Chapitre XXXII

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Tout est allé très vite après ça. La faible lueur d'espoir a été étouffé par la dure et froide réalité.

***

Je suis allongée dans un lit d'hôpital. J'ai les larmes aux yeux. Et les sens engourdis. Je passe ma main dans mes cheveux et en prends une grosse poignée dans ma paume. Je ferme les yeux, respirant lentement. Lokian est assis à coté de moi. Il prend ma main, celle avec le cathéter. Il me répète que ça va aller. Mais je sais que c'est faux.

Je me retrouve ici, parce que j'ai été incapable de me lever à la fin du cours de philosophie. J'avais perdue l'usage de mes jambes. Je sais ce que ça veut dire. Le cancer progresse plus vite que prévu, à moins que je n'ai pas vu le temps passer, ce qui est pire.

Le docteur Austin entre dans ma chambre, des fiches d'analyse dans les mains. Elle les glisse sous son bras et me regarde, peinée.

- J'ai une mauvaise nouvelle, Numidia.

- Je sais, le cancer est dans le centre moteur.

- Oui, mais pas seulement.

Pas seulement ? Je la regarde, le désespoir dans les yeux.

- Votre cancer est très dense et nous avions prévu cette éventualité. Mais je ne pensais pas...

- S'il vous plaît, ne me ménagez pas. Dites-moi ce qui ce passe.

Elle me regarde, puis jette un coup d'œil à mon cousin.

- Le cancer s'est métastasé dans le rachis cervical.

- Dans ma nuque.

- Oui. Vos douleurs s'expliquent par ce changement.

- Et qu'est-ce que ça veut dire ? demande Lokian.

- Ça veut dire qu'elle peut être victime d'une paralysie nerveuse passagère comme définitive. Dans les deux cas, le problème peu s'étendre à d'autres séquelles. Le cancer peut aller dans la moelle épinière et paralyser des organes vitaux. Ou elle peut perdre l'usage du reste de son corps.

- En bref, soit je marche de temps en temps, soit je deviens un légume, soit je meure.

Lokian serre ma main en me regardant.

- C'est quoi les solutions dans ce cas ? demande-t-il.

- Je vais modifier le traitement pour l'adapter. (elle me regarde) on va vous garder en observation jusqu'à être fixé sur votre mobilité.

- Non, je vous parle d'un traitement qui puisse la sauver.

Il n'a toujours pas compris.

Le docteur Austin me regarde avec insistance. Je sais, je dois lui faire comprendre. Je hoche subtilement la tête et elle sort. Il se lève.

- Il faut que tu changes de médecin, elle va juste de défoncer à coup de médocs !

- Lokian !

Il arrête de s'agiter. Il a les yeux rougis par le désespoir.

- On ne peut rien faire. Je vais mourir. Mon cerveau va être rongé par le cancer ou les métastases vont me bousiller les autres organes. Tout ce qu'elle peut faire, c'est ralentir la progression et apaiser ma douleur.

- Non, y'a forcément quelque chose d'autre !

- Arrête !

- Je suis désolé, Numidia. Je peux pas laisser tomber aussi facilement.

- Et moi alors !?

Ma voix se brise, mais je ne pleurerai pas.

- Tu as pensé à ce que moi je voulais !?

- Tu veux vivre.

- Oui, mais c'est impossible ! Je suis dans le couloir de la mort, et rien ne pourra empêcher ça. Et ce n'est pas en perdant ton temps à chercher une solution à un problème insoluble que j'irais mieux !

Il s'assoit à coté de moi. Les larmes coulent sur son visage.

- Non. Je refuse de te perdre toi aussi.

- Tu n'as pas le choix.

Je sens mes yeux rougir aussi. Mais je ne pleurerais pas. Je dois être forte, pour lui.

- Écoute moi. Rien ne me sauvera. Aucun remède miracle ne va tomber du ciel pour me sauver. Je n'ai plus que quelques mois à vivre et mon temps vient de se raccourcir encore. Il faut que tu acceptes que c'est bientôt fini.

Il pose sa tête sur ma main.

Il se redresse d'un coup. Je vois d'ici la culpabilité au fond de ses yeux. Je sais qu'il va m'en demander trop.

- Tu pourras reprendre la chimio.

Je ne peux contenir ma rage.

- Quoi ? Tu es sérieux là ?

- Fais-le pour moi.

Non. Non. Je ne peux pas.

- Tu oses me faire un coup pareil ? Comment oses-tu me faire ce coup là !? C'est dégueulasse ! T'es dégueulasse !!

