sa dragonne.

 Maya serra le poing. La fiole se brisa sous le regard désemparé du garde, qui recula en titubant.

 – Mais qu’est-ce que…

 Ses yeux reflétèrent une lueur horrifiée, tandis qu’il s’affalait sur le sol, imité dans la seconde qui suivit par trois autres gardes. Les jambes tremblantes, la jeune femme se releva envahie d’un sentiment indescriptible : un mélange de soulagement mué d'appréhension. Cette fois elle s’en était tirée, mais ce ne serait peut-être pas le cas la fois prochaine. Pour autant, ce n'était ni le moment ni le lieu pour laisser le doute guider ses décisions. Sans s'attarder, elle enjamba le corps.

 Elle traça directement son chemin vers les appartements de Rodrig, pressa la poignée, se faufila par l'interstice et referma la porte derrière elle. Un trait de lumière filtrait à travers les rideaux. Le seigneur d’Omont et sa femme dormaient à quelques pas de là. Instinctivement, elle jeta un œil au lit, puis passa la main sur le foulard autour de son cou, comme pour s’assurer qu’il la recouvrait bien. Le bureau se trouvait au fond de la pièce ; elle ne disposait que de cinq minutes avant que l’effet de la fiole ne se dissipe.

 Cinq minutes. Pas une de plus.

 Il lui fallait s’activer.

 À tâtons, elle fouilla derrière les piles de parchemins qu'elle devinait dans la pénombre. Le souverain avait amassé sur son bureau quantité de feuilles qui, au moindre bruissement, affolaient les battements de son cœur. Elle déplaça plusieurs objets, des statuettes en bois, en pierre, un encrier, un equilibrium. Remarqua dans l'obscurité deux boites qu'elle sempressa d'ouvrir avant de les remettre en place : rien. Puis, ses doigts s'arrêtèrent sur le tiroir. Celui-ci était fermé à clé.

Mince, mince, mince...

 La clé ne devait pas se trouver bien loin... Après réflexion, elle avait même déjà aperçu Rodrig avec une clé autour du cou.

 En silence, la jeune femme se rapprocha du lit et s'accroupit au chevet du souverain. L'âge véritable du monarque ne se dévoilait qu'une fois la nuit tombée, quand la pénombre, plus efficacement que la lumière, révélait les profondes cernes sur son visage ridé par les ans. Il fallait du courage pour oser trahir son royaume. Et Maya n'était pas certaine de posséder les aptitudes nécessaires à la réussite d'une telle mission. Néanmoins, on ne lui demandait pas son avis.

 Les draps remuèrent, la jeune femme se figea, patienta quelques secondes. Puis, lorsque le silence se réinstalla, glissa une main à proximité de l'oreiller. Ses doigts parcoururent les draps sans y trouver la clé. Elle se pencha un peu plus et chercha visuellement où cette dernière pouvait se trouver. Son épaule manqua effleurer le visage du monarque ; elle retint sa respiration lorsqu'il se retourna dans le lit, si près. Elle devinait, à travers sa combinaison, le souffle régulier qui s'échappait de ses lèvres. La vie endormie, qui guettait l'instant où elle lui ferait faux bond. Puis brusquement, il ouvrit les yeux, toussa, crachota. Son regard se posa sur la jeune femme et son visage se figea dans une expression de terreur.

 Maya recula. Surprise, elle tenta à tout prix de l'empêcher de crier ; son corps se mit à irradier de lueurs rouges qui s’échappèrent par à-coups de sa combinaison. Brusquement happée par le flux, elle lutta, aspirée par ces milliers d'étoiles invisibles qu’elle tentait en vain de contrôler. Rodrig n’émit pas le moindre son. La magie s’imprégna en lui bien avant qu'un cri ne franchisse ses lèvres, se glissa autour de son buste et l’atteignit en plein cœur. Il s’affala comme une masse sur son lit sous le regard horrifié de Maya.

