Partie 5 : Le mariage

9 minutes de lecture

C’est notre vie. Incarnons-nous un semblant de justice ou sommes-nous guidés par nos émotions ? Préserver les bons implique parfois de se débarrasser des mauvais. Encore que certains restent en vie. Fherini croyait qu’elle prendrait du plaisir à assister au procès de ses parents. Elle avait attendu cet événement des années durant. Assez de preuves furent rassemblés pour les incarcérer à vie, tel était le verdict. Tout ce qui pesait dans leur conscience se résumait au dédain de leur fille. Rassurés d’être protégés derrière des barreaux, habités de quelques regrets, Doleis et Remos s’en allèrent purgés de déshonneur.

— Comment te sens-tu ? s’enquit Aldenia après le procès. Un pan entier de ton passé a ressurgi avant de s’achever.

— Je me sens… mieux, soupira Fherini. Ils ne corrompront plus. Ils n’appauvriront plus des malheureux. Mais leurs décisions malsaines ont eu des répercussions horribles jusqu’au dernier moment. Je ne veux plus jamais entendre parler d’eux.

Fherini fondit dans l’œillade prolongée de sa bien-aimée.

— Mais merci de m’avoir empêchée de les tuer. Je me serais rabaissée à leur niveau.

Aldenia câlina sa partenaire, et amenuisa ainsi ses maux, fût-ce temporaire. Car en parallèle s’organisaient les funérailles en l’honneur des sacrifiés de ce jour funeste.

Ellis, Ilde et les gardes qu’Oldur avait assassinés furent incinérés selon la tradition Ridilanaise. Des centaines de citoyens se conglomérèrent afin de leur rendre hommage, parmi lesquels s’invitèrent des prêtres de Deibomon. Mais ce fut le Conseil Régent qui mena le discours nourris d’éloges et d’espoirs dans l’avenir. Ils vantèrent également l’établissement de protection des enfants, bien que ses membres eussent préféré un autre moment pour de telles paroles. S’élevèrent alors les flammes baignées d’un flux magique. Dans cette collectivité, beaucoup espéraient que, spirituellement, les victimes vivraient encore d’une certaine manière. Ils ne sont pas morts seuls, autant qu’ils partent ensemble.

Des souvenirs que rien n’effaçait s’insinuaient toujours dans des esprits tourmentés. Des mois eurent beau s’écouler, le constat demeurait identique. Si les afflictions du passé ne devaient pas perturber le présent, comme l’affirmait si souvent Hagran, il leur fallait éviter de commettre les mêmes erreurs.

Tout évoluait comme chacun traçait sa voie vers l’avenir après cet événement. Certains engagés délaissèrent cette tâche pour une autre carrière tandis qu’une kyrielle de nouveaux venus s’aventurèrent dans ce chemin teinté d’héroïsme. Aldenia et Fherini, quant à elles, mûrirent alors dans la routine de leurs missions. Face à l’inexorable avancée du temps, les partenaires se redécouvrirent en même temps que leur patrie. Leur influence s’étendit d’abord au-delà de la capitale avant de se propager sur tout l’est du Ridilan. Bientôt leur réputation se bâtit au nom de leurs bonnes actions.

Pas besoin de la célébrité. Juste le bonheur pour tous les méritants. Aldenia et Fherini s’éloignèrent d’Orocède afin de construire une demeure pour elles deux. Elles trouvèrent leur bonheur à proximité du hameau agricole d’Amenil, à l’embouchure des régions centrales et orientales du pays. Au centre d’une dense chênaie, rythmées par le doux écoulement d’une rivière aux reflets lapis. Dans le confort d’une demeure construite en brique écarlates et ceinte de plantations fleuries. Là elles s’offrirent un court répit.

Entre sauvetages et repos, Fherini envisageait de nouvelles perspectives. Peu à peu elle reprit espoir en l’humanité car elle guettait la bienveillance du peuple. Se rapprocher tout en s’impliquant lui paraissait risquée en cas de perte, mais elle assumait cette position. Dans le cadre privé, partager chaque repas, chaque discussion et chaque nuit avec Aldenia la comblaient. Son amoureuse se dévoilait finalement dans son entièreté. Ainsi elles savourèrent le moindre instant.

Aldenia guida Fherini au travers d’Amenil lors d’une après-midi ensoleillée. C’était un jour où le marché battait son plein, opulente d’établis installés autour d’une fontaine centrale. Les deux mages purent se glisser malgré la présence d’une dense et tapageuse population. Pourquoi m’emmène-t-elle là ? Pas que je déteste les marchés, mais elle m’a parlée d’une surprise. Le cœur de Fherini battait d’excitation comme sa compagne s’élevait entre les jets d’eau. Claquant des doigts, libérant des courbes de flux, Aldenia les orienta pour modeler l’eau en cette même forme.