- Ça te sauvera peut être...

- Non ! J'ai déjà demandé, mon cancer est trop agressif ! Il me tuera quand même ! Et je refuse de revivre ça !

- Mais, cette fois je serai là.

- Tu sais ce que ça fait de sentir du poison gangrener ton corps de l'intérieur ? Tu sais ce que ça fait de se sentir mourir à petit feu ? D'avoir le ventre vide mais pas assez de force pour manger ? De vomir ses tripes et de se vider à chaque passage aux toilettes pendant des semaines ? De souffrir dans tout ton corps sans rien pouvoir faire ? D'avoir la peau qui te gratte tellement que tu as envie de l'arracher ?

Je me penche vers lui et bouge la tête de gauche à droite.

- Je ne la prendrai pas. Même si ça avait une infime chance de me sauver la vie. Le jeu n'en vaut pas la chandelle.

Je me recouche dans mon lit.

- C'est trop violent. Je ne veux pas recommencer. Je refuse.

- Je suis désolé.

Il se lève et sort. Je ferme les yeux, cherchant le calme quelque part dans mon être. Mais je ne trouve que de la colère et un sentiment d'injustice.

***

Par chance, j'ai retrouvé l'usage de mes jambes après une dizaine d'heures d'observation. Le docteur Austin m'a dit que ça pourrait se reproduire. Apparemment, ça venait du cerveau, cette fois-ci. Quand la source de la paralysie sera cervicale, je ne remarcherais plus.

Je suis retournée à l'internat, mais parfois je me réveillais avec les jambes engourdies ou carrément inertes. Sinon, j'avais des crampes et des douleurs osseuses dans la nuque et les épaules. Je passais ma journée allongée sans rien faire dans ce cas là. Au bout de même pas une semaine, Lokian est venu vivre en cachette à l'internat. Il a pris la place de Hely qui est partie vivre chez Mano. Du coup, quand je suis paralysée, il reste avec moi.

Très vite, Nesta a compris que Learth n'avais pas sorti une simple excuse le matin où ils nous ont retrouvé endormis dans le même lit : je faisais bien des cauchemars toutes les nuits. La plupart du temps, elle dors avec moi. Sinon, quand elle va chez Ekin, c'est Lokian qui reste. Je me sens comme une gamine qui a peur du monstre dans le placard et qui fait pipi au lit, incapable de dormir comme une grande. C'est humiliant. Je leur ai demandé de me laisser dormir seule, mais ils ont refusé. « On veut pas que tu souffres. Et tes cauchemars ont l'air insupportables. » Oui, je souffre. Et si je n'avais pas encore un peu de l'influence de ma mère, je leur dirais que leur aide est pire à supporter. J'ai du mal à dormir quand quelqu'un est là. Je suis devenue une assistée. C'est comme si j'étais déjà un légume. Je suis sur le point d'exploser.

Non, je ne dors pas mieux avec quelqu'un près de moi. Sauf Learth. Quand il est près de moi, je me sens apaisée. Je n'ai aucune explication. J'en ai pour les désirs et les tensions sexuelle, mais pas pour ça. Mes médicaments chamboulent mes hormones et mes inhibitions, mais je ne sais pas pourquoi je me sens mieux avec lui qu'avec les autres.

Après le nouvel An, il n'a pas posé de questions, il a fait comme si je n'avais rien dit. Il est resté le même avec moi, tout en gardant une certaine intimité que nous avons pris l'habitude d'avoir. Mais depuis la rentrée, on ne se voit qu'en cours, quand j'y vais, c'est-à-dire rarement. Il me manque.

Parfois, mes lèvres brûlent de dire aux autres de le faire venir, que c'est la seule chose qui me fera aller un peu mieux. Rien qu'une seconde. Être dans ses bras rien qu'une seconde. Mais je ne dis rien. Déjà parce que les autres ne comprendraient pas, ils s'imagineraient tout sauf ce que je ressens. Mais aussi parce qu'une partie de moi continue de dire que ce n'est pas une bonne idée. Non, ce n'en est pas une. La séparation n'en serait que plus dure, et je ne veux pas le faire tourner en rond. J'ai assez fait de dégâts comme ça. Il faut que j'arrête de faire n'importe quoi. Peu importe si je souffre, ce n'est qu'une question de mois. Par contre, les autres pourraient en pâtir pendant des années. Je refuse de laisser autant d'affliction derrière moi. Autant limiter la casse.