 Quelques secondes après que la magie ne se soit estompée, la jeune femme retrouva ses esprits. Elle tenta d'abord de calmer son cœur affolé : sa dragonne gémissait, recroquevillée en boule dans son esprit. Maya détestait parcourir le flux en la sentant si mal, elle avait l'impression que tout son être suffoquait, qu'on lui empoignait les tripes pour les lui arracher. Lentement, elle s’approcha de l'homme pour s’assurer qu’il respirait encore. Heureusement, il semblait être retombé dans un profond sommeil. Elle n'était pas passée loin de la catastrophe. Mais qu'est-ce qui lui avait pris de paniquer ? Elle avait totalement perdu le contrôle, s'était laissée submerger ! Mais au moins, sa brève excursion au pays des morts avait payé... puisque la clé, retenue par un fin lacet de cuir, venait timidement d'apparaître autour du cou du monarque.

 Lentement, Maya s’en empara et fila jusqu'au bureau. Elle sortit du tiroir une poche de tissu qu'elle vida, et trouva enfin ce qu’elle était venue chercher ! Puis remit le reste en place, retourna prudemment la clé à son propriétaire avant de gagner la porte : elle avait accompli l’essentiel de sa mission, il s’agissait à présent de disparaître sans laisser de trace !

 Les soldats gisaient toujours au sol quand elle quitta les appartements. Elle passa rapidement devant eux, enjamba le dernier corps et tressaillit en l'imaginant reprendre conscience. Le soldat lui agrippa soudain la cheville. Maya étouffa un cri, se débattit et se dégagea en paniquant. Trop faible, il finit par la relâcher. Il n’était plus question de sang-froid ni de courage. Elle devait à tout prix assurer ses arrières.

 Elle plongea une nouvelle fois la main dans sa poche et en ressortit une fiole rouge sombre. Elle laissa échapper deux gouttes de son contenu sur le pas de la porte, s’approcha du soldat qui l'avait repérée et badigeonna sa lame de sang. Puis elle entreprit de brouiller les indices en rependant le reste du flacon sur les pavés et le chambranle de la fenêtre la plus proche. Voila qui les occuperait un moment ! Elle avait presque fini, il ne lui manquait plus qu’à trouver un coupable idéal...

 Sans s'attarder, la jeune femme regagna le quatrième étage et laissa le sceau dans l'interstice du mur qui faisait l'angle avec l'aile nord, comme on le lui avait demandé. Puis elle s'engouffra dans le souterrain qu’elle avait emprunté à l’allée. L'obscurité rassurante lui permit à nouveau de respirer. Elle fila dans le tunnel, trébuchant lorsque son pied rencontrait une inégalité dans le sol, se rattrapant parfois de justesse au mur. L'aube n'allait pas tarder à se lever, elle devait à tout prix avoir regagné sa chambre d'ici là !

 Lorsqu'elle fit irruption au troisième étage, les servantes s'activaient déjà derrière le portes closes. Les premiers rayons du soleil transperçaient l'horizon d'or et d'argent. Le château se réveillait comme chaque matin, baigné des murmures de la nuit qui touchait à sa fin. Sans un bruit, Maya marcha jusqu’à l’intersection du couloir principal et de l'aile qui menait à ses appartements.

Attention, la prévint sa dragonne.

 – Qui êtes-vous ? l'interpella subitement une voix dans son dos. Je ne vous ai jamais vu ici !

 Maya se retourna, la respiration courte, le cœur battant à tout rompre. Elle avait tellement été soulagée de terminer sa mission qu'elle avait manqué de prudence. La servante la dévisagea quelques instants, interdite.

 – Mais… c’est du sang !

 Son regard suivit rapidement le sien : de nombreuses taches sombres parcouraient sa combinaison...

 Trop tard.

Tue-là !

 La servante n’eut malheureusement pas le temps de crier. En un éclair, Maya dégaina sa dague, plaqua la jeune femme contre le mur et la lui enfonça dans l'abdomen. Longuement, son regard la fixa, empli de larmes, figé de terreur. Puis, dans un affreux gargouillis, du sang s’échappa de ses lèvres, la tension s’envola et son corps glissa mollement contre la pierre.

 Attérrée, Maya regarda la mort reprendre ses droits. La sinistre réalité s’étendait là, à ses pieds, énoncée au goût du sang qui se rependait sur la dalle froide : elle, Héros du royaume de Maestria, venait d'assassiner cette pauvre servante.

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