Fherini sourcilla de prime abord. Un sourire engageant… Sa connexion magique semble se renforcer ! Une aura blanchâtre l’enveloppa, puis elle se mit à léviter à sa grande stupeur. En face d’elle flottait un anneau argenté que sa bien-aimée portait avec autant d’assurance.

— Veux-tu m’épouser ? demanda Aldenia.

Pas un instant Fherini n’hésita. Dans la lumière de son sourire se glissa l’alliance sur son index. Après quoi les deux partenaires s’embrassèrent sous les applaudissements d’une foule emportée dans l’effervescence. L’euphorie se devait d’être transmise, ce pourquoi Aldenia avait choisi ce lieu et ce moment pour entamer sa déclaration.

Les préparatifs ne s’attardèrent pas outre mesure. Bien vite les fiancées invitèrent leurs proches et collègues tout en contactant un prêtre de Deibomon chargé de diriger la cérémonie. Un délai de quelques semaines fut accordé, nécessaire pour l’ensemble de l’élaboration. Ce fut l’opportunité pour Aldenia et Fherini de faire plus ample connaissance avec leurs voisins. Amenil n’a pas souffert comme Niheld. En même temps, ce village n’est pas dirigé par un couple de corrompus et malhonnêtes. Ces pensées fugaces disparurent dans les besoins collectifs. Dans ces petits instants où rien n’avait d’importance sinon de vivre.

Au Ridilan, les coutumes encourageaient à partager ardemment la passion la veille de l’union. L’on targuait en effet les vertus de l’amour charnel en prélude de la subséquente exubérance de sentiments. Fherini et Aldenia succombèrent à cette tradition : sitôt l’astre diurne cédait à l’obscurité qu’elle se glissèrent par-dessus leurs couvertures.

La citadine s’allongea sous le corps busqué de son âme sœur. Ses doigts se glissèrent doucement un visage bordé de traits chaleureux. Un gémissement ponctua les fredonnements de la contadine comme elle bécota sa partenaire du front au cou. Chaque toucher, chaque caresse doublait leurs frissons au cœur de leur étreinte.

De baiser en baiser, de la tendresse à la fougue, Aldenia saisit le galbe de Fherini pour mieux s’approprier son être. Un jeu de bassins et de torrides allers et retours rythma leur échange. Puis les rôles s’inversèrent et, penchée entre ses jambes, Aldenia inséra son index dans les profondeurs humides de sa compagne. Après quoi, au préliminaire établi, sa langue y goûta à répétition. La jeune femme retourna même Fherini pour qu’elle pût se repaître avec autant de jouissance.

L’ébat se prolongea des minutes durant, du crépuscule à la nuit. Aucune n’expira d’essoufflement. Aucune ne quémanda un répit. Toutes en réclamèrent encore. Et dans cet échange de fluide corporel se transmettait également des vagues de flux magique. Leur lien décupla dans une spirale d’émanations lumineuses. Pureté enchanteresse, fût-elle éphémère, les rapprocha plus que jamais. Jamais la magie ne s’était autant conciliée avec leurs sentiments.

Elle est douée ! Et si belle… et si parfaite…

Fherini et Aldenia finirent par s’endormir, blottie l’une contre l’autre, réchauffées par le contact de leur peau. Dans la placidité de la sorgue jurait l’intensité de leurs ronflements. Une courte nuit à bien des égards, quoique profitable, tant elles rêvèrent paisiblement dans leur sommeil profond.

Au plaisir intime succéda le bonheur partagé au lendemain. Près d’une dizaine de couples se réunit aux abords de la rivière, élevée sur une plateforme boisée que lierres et fleurs parfumées décoraient. En son centre se trouvait Mélius Soved, prêtre de Deibomon spécialisé dans les mariages. Un épais livre à la reliure mordorée tenait au creux de ses mains. Il l’ouvrit pendant que les couples s’installaient de part et d’autre de l’espace disponible. Sourires attendris et exclamations des centaines d’invités rythmèrent l’attente. Quel accueil ! Ils s’assurent que ce jour demeure inoubliable.

Tout était propice à l’immortalisation de la cérémonie. Quand les psaumes de Mélius sonnaient comme des chants, quand les pas se synchronisaient avec les mots, quand les applaudissements tonitruaient jusqu’au creux du cours d’eau, Aldenia et Fherini surent que leur place était là. Et le discours s’acheva en apothéose dans un souhait de bonheur et de prospérité. Des mages lancèrent des rayons lumineux vers le ciel pendant que chacun des couples s’embrassait en même temps.

Ainsi suivirent les festivités. Une chorale d’enfants accompagnait un groupe de ménestrels itinérants, lesquels s’unirent pour produire quelques mélodies dansantes. Un grand buffet, riche en volaille et en fruits et légumes de saison, se déployait sur des dizaines de tables autour desquelles se répartissaient les invités. Les uns discutaient gaiement, les autres, quelque peu biturés, entonnaient des vers louangeant les nouveaux mariés.

