Chapitre vingt

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L’air était si emplein de magie qu’il en crépitait. Çà et là, une étincelle furtive brillait l’espace d’un instant, sortie du néant et s’en retournant aussitôt auprès de lui. Pour qui y était habitué, la chose laissait indifférente. Les plus jeunes en revanche, tout juste sortis de la pépinière où ils étaient habituellement confinés pour leur propre sécurité, cela relevait d’un véritable spectacle devant lequel ils s’extasiaient.

Un sourire amusé traversa les lèvres d’Andromède devant leur émerveillement.

Qu’elle est belle, la jeunesse !

De là où elle se dissimulait, la vieille herboriste ne pouvait guère voir grand-chose de ce qui se déroulait sur la place d’entraînement. Elle n’en avait pas besoin cependant. Les crépitations de la magie, les exclamations joyeuses des plus jeunes, la chair de poule qui vrillait la peau assaillie par trop de magie… tout cela, elle le connaissait par cœur. Et qu’importe les années qu’elle passerait loin du Monde Bleu, jamais elle ne pourrait l’oublier.

Un nouveau sourire étira ses lèvres, plein d’une nostalgie qui prenait la vieille femme alors que les souvenirs qu’une vie passée se rappelaient à elle. Quelle époque lointaine !

Andromède se releva, demeura cependant dans les ombres qui la cachaient, et jeta un œil sur la place. Comme toujours, elle grouillait de créatures en étude, certaines bien jeunes, d’autres bientôt mûres. Parmi elles, quelques Merÿnn parcouraient les rangs, prodiguaient conseils et remontrances, un carnet entre les mains, consignant leurs dernières observations, annotant leurs évaluations.

Le regard de l’herboriste parcourut les rangs des créatures, l’œil attentif. Il se posa finalement sur une jeune femelle. Sa longue chevelure argentée ne pouvait qu’attirer l’attention, ce n’était cependant pas pour cela que celle d’Andromède s’était portée sur elle. Celle-ci finissait tout juste ses exercices et, après un hochement de tête appréciateur d’un maître Merÿnn, elle s’éloigna finalement de la place d’entraînement.

Andromède suivit son mouvement et se déplaça dans les ombres, si furtivement qu’elle aurait pu être l’une d’elles. Prenant garde à effacer toute trace de sa présence, la vieille femme se déplaça au rythme de la créature qu’elle suivait, son regard acier obnubilé par elle. D’un pas tranquille, la femelle évolua d’une démarche leste parmi les autres, visiblement songeuse, inattentive. Elle pénétra finalement dans une forêt d’arbres géants, dont les troncs larges et solides servaient au support des masures abritant les créatures qui vivaient au sein de ces lieux. La jeune créature qu’Andromède suivait évolua encore puis, le pas toujours leste, elle monta une envolée d’escaliers étroits longeant l’un des arbres millénaires et regagna ses appartements. Vue de l’extérieur, l’habitation en elle-même était plutôt simple, et guère spacieuse. Les logements légués aux créatures autres que les Merÿnn l’étaient toujours. Après tout, ceux les habitant n’étaient pas censés y demeurer bien longtemps.

Andromède s’assura que les lieux étaient pauvres en créatures, puis quitta sa cachette pour rejoindre l’escalier qu’avait naguère emprunté la jeune femelle. D’un pas relativement rapide et aisé pour une femme de son âge, Andromède grimpa les dizaines et dizaines de marches qui la menaient dans les hauteurs. Elle s’arrêta devant la porte des appartements de la jeune créature suivie et, dans un grand silence, elle en tourna la poignée, ouvrit la porte, et entra.

Andromède referma la porte derrière elle, sans un bruit. À quelques pas de là, la femelle vaquait à ses occupations, dos tourné à l’entrée. Un sourire torve étira les lèvres de la vieille femme.

« Tu as bien grandi, Éléis. »

La créature lâcha un cri et se retourna en sursaut. D’abord figée par la stupéfaction, un grand sourire étira bientôt ses lèvres fines.

« Dame Andromède ! Yemboz nad chiuh Doche wosed* !

— Sur toi aussi, ma petite. »

Sans attendre quelque invitation de la part de son hôte malgré elle, Andromède s’avança plus encore dans l’habitation et s’assit sur le tapis de limon qui se trouvait au centre de la pièce principale, les jambes croisées en tailleur. La dénommée Éléis l’imita sans tarder.

« Cela faisait longtemps que vous n’étiez plus venue me voir, dame Andromède !

— Oh, j’avais beaucoup à faire.

— À faire… avec les humains ? »

La jeune créature se pencha quelque peu en avant, les yeux pétillants de curiosité. Un sourire amusé étira les lèvres d’Andromède.

« Toujours intriguée par ces humains ! Tu n’as pas changé, ma petite Éléis !

— Comment sont-ils ? demanda celle-ci, son visage s’illuminant de plus en plus.

