Final

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Certaines choses doivent disparaître... tout doit disparaître. Je dois disparaître. Nous devons nous défaire de tout, et nous en libérer. Le passé n'est plus. Et, pour moi, le futur ne sera jamais. Le temps n'a plus place dans mon existence. J'ai cessé d'être ce que j'étais, mais je ne serais jamais ce que je suis. Parce qu'on m'a volé ce droit.

Nous en sommes là. Moi comme une bombe, claquant sur chaque second, sur le temps presque en suspend... Et elle... cette femme. Elle. Celle qui m'a volé ma vie. Elle a peur. Tant mieux. Au moins, je ne serai pas la seule à sombrer dans le néant et la terreur.

Nous y voilà, mon histoire est complète. Il ne manque que le point final.

***

Nous ne bougeons pas. Elle a peur, je le vois sur son visage. C'est la première fois que je la vois aussi apeurée. Et j'en suis responsable. Les rôles s'inversent. Je fulmine.

- Réponds à la question.

- Numidia... (elle reprend un ton autoritaire)

- Répond !!

Ma voix se déchire comme le voile d'un bateau lors d'une tempête. Je la sens loin, très loin. Je pointe du doigt mon acte de naissance.

- À moins que je sois obligée de lire ça pour avoir une réponse.

- Tu ne comprendrais pas.

Je me mets à rire. Je ne comprendrais pas. Elle me prend vraiment pour une cruche.

- Qu'est-ce qui serait si difficile à comprendre ? Que tu n'es pas ma mère ?

- Je suis ta mère.

- Non. Si tu avais été ma mère, tu ne m'aurais pas traité de la sorte. Tu m'aurais aimé sans conditions et tu aurais été là pour moi en toutes circonstances. Mais tu as préféré me traiter comme un chien, comme une merde... en me faisant subir tes sévices toutes ces années ! Tu m'as tout fait, sauf ce qu'une fille attend de sa mère, alors non ! Tu n'es pas ma mère !

- Mais c'était pour ton bien ! Espèce d'idiote puérile !

Elle avance d'un pas.

- J'ai caché son existence comme je le pouvais. Mais il y avait Royd qui voulait tout faire pour que tu connaisses tes racines !

Elle avance encore d'un pas.

- J'ai promis de te donner une éducation qui te permettrait de faire parti des grands de ce monde. Mais tu gâches toujours tout.

Elle fait un pas de plus.

- Et ton cancer est arrivé. Ça m'a donné du fil à retordre. Mais je savais que je réussirais à en venir à bout. Je réussi toujours à atteindre mon but.

Elle avance toujours. Elle est proche. Je mets mon bras devant moi, comme pour la prévenir.

- N'avance pas plus !

- Mais je n'aurais pas dû faire tous ces sacrifices. Tu n'auras été qu'une déception. Du temps perdu. C'est de ma faute. J'aurais dû voir que tu étais comme elle, une moins que rien. Les chiens ne font pas des chats.

Ma vision se trouble. Mes yeux s'injectent de sang et mon corps devient un feu destructeur et incontrôlable.

Je prends l'imprimante de mon père et lui jette au visage. Je fais pareil avec tous les objets potentiellement dangereux sur le bureau. Mais elle arrive à avancer, sans réagir. Seuls ses bras s'interposent entre elle et ma colère. Si elle m'atteint, c'est fini.

J'ouvre le tiroir, soulève les dossiers et sort l'arme de mon père. C'est plus lourd que ce que j'imaginais. Mais je ne me laisse pas douter. Le doute est un poison qu'elle manipule parfaitement. Je ne dois pas lui laisser une chance de m'avoir. Ses yeux se remplissent de surprise et elle s'arrête. Je reste statique. J'ai les jambes bien plantées dans le sol. Ce n'est pas le moment qu'elles me lâchent. Je tiendrai. Je tiendrai. Je tiendrai.

- Recule.

Mais elle ne bouge pas.

- RECULE !!!

Elle lève les bras et recule de trois pas.

- Encore.

Elle continue de reculer. Mais elle n'a pas l'air impressionnée. C'est une menteuse, une manipulatrice, elle a peur. Elle le cache bien, c'est tout. Elle se retrouve à l'entrée du bureau.

- Pourquoi... pourquoi !

- Que veux-tu que je te dise, Numidia ?