Aldenia et Fherini n’eurent aucune difficulté à se fondre dans cette atmosphère. Elles s’accordèrent toutefois un moment rien qu’à elles, perchées à l’écart de la foule. Aux pieds des peupliers, couchés sur l’herbe humide tapissée de galets, imprégnée du clapotis de la rivière. Le couple s’était posée main dans la main. Dans la clarté vespérale, elles admiraient les premières étoiles illuminant la voûte.

— Alors, c’est le moment des déclarations niaises ? ironisa Aldenia. Je dirais simplement que tu es la meilleure chose qui me soit arrivée.

— Pas besoin de me le dire, tu me le montres déjà, enchaîna Fherini en ajoutant un clin d’œil.

— Tu égales presque mon niveau ! Ah, j’aurais dû te faire cette déclaration plus tôt. Je me sens si stupide de m’être renfermée sur moi-même après…

— Ne te blâme pas, mon cœur. Nous avions nos responsabilités. Nos difficultés. Il fallait attendre que notre situation se stabilise. Et c’est enfin le cas.

— À propos de stabilité… Fherini, j’ai réfléchi à une possibilité depuis quelques temps. Peut-être est-ce le moment idéal pour t’en parler.

Écarquillant les yeux, la contadine ne quitta pas ceux de son épouse. Un pincement se fit sentir à sa poitrine. Le moment idéal ? Mais ça me sort complètement de l’ambiance !

— J’évoque peu mes parents, murmura-t-elle. Quant aux tiens, mieux vaut ne pas les mentionner. Mais nous pouvons être meilleurs qu’eux, n’est-ce pas ? Surtout après nous être occupés autant d’enfants. Je pensais, enfin… J’aimerais en adopter un.

Fherini sursauta face au choc de la proposition. Des gouttes ruisselèrent de son front au rythme de ses halètements.

— Un enfant ? bégaya-t-elle. Mais est-ce que nous sommes prêtes ?

— J’ai été trop brusque ! s’excusa Aldenia en rougissant. Nous étions si détendues que ça m’est venue à l’esprit. On en discutera une autre fois !

— Ne fais pas ta timide, susurra Fherini en lui tapotant le poignet. C’est un sujet très sérieux et je suis ravie que tu l’abordes. J’y songeais aussi, figure-toi.

— Et ce serait une excellente idée, avança Hargan.

Fherini et Aldenia se tourna vers l’autre couple. De sa main restante, le mécène tenait le bras de sa femme, et tous deux les gratifièrent d’un sourire guilleret. Ils ne perturbent pas notre tranquillité. Ils la complètent.

— Vous avez la bénédiction de Deibomon, déclara Gardis. Puisse sa lumière vous guider même lors des instants les plus sombres.

— Merci ! répondit Fherini en se relevant. Vous pensez donc que nous ferions de bonnes mères ?

— Absolument ! Je suis même étonnée que vous ne l’ayez pas fait plus tôt.

— N’importe quel enfant de l’établissement accepterait ! renchérit Hargan. Je suis certain que vous leur offririez une bonne éducation. Une belle vie, même.

— Votre confiance nous touche, dit Aldenia.

— Vous la méritez bien ! Trouver Fherini a été la meilleure chance de ton existence. Vous formez un duo imbattable. Et maintenant que votre union est scellée, continuez de dévoiler lemeilleur de vous-mêmes.

— Que j’aimerais avoir votre âge de nouveau ! soupira Gardis après une œillade de son mari. Tout semblait plus facile. Aujourd’hui, plus le temps passe, plus je me sens vieille et fatiguée…

— Montrons que nous sommes encore en forme ! Fherini, Aldenia, accordez-vous une danse supplémentaire ! La fête se prolongera jusqu’au lever du jour.

S’engagèrent les deux couples vers le cœur des festivités. La boisson coulait à flots au contraire de la nourriture. D’aucuns étaient déjà rentrés chez eux, trop saouls pour tenir debout, mais les plus vaillants s’aventurèrent dans les méandres des chants et de la musique. Tant que je reste entre ses bras, le malheur ne s’emparera jamais de moi.

Dans cette obscurité baignait la lumière du lendemain. Elle présageait toutefois une voie, plongée dans la pénombre, étroite et pleine d’aspérités. Une telle route guida Fherini et Aldenia dès que leur répit se termina. Aussi engagées fussent-elles, aussi motivées parussent-elles, les mois suivants exauçaient leur souhait dans l’abîme d’une note macabre. Car elles avaient beau lutter, elles étaient incapables d’empêcher tous les accidents de survenir. Un jeune couple s’était écrasé un chariot. Ils n’avaient laissé derrière leur froide dépouille qu’un frêle et pâle nouveau-né.

Ce fut l’enfant qu’elle choisirent d’adopter.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Saidor C ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0