Ça fait maintenant deux semaines que je suis sortie de l'hôpital, et depuis hier j'ai des crampes dans la nuque et le dos. Je suis restée allongée, le visage fixant le plafond, par la suite. Nesta dors chez Ekin cette nuit, et Lokian dors à coté de moi. Je suis du coté du mur, ratatinée contre le mur par son corps large. Les lits sont d'une place, même s'ils sont larges, l'espace se fait quand même rare.

J'ai envie d'aller aux toilettes, mais entre mon calvaire et Lokian qui bloque ma fuite, c'est compromis. Je sais que j'ai une couche, mais je préfère prendre le risque de rester coincée sur la cuvette que de faire là-dedans. Seuls Nesta et Lokian savent pour mes couches, ils savent aussi que je m'obstine à me retenir dès que je suis immobilisée. J'attends de pouvoir me lever de nouveau pour y aller. Hors de question de me comporter comme un légume. Comment ils font, les gens en fauteuil roulant ? Je sais qu'ils ont une sonde urinaire, mais pour le gros travail ? Non, en fait je ne veux pas savoir, à part si ça peut m'aider.

Bon, j'en ai marre. Je tire la couverture pour découvrir mon corps. Je me redresse avec difficulté. Je serre les dents et bloque ma gorge. Je ne fais aucun bruit, même si j'ai envie de crier sous mes muscles qui s'étirent. J'arrive à sortir par le pied du lit et me lève. Je prends mon téléphone, au cas où, et le fourre dans la poche de mon pyjama. Je prends un anti-douleur dans mon tiroir aussi, c'est trop dur. Je l'avale sans eau, on prend le pli à force de se bourrer de cachets toute la journée. Je mets mes chaussures et sors.

C'est facile de deviner que j'ai mal, rien qu'en regardant le positionnement de mon corps et ma démarche. Je suis toute de travers. Une épaule plus haute que l'autre, la tête sur le coté et les jambes crispées. Je traîne les pieds jusqu'aux toilettes. J'arrive enfin à destination. J'ouvre la porte et tombe sur une autre fille : Zakia.

Parmi toutes les filles dans cet internat, il a fallu que ce soit elle. Je ne baisse pas les yeux, je me contente de fixer une cabine au hasard dans laquelle je vais aller. Je m'y engage, mais elle retient la porte d'une main.

- Hey, tu crois que tu vas t'en tirer aussi facilement ?

- Je ne vois pas de quoi tu parles.

- Mon cul !

Elle me pousse en arrière.

- Tu crois que je suis pas au courant ?

Elle me pousse encore, je peine à garder l'équilibre.

- D'abord t'arrives et tu fous ta merde !

Elle recommence et j'atterris dans le mur derrière moi.

- Et pis t'essaies de me piquer mon mec !

Elle plaque mes épaules contre le mur.

- Et mon frère !

Elle met un coup de genoux entre mes jambes. La douleur n'est pas aussi intense que pour un homme, mais elle est bien là. Je reste debout.

- Et en plus t'obliges mon mec à casser la gueule de mon frère, deux fois !

Elle tire mes cheveux. Non, c'est trop. Je me mets à crier. La torture est trop forte pour me retenir. Elle tire vers le haut, puis vers le bas. Elle s'amuse à me secouer dans tous les sens. Quelle garce ! Et elle me jette par terre. Je reste sur le sol froid, humide et sale des toilettes, sans bouger. Je me retiens de hurler. Je souris.

- C'est plus ton mec.

J'ai pas pu m'en empêcher. Elle met un coup de pied dans mon ventre et part.

Je n'arriverai jamais à me relever toute seule. Je sors avec difficulté mon téléphone de ma poche. J'appelle Heinesy, c'est elle la plus proche, mais elle ne répond pas. Et mon second choix se porte sur Learth. Il est loin, trop loin, pour venir à temps. Mais j'ai besoin de lui. Ça sonne. Ça sonne. Ça sonne.

- Allô ?

Je souffle de soulagement. Sa voix est caverneuse et plus rauque que d'habitude.

- Learth... je suis coincée et Heinesy répond pas. J'ai voulu me débrouiller seule mais Zakia...

Je reçois un coup de pied à la main, ce qui me fait lâcher le téléphone. Elle se penche sur moi et me gifle. Son geste n'est pas atroce, le mouvement de ma tête l'est. Je serre les dents au moment ou je gémis.

- T'appelles qui là, ta copine ?

Elle enlève la batterie et le pose à coté d'elle. Elle sort une paire de ciseaux.

- Ça, c'est pour m'avoir cassé le nez, sale pute.