- Non ! Ne dis pas mon nom... Ce n'est pas mon nom ! Je n'aurais jamais dû m'appeler comme ça... Je n'aurais jamais dû vivre comme ça... c'est injuste... non...

- Calme-toi, s'il te plaît...

- La ferme !

Je pointe l'arme sur elle. Je n'ai aucune idée sur le fonctionnement des armes à feu, mais j'arrive à obtenir son attention. Enfin.

- Tu vois, ce que je suis en train de faire ? C'est de ta faute.

- Arrête Numidia.

- Je t'ai dit de ne pas m'appeler comme ça !

- Ce que tu dis est faux.

- Non, c'est la pure vérité. À force et me pousser à bout, toujours plus loin, « pour mon bien », j'ai fini par ne plus en pouvoir. Tu m'as détruite. Et si ma mère, ma vraie mère, n'étais pas morte, j'aurais été heureuse, normale... libre. Mais il a fallu qu'elle meurt et que je finisse ici. J'aurais préféré mourir avec elle, avant de naître.

- Tu ne sais pas ce que tu dis.

- Ne me dis pas ce que je pense !

J'agrippe mes cheveux d'une main, mes larmes sont si épaisses que j'ai du mal à la voir.

- Je... j'ai détesté ma vie ! J'avais hâte de mourir pour voir plus grand, plus beau, soit-disant parce qu'au paradis, dans ton magnifique Royaume des Cieux tout est ''plus''. J'avais besoin de ce plus. J'en avais besoin ! Si tu ne m'avais pas rempli la tête de conneries j'aurais peut être plus de temps. C'est tout ce que je demande aujourd'hui, du temps. Parce que tu ne me l'as jamais offert.

Ma voix se brise et j'avale un dernier sanglot. J'inspire.

- J'ai attendu ton amour, très longtemps. Ça m'aurait suffit je pense. J'aime croire que si tu m'avais aimée, j'aurais été moins triste.

- Je t'aime Numidia.

- Non, tu ne m'aimes pas. Si tu m'avais aimée un tant soit peu je ne serais pas ici à te pointer d'une arme. Si tu m'avais aimée, tu ne m'aurais pas traitée comme ça.

Et quelque chose, une perpétuelle incompréhension, se délie et devient claire.

Quand j'étais petite, je me posais toujours cette question, dans un coin de ma chambre, recroquevillée dans mes sanglots. Pourquoi elle m'aime pas ? Qu'est-ce que je fais mal ? Peut être que je suis pas assez bien pour elle ? C'est à partir de là que j'ai commencé à me dénigrer, pour lui donner raison, pour trouver le monde moins injuste. Pour justifier sa merde. En fait, ce n'était pas moi qu'elle dénigrait, c'était...

- Tu haïssais ma mère... et tu t'es vengée sur moi...

Elle se tétanise, encore plus. Elle n'est que pierre.

- C'est ça... n'est-ce pas ?

Elle ne réagit pas. C'est ça. Alors que l'arme, pesant lourd dans mes mains, avait commencé à pointer le sol, je la remonte vers elle, plus furieuse que jamais.

- Toi et tes morales à deux balles. Tes leçons hypocrites. Les corvées insupportables. Les punitions injustifiées. Les cris. Les coups. Tout ça, c'était pour une femme morte...

Je remets en question toute mon existence. La joie dans la mort, l'emprisonnement social, le jugement sévère et irréfléchi du monde et des gens. Tout ça, ce n'est pas croire en Dieu, c'est justifier tout et n'importe quoi par une hypothèse. Cette femme est malade.

- Tu es une putain de psychopathe.

Je ne me retiens plus. Je hurle dans mes pleurs et je tombe à genoux. Ce monde est pourri jusqu'à la moelle. Heureusement que je vais bientôt mourir. Je ne peux pas. Je ne peux plus vivre ici, comme ça, dans un mensonge.

Je relève l'arme doucement pour l'approcher de ma tête, mais Mornefia se jette sur moi pour reprendre l'arme. Je n'ai pas le temps de l'en empêcher, à moins que je n'en ai plus la force, tout simplement. Elle se relève et pointe l'arme sur moi.

- Il est hors de question que tu me tues. Je ne me laisserai pas avoir par une petite idiote complètement détraquée.

D'accord. Elle croyait que j'étais sur le point que lui tirer dessus. La bonne blague. Je me relève en riant. C'est un rire qui ne me ressemble pas. Un rire fou, et mort.

