Bip...Bip...!

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Pour certains le bonheur ne tiendrait parfois qu'à un fil.
Mais là, aujourd'hui, à cet instant précis, j'étais au sommet. Au sommet du monde.
— ...Ici camp de base pour Nénesse... Tu m'entends Nénesse... ? Alors c'est comment là-haut... ?
— Nickel ! Moins trente-cinq... Pas un nuage et pas plus de vingt-cinq kil de zef ! Nickel les gars !
— Et Nono... ? Il est avec toi Nono ?!
— Non... mais il arrive... Je le vois... Il arrive !
Nono c'est Norbert. Et Norbert est mon ami. Il est Suisse alors comme tous les Suisses qui se respectent il a un chrono planté dans le cul. On s'était promis d'être tous les deux vers six heures au sommet, il est pile six heures, et le voilà mon Nono !
Et maintenant on va le faire. Juste le temps de déplier les voiles des parapentes, et cette fois-ci on va le faire notre grand saut...
Devant moi le panorama est extraordinaire. J'aperçois et je domine d'autres montagnes de légende dépassant allègrement elles aussi les huit mille mètres, comme le Kangchenjunga, le Makalu, et surtout le Lohtse, là sur ma droite, avec ses impressionnantes arêtes verticales. Derrière, dans mon dos, je regarde à peine, car ce sont les plateaux tibétains chinois. La Chine et son milliard de Chinois. Et tout ce que j'exècre le plus en réalité.
Nono arrive enfin. Il souffle comme un bœuf le salaud.
— Il est quelle heure ?!
Quand je vous le disais qu'ils sont complètement zinzins ces Suisses avec leur manie du timing !
— Six heures cinq... T'es encore à la bourre comme d'hab' !
— Fais pas chier Nénesse ! J'me suis juste trompé de route au dernier rond-point !
Il est con mais je l'aime bien. Je pense aussi qu'il n'a pas aimé le ressaut Hillary. C'est peut-être un peu trop raide pour lui.
Enfin, on était heureux tous les deux. Fatigués, mais heureux.
Pourtant dans moins d'un quart d'heure Nono sera mort. Et moi je ne vaudrai guère mieux.
Et si plutôt le bonheur ne tenait qu'à un fil de suspente...
...
Je n'aime pas quand ils laissent la lumière allumée dans le couloir.

Je préfère être totalement dans le noir.

Et puis il y a cette putain de machine qui fait "bip", exactement la même que celle du film des Monty Python, et qui me rappelle toutes les deux secondes que je suis encore en vie... Saloperie de machine !

Hier, j'ai réussi à soulever un doigt de la main gauche.
— Bravo...c'est vraiment bien ! que s'est exclamé cet abruti de kiné.
Et en plus, espèce de connard, tu le sais ou pas que je suis droitier à l'origine ?!
Mais qu'est-ce qu'ils peuvent bien m'emmerder tous à vouloir que je bouge quelque chose. Ils le savent pourtant bien, eux, que je ne marcherai plus jamais ou bien que je ne tiendrai plus jamais quelqu'un serré bien fort dans mes bras. Quelqu'un comme mon ami Nono par exemple.
Il y a une petite infirmière tout de même qui m'est bien sympathique dans le lot , et, de celle-là, c'est vrai que j'en aurais sans aucun doute fait mon sherpa il y a à peine quelques semaines de cela.
Elle est rigolote cette gamine. Elle me cause de son beau-frère pendant tout le temps qu'elle fait ma toilette ou qu'elle me change mes perfusions de glucose. Son beau-frère Raymond qui a fait l'ascension du Mont-Blanc l'année dernière.
— Dites... c'est pas mal quand même le Mont-Blanc ?!
— ...Face nord ou voie normale ?!
— ...Ah... Je sais pas... ! Faudra que je lui demande !
Moi, la grimpette je lui en expliquerais bien volontiers toutes les modalités si j'en avais encore les moyens. Mais ça aussi ça ne fonctionne plus. Je crois même qu'ils m'ont foutu un tuyau en caoutchouc au bout, alors comme ça n'importe comment l'affaire est réglée.
— Vous habitez encore chez vos parents ?!
Mais qu'est-ce que j'peux être con des fois...
Bon... Il me reste quoi ? Mes deux yeux... et la langue ! C'est pas bézef, bézef, mais on a bien le droit de tenter quelque chose non ?!
Tiens... La machine qui fait bip ne doit plus fonctionner. En tout cas je ne l'entends plus depuis un petit moment. C'est marrant mais ils ont dû éteindre la lumière dans le couloir aussi... Y'a du progrès... Il était temps qu'ils comprennent... Mais maintenant faudrait aussi qu'ils me montent un peu le chauffage parce que j'ai les pieds complètement gelés... Ah, je crois que revoilà la petite infirmière... Mais... mais non... Hé ben merde alors ! C'est mon copain Nono qui s'amène...

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