Elle tire une mèche de mes cheveux et la coupe. Je souris. Voyant ma réaction, elle prend beaucoup moins de plaisir. Elle serre sa main contre mon visage pour tourner ma tête. Aïe. Ses ongles se plantent dans ma peau. Elle est énervée. Elle a un regard de folle.

- Pourquoi tu rigoles ?

J'amène ma main à ma tête pour soulever mes cheveux, je lui montre la tonsure au milieu de mon crâne. Les cheveux ont poussés depuis, bien sûr, mais la longueur n'est pas la même.

- On m'a rasé ici au début de l'année pour me faire des examens. On m'a trouvé un cancer incurable, mais je suppose que ton frère ne t'a pas dit qu'il a essayé de violer une mourante.

Elle recule et tombe presque sur les fesses. Sa main lâche mon visage.

- Je vais mourir, et ma mère m'a forcé à prendre la chimio, je pensais que j'allais perdre mes cheveux. Alors quelques centimètre en plus ou en moins, je m'en moque.

Mes cheveux ont toujours été très long, ma mère ne me les coupait que pour réguler leur longueur. J'étais triste quand j'ai cru que j'allais les perdre. Mais aujourd'hui j'ai bien plus à perdre. Alors à quoi bon se battre pour quelque chose d'aussi futile ? Elle revient sur moi et m'étrangle à moitié.

- Tu mens !

- J'aimerai bien. Et puis les petites brutalités que tu me fais sont dérisoires comparé à ce que j'ai vécu. Alors je t'en prie : fais-toi plaisir. Mais dis-toi quand même que tu te défoules sur une fille qui n'atteindra peut être pas ses dix-huit ans.

Je lui souris, mais de haine. Je me dis que j'ai peut être gagné ce round, qu'elle va me laisser ici et ne plus faire attention à moi. Mais elle sourit.

- Une sale pute est une sale pute. Cancer ou pas. T'inquiète, je vais me faire plaisir.

Elle continue de me couper les cheveux. Mais elle lâche vite l'affaire pour s'attaquer à mes vêtements.

Je me secoue, peu importe la douleur, et la pousse. Elle plaque sa main libre contre ma tête et plaque mon visage sur le sol. Je n'arrive pas à bouger mes jambes comme je le voudrais, mais mes bras s'agitent dans toutes les directions. J'arrive à atteindre son visage et la griffe. Elle me repousse avec sa main tenant les ciseaux et parvient à couper la peau sur ma main. Elle plante la paire dans ma paume. Je hurle. Elle frappe mon ventre à coups de poings.

La porte des toilettes s'ouvre. Zakia est tirée en arrière. J'ouvre les yeux et vois Learth. Elle lève les mains.

- Learth ! Heureusement que tu es arrivé à temps ! Cette sale pétasse s'est jetée sur moi avec des ciseaux !

Elle tend les bras pour l'enlacer, mais il la pousse. Son visage est rempli de haine.

- T'as de la chance, j'ai pour principe de ne pas frapper les filles, sauf les boxeuses.

Elle lui sourit faussement. Il la jette presque derrière lui.

- Heine, tu peux lui casser la gueule, s'il te plaît ?

Heinesy prend Zakia par le col et la tire vers l'une des cabines. En souriant.

- Avec joie, mon ami.

Elle s'enferme avec sa prochaine victime. Zakia commence à crier.

Learth se penche vers moi et tire ma main blessée. Les ciseaux n'ont pas transpercé ma main, mais ils sont bien plantés.

- Je vais devoir te les enlever, je compte jusqu'à trois.

Il compte jusqu'à deux et les tire. Il les laisse tomber par terre, met mon téléphone dans sa poche et me soulève en passant un bras sous mes genoux et l'autre dans mon dos. Je pose ma tête contre sa poitrine en fermant les yeux. Il sort et marche dans le couloir.

- Pourquoi t'es sortie toute seule ?

- J'en ai marre d'être une assistée. J'ai jamais une minute d'intimité.

- Fallait leur dire.

- Je peux pas, et ils veulent pas. Ils pensent que c'est mieux pour moi.

- T'es partie de chez ta mère pour qu'on arrête de te dire ce qui est bon pour toi.

- Je sais pas comment leur dire.

- Dis simplement ce que tu veux, ça suffira.

Il s'arrête. Il me regarde.

- Tu veux retourner dans ta chambre au moins ?

- Non.

J'ai répondu sans réfléchir. J'essuie mon visage.

- Je me sens sale.

- Tu l'es, elle t'a traîné par terre cette conne.

Je pouffe de rire. Il fait demi-tour.