- Tu croyais vraiment que je prendrais la peine de le faire ?

Elle a l'air déroutée mais garde une bonne prise sur l'arme, contrairement à moi il y a quelques secondes.

- J'en ai plus rien à foutre.

- De quoi tu parles ?

- De tout ! D'absolument tout ! Je dirais même que je préfère que tu vives le plus longtemps possible. Tu sauras ce que ça fait de finir seule, comme moi. Parce que tu finiras seule. Ta famille ne te parle plus depuis des années. Ton mari restait pour moi, et je viens de comprendre que c'est seulement parce que je suis tout ce qu'il reste de sa petite sœur morte. Même le pasteur couche avec toi parce que c'est facile pour lui, c'est un peu comme si Dieu te baisait par le biais de ce sale traître.

Je m'avance et elle recule très vite. On sort de la pièce et finissons dans le couloir.

- Ce Judas, cette vermine. Cet enfoiré.

Je fulmine. L'adrénaline dans mes veines est revenue. Et je n'ai qu'une envie, c'est de me jeter à sa gorge et de serrer jusqu'à ce que son visage vire au bleu.

- Mais j'espère que tu es contente, tu as réussi. Tu as détruit mon semblant d'existence alors que je pensais ne pas en avoir.

Elle est au bord de l'escalier, prête à tirer. Parfait. Si elle me tue, ce sera parfait. Elle culpabilisera toute sa vie, et moi je ne finirais pas en zombie en plus d'avoir ma vengeance.

- Alors, satisfaite ? REPONDS !

Mon hurlement la fait sursauter et elle me tire accidentellement dans la jambe. Je m'effondre de douleur sur elle, la poussant dans escalier.

Dans l'élan, je tombe avec elle dans l'escalier. Chaque marche en marbre percute un endroit différent de mon corps, n'accentuant que d'avantage ma torture. Je ferme les yeux tout le long. Après un temps qui me semble interminable, nous atterrissons au rez-de-chaussée.

*BANG*

Merde.

Un coup est parti. La descente d'escalier était si violente que je ne pourrais pas dire si j'ai pris une balle. Je suis sur elle. Je me relève doucement, mais quelque chose colle contre ma peau. Un liquide chaud et épais. Je m'assoie à coté d'elle et regarde mon corps. Ma jambe me fait très mal. Mon genoux est disloqué je crois. Et mon pied est plié dans une drôle de position. Ça brûle, c'est horrible comme sensation. La main de Mornefia m'attrape par le col de mon haut et me tire vers elle. Elle respire fort et rapidement. Elle suffoque je crois. Elle colle mon visage au sien et sourit. Elle murmure.

- Elle est morte en te mettant au monde.

Elle me lâche et me laisse me redresser. Elle s'est pris la balle, dans le cou. C'est étonnant qu'elle arrive encore à respirer. Elle s'étouffe en riant, la gorge remplie de sang, expulse une énorme quantité d'hémoglobine de sa bouche. Et plus rien. Elle ne respire plus. Son regard est vide, noir. Ses yeux sont à moitié révulsés. Je ne sais pas si elle s'est noyée dans son sang ou si le cerveau a été déconnecté du reste.

Je me relève d'une jambe, ignorant la douleur. Je m'appuie contre un meuble. J'ai du sang qui coule le long de mon visage, celui de ma mère adoptive, je le sens maintenant. Je regarde une dernière fois le corps, horrifiée. Du sang. Épais. Noir. Partout. J'ai peur. Tellement peur. Que dois-je faire ? Qui suis-je ? Pourquoi ? Comment ? Je vais mourir. Je veux mourir ? Je dois mourir. Je ne suis personne. Je ne l'ai jamais été. Je ne suis rien, rien que du néant. Je n'ai jamais eu le contrôle sur rien, pas même ma propre vie. À aucun instant. Je suis morte le jour où je suis née. Je suis morte le jour où j'ai tué ma mère. J'aurais dû mourir avec elle. Je n'ai jamais rien choisi. Même ma mort me sera imposée. Je vais mourir salement. Dans la solitude et la douleur.

Non.

Non, je refuse.

Je me laisse tomber au sol. Je prends l'arme. Je place le canon dans ma bouche. Je ne suis plus qu'une petite fille qui a peur du noir.

*BANG*

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