— Ooohf !, bien ennuyeux ! Quoi que, certains semblent dignes d’intérêt.

— Est-il vrai qu’ils nous ressemblent, dame Andromède ? Aucun maître n’accepte de répondre à mes questions, ils les disent superflues.

— S’ils nous ressemblent ? Mmf, assez je dirais. Mais ils ont les oreilles des Merÿnn, et pas une plume. »

La vieille femme pointa du doigt le manteau duveteux qui habillait les épaules de la créature. Celle-ci se roidit et, comme un vieux réflexe, elle rétracta ses ailes et les garda serrées derrière elle. D’un même geste irréfléchi, Éléis tira ses cheveux de derrière ses oreilles pointues et recouvrit ces dernières de sa toison argent.

« Eh bien, eh bien, la réprimanda gentiment Andromède. Pourquoi tant de honte ?

— Je n’ai pas honte », répliqua la jeune Elfe alors que le rouge lui montait au visage.

La créature fronça des sourcils, visiblement contrariée. Andromède quant à elle n’ajouta pas un mot.

« Mes ailes ne me servent à rien, marmonna Éléis après quelques instants. Elles ne sont là que pour… que pour la parade !

— Allons bon ! Tu n’envirais pas les Aëlez si tu savais à quel point les dragons sont désagréables ! De vulgaires lézards nauséabonds et arrogants, voilà ce qu’ils sont !

— Mais ils peuvent aller où ils veulent, commenta l’Elfe d’une voix sombre. Ils n’ont ni maître ni loi, ils peuvent faire ce que bon leur semble.

— Et vivre avec les conséquences que cela implique. Réellement, Éléis, tu ne les envies pas, crois-moi !

— Vous ne comprenez pas, dame Andromède. Vous n’êtes pas enfermée.

— Je ne le suis plus. Et tu ne le seras bientôt plus également. Ta magie est presque à maturité. Dans quelques jours à peine tu passeras l’examen effroyable des Merÿnn et tu seras libre d’aller où bon te semble.

— Je devrai surtout aller à Ellesia. Maître Melath dit que tout Elfe qui se respecte doit avant toute chose se présenter à notre Mère la Reine.

— Maître Melath est un vieil aigri beaucoup trop attaché au protocole. Tu es une créature magique, Éléis. Tu es seule à pouvoir décider de ce que tu fais de ta vie, mmf ? »

La jeune créature dévisagea l’herboriste, les yeux écarquillés. Après un instant, elle détourna le regard, soudainement songeuse.

Un petit sourire étira les lèvres d’Andromède.

« Eh bien ! Cela m’a fait plaisir de te revoir, dit la vieille femme en se relevant.

— Vous partez déjà ! se lamenta l’Elfe, prise au dépourvu.

— Des affaires m’attendent, comme toujours !

— Avec les humains ?

— Oui, s’amusa Andromède, avec les humains.

— Peut-être… ! »

Andromède se tourna vers la jeune Elfe, le regard interrogateur. Celle-ci se mordillait les lèvres, semblant prise dans un terrible conflit. Après une hésitation, elle reprit doucement la parole.

« Peut-être… que je pourrais vous aider ? Une fois mes examens passés, je veux dire. Après tout, une fois à Ellesia, j’aurai un rôle à tenir, je ne serai plus vraiment libre de… Et puis, pour quelques jours, personne ne s’en rendra compte. Notre Mère la Reine ne m’en tiendra sûrement pas rigueur… ?

— Mmf… C’est qu’il s’agirait d’une tâche bien ennuyante, je ne voudrais pas t’importuner.

— Vous ne m’importunez pas ! s’exclama la jeune Elfe, le rose revenant à ses joues.

— Eh bien… oh, si tu insistes ! Mais ce n’est rien, vraiment !

— Dîtes-moi !

— J’aurais une lettre, à déposer. Tu vois ? Rien de bien palpitant, j’en ai peur…

— Où donc ?

— Eh bien… »

La vieille femme tira un billet cacheté de la poche de sa tunique et le tendit à la jeune Elfe.

« C’est assez loin d’ici, commenta Andromède en pointant du doigt la destination inscrite sur la surface du billet.

— Laissez-moi faire, dame Andromède ! Je ne peux certes pas voler, mais mes jambes sont rapides !

— Aaah, je ne peux dire “non” à la jeunesse », concéda finalement la vieille femme en confiant sa lettre aux mains fines de l’Elfe.

Celle-ci s’en saisit comme d’un bien précieux, son visage irradiant de joie.

« Oh, merci dame Andromède !

— Non, non, merci à toi. »

La vieille femme et la créature s’échangèrent encore quelques mots puis, veillant à ce que nul ne se trouvât alentour, Andromède quitta les appartements de l’Elfe, descendit les longs escaliers et regagna l’ombre des arbres qu’elle avait quittée auparavant. Alors qu’elle s’éloignait, un nouveau sourire étira ses lèvres.



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* « Que le Jour brille sur vous ! »

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