- Tu vas prendre une douche pour commencer, ça te fera du bien.

- Et si je tombe ?

Il me sourit.

- Je peux me mettre à quatre pattes sous la douche pour que tu t'assois sur mon dos.

- Non, c'est pas sympa pour toi.

Je lui souris aussi.

- Tu tomberas pas.

Il m'a emmené aux douches puis il est resté jusqu'au bout. Il a appelé Heinesy pour qu'elle ramène des vêtements propres de ma chambres. Je sors, fébrile. Entre le manque de sommeil et Zakia, j'arrive à peine à tenir sur mes jambes. Heinesy est toujours là. Elle regarde Learth, taquine.

- Dit donc, Learth, t'es au courant que c'est les douches des filles ici.

- On s'en branle, y'a personne à cette heure.

- Mais t'as pas le droit d'être là.

- Oh, ta gueule.

Elle rit fort et sort. Je me tiens contre le mur. J'ai l'impression que je vais tomber à tout moment. Il approche, avec l'esquisse d'un sourire.

- Tu veux que je te porte comme une assistée ou tu m'envoies chier ?

Je rit doucement et secoue la tête.

- Je veux bien être une assistée tout de suite.

Il me porte de la même façon que tout à l'heure et nous sortons.

Heinesy est juste derrière la porte des douches, elle regarde son téléphone. Learth regarde le bout du couloir.

- Elle peut pas continuer comme ça.

- Tu veux qu'on fasse comment ? lui répond Heinesy.

- Je vous avais dit que c'était une idée de merde de tourner pour dormir avec elle.

- Pas la peine de me dire ça à moi, c'était pas mon idée.

- En attendant personne n'est content.

- Je suis là.

Ils me regardent et sourient.

- Désolée.

- Tu veux dormir où ?

Chez toi. Mais je hausse les épaules. Je ne peux pas lu en demander autant. Il est venu, c'est déjà énorme. Il sourit et regarde Heinesy.

- Je te fais confiance pour dire à Lokian qu'elle est chez moi.

- T'inquiète. Je m'occupe de lui. Bonne nuit tous les deux.

Elle retourne vers sa chambre en agitant la main. Nous sortons du bâtiment.

***

Je sors de sa voiture sans son aide. S'il me tient dans ses bras, il aura du mal à ouvrir la porte de sa maison. Je suis derrière lui, je marche lentement, mais il fait exprès de s'accommoder à mon rythme. Il ouvre la porte et me laisse passer devant. Je descends dans sa chambre et me dirige sans réfléchir aux toilettes. Je l'entends rire d'ici. Ses pas contre les marches de bétons résonnent jusqu'à moi.

- Alors Nesta exagère pas quand elle dit que tu te retiens toute la journée et toute la nuit ?

- Tais-toi, c'est pas drôle.

Ce n'est vraiment pas drôle, mais je souris quand même.

Quand je sors, mon sourire inonde mon visage. Ça fait du bien. J'arrêterai peut être de me retenir quand j'aurai une infection urinaire. Je lui montre mes mains.

- Où est-ce que je peux les laver ?

- Y'a un lavabo dans les chiottes.

- Il marchait pas la dernière fois.

Il y va et ouvre le lavabo, mais l'eau ne sort pas.

- Ma mère a dû couper l'eau ici. Tu peux aller dans la cuisine. Elle est pas là donc tu peux hurler et tout casser si tu veux.

Je lui souris et monte.

Je me lave les mains et rince bien ma blessure dans le creux de ma paume, là où Zakia a planté les ciseaux. C'est douloureux, mais rien de comparable avec ce que ma mère m'a déjà fait ou avec ce que je vis en général. J'essuie mes mains, sauf la paume pour ne pas mettre de sang. Je prends une feuille d'essuie tout et colmate le trou. Je me retourne et tombe sur Learth. Il secoue ma tête et prend ma main.

- Enlève-moi ça. Je vais te faire ça bien.

Il ouvre une bouteille de désinfectant et en asperge ma plaie. Il sourit.

- Même pas de grimace à cause du produit qui pique. T'es une grande fille !

- Franchement, c'est tellement infime comparé à ma nuque que je m'en fous.

Il rit et enroule ma main dans un bandage.

Il retourne dans la salle de bain pour tout reposer. Moi je vais dans sa chambre. Les draps sont défaits. Il a dormi ici cette nuit. Il descend les escaliers et vide ses poches. Il en sort mon téléphone qu'il me tend, ses cigarettes, son briquet et... mes médicaments. Il débarrasse sa table de chevet en balayant la surface de son bras et pose tout ce qui vient de ses poches dessus. Il me sourit.

