Pourquoi ce jour est-il l'une de ses dates ?

Sans doute un peu parce que son âge ne faisant que grandir, sa mémoire à contrario ne fait que s'ourdir, capricieuse. Peut-être aussi en raison de la nature bien singulière de leur relation. Loin des précédentes, faite d'un autre bois, plus dur, qui brûle plus longtemps et chauffe en toute saison le brasier de leur amour. Parce que c'est une évidence, que la blonde au surnom de fruit à coque a tiré dans ses bras un vieux pruneau à jeun pour le gonfler d'un amour sous tout état. Raison de plus d'être amoureux pour le coup.
Ce jour, ce tournant, cette frivole révélation, qu'un bassin remué avoue sans peine. Ce jour de Pâques, où cloches sonnent dans leurs têtes, rappelant une raison perdue par avance à la connaissance du chœur. Chantez les louanges ! Avouez votre amour ! Donnez, car vous vous le rendrez. Tandis que le soleil décline, passé sous silence à l'aveu du couple aimé, son rayon décroissant revient caresser des courbes pressées. Il reste bien assez de temps au jour pour recommencer à zéro, repartir sur une même lancée et pour les deux amoureux de donner, pour se le rendre au centuple.

C'est une de mes dates, ma Louve. J'ai souhaité me souvenir de certains jours. En oublier d'autres. C'est le seul que je ne saurais ni ne voudrais voir s'enfuir de ma mémoire. Il est tatoué sous mes paupières, paysage unique qui revient vers moi chaque fois que je ferme les yeux. Pour qu'ainsi même quand je ne vous vois pas, je puisse vous avoir toujours. Aveuglé par la nuit. Ébloui par notre vie.

Main dans la main, bas ceint dans l'autre. La promesse de toujours se rappeler de ce dimanche de Pâques 1468. Première union, premier mariage, avant l'heure. Avec pour seul témoin un soleil paresseux et des draps froissés. Dans son esprit déjà, le vieil homme à la mère, renomme sa compagne De Machaut. Viendra en son temps, celui des avenants et profits libérés. Viendra le moment où chacun le verra, car tous le sauraient. Ce jour croustillant ne voit qu'eux deux à la fête des sens cachés. Tout les oppose peut-être. Tout les attire aussi. Comme une musique en fond, entraînante, entêtante. Il ne sert à rien d'y résister. Tout ce qu'il faut faire, c'est se laisser aller à chantonner, pour ensuite chanter à tue-tête son ode. À l'amour !

Peu à peu, le monde revient à eux. Dans la maison, Bathilde se bat avec un lange. Si l'odeur ne monte pas jusqu'à l'étage et ne perturbe pas la passion des maîtres, elle a néanmoins fait fuir l'intendant qui, à porte claquée, s'est empressé de chercher un air plus frais. Battez-vous contre la course du temps ! Repoussez de toute vos forces le lit de la destinée ! Elle vous pousse si vous l'acceptez et vous tire si vous la refusez. Mais à la fin de la journée, nul ne peut s'absoudre du soleil couché. Quelques heures demeurent alors dont les deux amoureux ne peuvent profiter que de bien des manières. Entre deux assoupissements langoureux, les cris résonnent encore. Ils battent le rythme et ponctuent la maison. Criez sans raison. Criez déraison ! Que deux fronts collés l'un contre l'autre ne peuvent plus se détacher, souffles perdus et peau iodée. La mère, qu'on voit danser, dans les yeux du vieux loup amadoué.

Puis tard allongée, Napo fait la sieste, déposée par la nourrice dans le cocon de bras. S'il n'en est pas le père, Piastre va pourtant de paire. S'il ne cherche pas cette place, la force du quotidien l'y pousse, ne serait-ce que lorsque il change une couche ou soulage la mère et la nourrice en prenant dans ses bras l'enfant protégé. A la fin de la journée, nul ne peut s'absoudre du soleil couché. Et tout feu qui brûle ne vient que d'un seul âtre. Le sien. Leur vie désormais. Pour ne faire qu'une à trois. Famille.