Clémence

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Octobre 2022

Je reçois un prix pour mon thriller. Un livre glaçant qui me vaut les honneurs de la presse. Un journaliste me questionne. « Comment avez-vous pu décrire de telles scènes ? On s’y croirait, on les vit ! ». Il me demande son secret. Je ferme les yeux, afin de trouver les bons mots…

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Janvier 2021

Je viens de terminer ma formation. Prêt à me lancer. Cette année, mon roman verra le jour. La manière de décrire une scène n’a plus de secrets. Je dois faire passer de l’émotion. Le lecteur doit ressentir la séquence. Il doit vivre le livre. J’ouvre mon Mac, je démarre Word, et c’est parti.

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Aout 2021

Seul devant mon clavier. La page blanche. J’ai beau lire et relire mes notes, rien. J’ai pourtant rempli une dizaine de carnets avec des idées de scènes, des fiches de personnages. Rien. Je n’arrive pas à créer du lien, un déclic. Je suis à deux doigts de tout lâcher.

Une nouvelle fois, je parcours les diapositives de la formation, je réécoute les podcasts. Parler de ce que je connais. Pour décrire les lieux, utiliser des photos ou à défaut Internet. Une idée germe dans mon esprit.

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Octobre 2021

Une jeune fille arrive. Elle regarde à droite, à gauche. Elle tient en évidence un livre de Bernard Werber dans les mains. « Les Thanatonautes ». L’un de mes favoris. Aucun doute. C’est elle. Un mois maintenant que nous discutons via l’application « RencontrAParis.com ». Elle est plus belle que je ne me l’imaginais. Je lui fais signe avec mon « Jour des fourmis ». Elle me sourit et me rejoint. Nous marchons pendant des heures à travers la ville de Nantes. Les cafés ont rouvert depuis peu. Nous en profitons pour boire un verre. Il me semble que ça fait une éternité que je n’ai pas vécu ce genre de moment. Je la fascine quand je lui dépeins mon envie d’écrire. Je lui explique qu’un de mes embryons de projet est en train de murir. Mais un peu tôt pour en parler. Bientôt.

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Janvier 2022

Avec Clémence, nous avons passé le Nouvel An à Paris. J’en ai profité pour faire du repérage pour mon roman. La place des Vosges, le quartier Saint-Germain, Le Louvre et ses tableaux. Un séjour de rêve. Je ne me rappelle pas d’avoir été aussi heureux. Mon projet d’écriture prend forme, la préparation avance. Au Louvre, la scène du déluge de Géricault m’a particulièrement marqué. Le visage de ces personnes en train d’être englouties, c’est fascinant. Dans mon livre, l’ombre va noyer ses victimes.

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Février 2022

Je commence à préparer mon écriture. Je définis mes personnages, mon protagoniste qui va traquer mon ombre. Les secondaires qui vont finir noyés, les figurants. Mes fiches fleurissent et décorent les murs de mon bureau. Je décris les différents lieux à l’aide des photos prises lors de notre séjour. Mon héros peut s’embarquer dans son voyage. La page blanche n’est plus qu’un lointain souvenir.

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Mai 2022

Je mets un point final à la première version de mon roman. J’y suis enfin. Je laisse passer une petite semaine avant de commencer ma relecture.

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Fin mai 2022

Un truc m’échappe. Ça ne rend pas comme je le voudrais. J’ai beau écrire et réécrire les scènes de noyade, ça ne marche pas. Le détail qui va faire chavirer le lecteur manque à l’appel. Comment faire ? Je retente. Non, cette version ne me satisfait pas. Je dois aller au bout de mon idée.

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Juin 2022

J’emmène Clémence en weekend. Une superbe villa perdue dans le Finistère. Personne aux alentours. L’endroit m’inspire. Je vais trouver ici l’élément, le détail qui va me permettre de terminer mon ouvrage. A peine arrivés, nous commençons par aller chercher de quoi manger pour les deux jours. Je regarde Clémence plonger dans la piscine. Elle ressort gracieusement, et s’allonge sur un transat. Je lui badigeonne le dos de crème solaire. « Tu me ramènes un verre ? ».

Je verse un puissant somnifère dans son cocktail. Je me prépare également un rafraichissement. Je fais bien attention à me servir autre chose pour ne pas me tromper. Retour vers la piscine. Rester naturel. Ne pas trembler. Lui sourire. Elle boit. Je lui masse le dos. Dix minutes plus tard, elle dort profondément. Deux heures. J’ai deux heures pour reconstituer la scène manquante. J’installe un fauteuil face à l’eau. Un guéridon avec une bouteille de Cognac à côté. Et un appareil photo. Je dois saisir le détail qui fera chavirer mon lecteur. Un an que je prépare ça. Rencontrer une fille. Repérer un tableau qui inspirerait mon ombre. Et reconstituer les scènes qui me posaient problème. Un moment, j’ai cru que j’allais pouvoir éviter ça. Je commençais même à m’attacher. Mais non. Pas crédible. Pas convaincant. Manque de sentiment. Je repense à ma formation et réfléchis à ce que mon correcteur m’aurait dit sur mon texte. Éviter le descriptif, montrer les émotions.

La tension monte. Elle va bientôt se réveiller. Je note mes impressions sur un carnet. Elle bouge. Du moins, elle essaie. Des menottes lui enserrent les poignets et les chevilles.

– Que…

– Je suis désolé, Clémence.

– Mais de quoi parles-tu ?

– Tu sais, mon projet.

– Qu’est-ce que j’ai à voir dedans ?

– Je n’ai jamais réussi à décrire une agonie crédible

Elle se débat de moins en moins. Elle a compris. Elle essaie de se libérer. En vain.

C’est le moment. J’attrape l’appareil photo. Je regarde Clémence. Je l’embrasse sur la joue. Je vois une larme. Je recule. D’un geste, je pousse le transat. Il avance doucement dans la piscine. J’appuie sur le déclencheur. J’aperçois de la terreur dans son œil. Je zoome. Je saisis l’étincelle que je cherche. Je vais pouvoir terminer le climax de mon roman. Je souris, tandis que l’eau a retrouvé sa sérénité. Je change la carte mémoire de mon appareil. Je la poste en me l’adressant, pour ne pas la garder avec moi. Je replace l’ancienne carte. Celle où les photos montrent Clémence rayonnante, avec la bague de fiançailles que je viens de lui offrir.

Le lendemain, sur la plage, je la jette à la mer. Dix minutes plus tard, j’appelle les secours, affolé. Ma Clémence a disparu alors qu’elle se baignait. Son corps est repêché deux heures après. L’enquête conclura à une noyade. Tout le monde me plaint. Dire que la veille je me fiançais...

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Octobre 2022

« Alors, votre secret ? » Il me repose la question. Je rouvre les yeux.

– Le processus pour écrire est très particulier. Il faut y mettre une part de soi.

– Comme une autobiographie ?

– Je dirais plutôt sur des blessures invisibles, comme pour les personnages.

– Vous avez déjà une idée pour votre prochain roman ?

– C’est drôle que vous me posiez cette question

– Vraiment ?

– Cela tourne autour d’une ombre et d’un journaliste. D’ailleurs, si vous voulez, on mange un soir ensemble chez moi ? J’en profiterais pour vous montrer ma copie du Bœuf écorché, un Rembrandt. Il me sert de guide pour mon prochain livre…

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