- Je savais que tu voudrais pas dormir dans ta chambre. Heine m'a ramené tous tes médocs.

Je rougie. Ça me perturbe qu'il lise en moi aussi facilement. Il montre du doigt le lit.

- Si tu veux je peux changer les draps.

- Non, ça ne me dérange pas.

Je le vois faire demi-tour et s'engager dans les escaliers.

- Où tu vas ?

Je sens la panique dans ma voix. Il me regarde, aussi surpris que moi.

- Je comptais dormir dans le canapé.

Oh. Merde. Non, c'est très bien comme ça. Je hoche la tête.

- Ah, d'accord. Alors bonne nuit !

J'enlève mon pull, mes chaussures et mes chaussettes à toute vitesse et me cache dans les draps, recroquevillée sur le coté. Ils ont son odeur. Au moins j'ai son odeur. Il faut relativiser.

Il éteint la lumière. Mais je ne l'entend pas monter les marches. Je sens son corps près du mien. Je rougie encore plus. Je me déplie et me tourne vers lui. Il sourit.

- Prends pas cet air étonné, tu sais très bien que tu fais ce que tu veux de moi.

Je ris et me détends un peu. Il gigote et grimace.

- J'aime pas dormir en jean.

Je m'enflamme.

- Mais je vais pas t'obliger à dormir avec un mec à moitié à poil.

Je hausse les épaules.

- Du moment que tu me touches pas, fais ce que tu veux.

Il fait non de la tête.

- Toi ça te gêne pas d'être habillée ?

Je hausse encore les épaules.

- En plus toi t'as un soutif, ça doit être hyper inconfortable.

- Pas tant que ça.

C'est horriblement désagréable. J'ai envie de l'arracher, mais je ne dois pas me donner de confort ici. Pas trop. Il rit.

- Ouh, qu'est-ce que tu mens mal.

Il met ses mains devant ses yeux.

- Vas-y, tu peux l'enlever, je regarde pas.

- Mais non, je le garde !

- Bon, plan B.

Il se lève et enlève son tee-shirt et son jean. Nom de Dieu, qu'il est beau ! Il se retrouve en boxer et se glisse dans les draps, à quelques centimètres de moi.

- Je suis pour l'égalité homme-femme. Donc t'as le droit d'enlever tes sapes toi aussi.

Je ris fort et gravement. Je secoue la tête.

- Et tu croyais que ça allait marcher ?

- On sait jamais.

Je n'arrête plus de rire.

Il s'allonge sur le dos et croise les bras derrière sa tête. Je ferme les yeux. Je les plisse pour le regarder en toute impunité. Il fixe le plafond. Son profil est agréable à regarder, même en flou et sombre. Ses bras sont épais, plus que la moyenne, mais que je sache il ne fait pas de sport en particulier. Comment il fait pour garder ses muscles sans rien faire ? Il a le sang chaud, il a tendance à en venir aux mains facilement. Peut être qu'il se bat plus souvent qu'il ne le laisse croire. L'autre fois, après le concert, quand nous avons dû passer devant le groupe de toxicomanes, Fariz a insinué qu'avec Learth ils pouvaient s'occuper d'eux. Peut être l'ont-ils déjà fait. Ça ne me plaît pas qu'il se batte, mais je n'ai pas mon mot à dire.

Il sourit et pivote vers moi. Il approche son visage du mien. À la dernière seconde, je recule. Il rit.

- Je savais bien que tu m'espionnais.

Quoi ? Il a fait ça pour être sûr de lui ? J'ouvre la bouche et inspire bruyamment.

- T'as pas honte de te moquer de moi ?

- Non, pas du tout. Par contre je suis déçu que tu puisses croire que j'essaie de t'embrasser contre ton gré.

- J'ai été prise par surprise, c'est tout.

Il me sourit et fait la moue.

- Tu sais bien que je suis incapable de te toucher sans ton autorisation.

- Permets-moi d'avoir un léger doute, aux vues d'un certain incident.

- Attends, c'est toi qui voulais !

- Oui, mais même.

Je ris aussi.

- Même si t'étais nue dans mon lit, j'oserai pas te toucher. Je veux pas te décevoir

Il sourit et se remet sur le dos.

Je suis tentée... non, c'est hors de question. Pas deux fois... non, il ne peut pas y avoir de deuxième fois s'il n'y a pas eu de première fois. Je m'assoie dans son lit et détache mon soutien-gorge. Je le retire sans mon tee-shirt et le jette sur le sol. Je fais pareil avec mon jean. Je me rallonge, retiens le rouge de mon visage et hausse les épaules.

- De toute façon, tu es incapable de me toucher sans ma permission. Tu l'as dit toi même.

Il s'approche et me prend dans ses bras. Je panique.

- Tu as dit que tu me toucherais pas ! Sale menteur !

- Faut jamais croire un mec.

Mon visage est dans le creux de son cou. Ça devient difficile de se retenir dans ces conditions. Je me retourne pour être dos à lui. Il enroule ses bras autour de ma taille. Je sens sa respiration dans ma nuque. Je frissonne.

- Ça va mieux ta nuque ?

- Non.

J'ai toujours mal, mais je pense à autre chose depuis tout à l'heure, alors ça va mieux, en quelque sorte. Je sens ses lèvres dans mon cou. C'est pas possible il fait exprès. Je le sais depuis le temps, il adore jouer avec ma patience le concernant.

- Sale profiteur.

Je le sens rire sur ma nuque.

- Totalement.

Mais il ne s'arrête pas.

***

Je suis réveillée par une sonnerie de téléphone. Je vais pour me redresser et l'éteindre, mais je suis retenue par un poids. Je me rends compte que le suis dans les bras de Learth. L'une de ses mains est sur mon ventre sous mon tee-shirt, l'autre tient l'une des mienne. Nos doigt sont entrelacés. Je ne sais pas ce qui me gêne le plus.

Il commence à bouger. Il se détache de moi et tombe par terre. Je me retourne, surprise par sa chute. Je vois sa tête dépasser, les yeux gonflés par le sommeil. Il attrape son téléphone dans la poche de son jean gisant au sol et l'éteint. Il me regarde et sourit. Il revient sous les draps. Il ferme les yeux et souffle.

Une de ses mains est proche de son visage. Je la prends pour regarder ses tatouages. Ils sont très sombres, presque totalement noir. Même le gris est foncé. Les formes sont abstraites, mais je distingue des mots. « Hateful », « Sadness », « Rotten ». L'encre monte jusqu'à son coude en vagues dégradées. Sur l'autre bras, il a plus de tatouage sur le haut du bras et moins à l'avant. Ça donne une asymétrie ordonnée. Sur cette main, les doigts ne sont pas tatoués. Je lève les yeux vers sont visage, il me regarde.

- T'aime pas, hein ?

- Je n'ai rien contre les tatouages en général. Mais je n'aime pas l'obscurité.

- C'est ce que je dis.

- Non, ça te va bien. Tu les portes bien.

Il sourit encore plus.

- Quand j'avais quinze ans, je voulais me faire un tatouage, juste pour embêter ma mère.

- Tu voulais te faire un truc en particulier ?

Je lui souris.

- Une colombe qui sort d'une cage, le symbole de la liberté.

Il grimace à moitié.

- Si seulement t'avais pas dit un oiseau.

Je ris doucement.

- Ça aurait changé quoi ?

- Tu te serais un peu plus rapprochée de la perfection.

Je rougie et ris.

- N'importe quoi.

- Si si, t'as pleins de trucs qui font que t'es beaucoup mieux que la moyenne.

Je secoue la tête. Je regarde toujours sa main. Il a de belles mains. C'est complètement stupide comme réflexion. De belles mains, et puis quoi encore, de beaux coudes ?

Je regarde son visage. Il est encore un peu endormi, mais ça lui va bien. Il garde toujours la même expression au lycée. Il a un air dur et intimidant. Mais quand on perce un peu sa carapace, il devient très expressif. Il a mille facettes. J'aime chacune d'entre elles. J'aime ses facettes, pas lui. Non. Pas lui. Je me pince les lèvres à cette pensée.

- On devrait se lever pour aller en cours.

Je ne sais pas pourquoi je chuchote. Peut être pour garder ce cadre intime et intemporel. Comme si parler à voix haute pouvait briser la fine pellicule qui recouvre notre minuscule espace-temps. Il fait non de la tête.

- J'ai pas envie d'aller en cours.

Il chuchote lui aussi. Il pose ses mains contre ma taille et approche un peu plus.

- On est bien là. Moi je me sens bien.

- On va être en retard.

- On s'en fout.

Il est très près. Je sens son souffle sur mon visage. J'ai envie de l'embrasser. Ma main se pose sur sa joue. Il a une barbe de trois jours. Ça lui va bien, ça lui donne un coté aventurier, sauvage, indomptable.

Je sais pourquoi il m'attire autant, au-delà de mon bouleversement hormonal. Il est tout ce que je ne serai jamais. J'aimerais tellement être comme lui. J'aime son coté tourmenté, ça lui va tristement bien. Mais il est libre et il est sûr de lui dans tant de domaines. Et il est à l'aise avec son corps et sa tête. J'aimerais être aussi insouciante et harmonieuse.

Je caresse le coin de sa mâchoire du bout des doigts. Il ferme les yeux quand je descends dans son cou. Je remonte dans ses cheveux puis redescends vers ses lèvres. Je les caresses de la pulpe de mon pouce. Il ouvre les yeux et attrape ma main. Il la laisse là en souriant légèrement.

- On a une relation bizarre tous les deux. On est pas ensemble mais on est pas amis, on est en équilibre entre les deux.

- Je te considère comme un ami.

- Tu fais ce genre de choses avec tes amis, toi ?

Je souris, me rendant compte que nous ne sommes pas amis.

- Ça te dérange ? Que je sois aussi bizarre ?

- Pas du tout. J'aime bien. Ça me plaît comme ça.

Je souris. Je ne sais pas pourquoi, je sens des larmes menacer. Je les laisse là où elles sont. Il lève les yeux.

- Je t'avoue que ça occasionne certaines... frustrations mais...

Je ris silencieusement.

- Désolée.

- C'est pas grave.

Il me serre plus contre lui et passe sa main dans mes cheveux. Il descend et caresse mon cou, ma nuque, mes épaules.

- Faut juste que tu me le dises, si je vais trop loin.

- Hmm hmm.

- Je t'avoue que c'est la première fois que je fais ce genre de chose alors.

Je me love contre lui alors qu'il descend sa main dans mon dos. Elle monte et descend le long de ma colonne vertébrale. Elle passe sous mon tee-shirt et caresse le bas de mon dos. Elle passe rapidement sur ma fesse pour parcourir ma cuisse que je monte sur lui. Je frissonne. Je passe mes bras autour de son cou et me colle le plus possible à lui. Mon visage est dans son cou, je me frotte à sa peau.

- Tu m'as manqué.

Les mots sortent de ma bouche alors qu'il caresse mon corps plus fort. Je sens la fièvre monter. Il ne faut pas qu'on aille plus loin. Si j'arrive à garder ce rythme, ça va. Du moment que nous n'allons pas plus loin. Je peux me permettre au moins ça. Il caresse l'intérieur de ma cuisse, m'arrachant un son aiguë. Ça va trop loin ! Ça va trop loin ! Mais j'ignore la petite voix dans ma tête quand il me fait basculer. Je me retrouve sur le dos à embrasser son cou pendant qu'il caresse mes jambes repliées vers moi.

Son téléphone sonne. Ce n'est pas un réveil, c'est quelqu'un qui l'appelle. Ce retour à la réalité me perturbe un peu. Mais Learth me ramène à son monde en passant sa main dans mon tee-shirt pour caresser le bas de mon ventre et en mordillant mon cou. Je le tire en passant ma main dans son dos, le caressant. J'emmêle mes jambes dans les sienne. Sa bouche descend doucement. Je m'enflamme. Son téléphone sonne encore. Il le laisse sonner. Il embrasse et mordille mon ventre et juste sous ma poitrine. Il est sur le point d'enlever mon haut. Son téléphone sonne encore.

- Mais merde !

Il sort la tête de sous la couverture.

Il attrape son téléphone mais se fige. Il fixe l'écran sans rien dire. Je reprends mes esprits et me redresse.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

- C'est Mano. Il arrête pas de m'appeler.

- Et alors ?

- Mano m'appelle jamais.

Il cherche dans son répertoire pour le rappeler, mais Mano le fait avant. Il décroche.

- Ouais ?

J'entends Mano crier dans le téléphone, mais je ne comprends pas ce qu'il dit. C'est bien la première fois que je l'entends crier. Il a l'air paniqué. Je vois le visage de Learth changer.

- Mais putain ! M'appelle pas moi ! Appel les urgences !

Il se lève et s'habille.

- Putain, même ça tu sais pas ! Le 15 ou le 112 !

Je commence à paniquer. Je m'habille aussi.

- Bon, j'arrive, appel le 112 !

Il met son téléphone dans sa poche et ramasse ses affaires pour les y mettre aussi.

- Qu'est-ce qui se passe ?

- C'est Hely, elle a pris un truc hier. J'ai pas tout compris.

Il me prend par la main et me tire dehors.

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