Si elle lui demandait, il n'aurait aucune réserve à lui raconter tout ce qui fait de lui le Vieux Con. Il lui parlerait de l'Anjou et du souvenir cuisant qu'il en a. De Lyon, de Gênes, de Carcassonne. Il est plus facile de se souvenir du passé en se remémorant les lieux que les personnes. Pourtant, le vieil homme est le premier à clamer qu'un voyage ne se compte pas en lieues parcourues mais en êtres vivants croisés. Paradoxal certes mais sa mémoire n'est plus ce qu'elle était. Il a sans doute manqué de poisson. Chaque chose en son temps et en égrainant des pistes, il mènera en confiance celle qui incarne aujourd'hui pour lui l'amour sur le chemin de la découverte. Chemin qu'ils emprunteront à deux pour qu'en retour il en apprenne autant sinon plus à son sujet. Son âge. Vingt quatre ans. Il en a le double. Précisément.

Blottie dans ses bras, la blonde aurait pu s'endormir si la curiosité ne la gardait éveillée. Les cloque ne sonnaient plus. Si l'on pouvait entendre quelques bruits venant du rez de chaussée, rien ne venait troubler ce moment destiné. C'était là le souhait de Piastre. Que l'on ne les dérange qu'en cas d'urgence. Tancrède avait ses instructions et suffisamment à faire pour ne pas réclamer davantage. Napo confié aux bons soin de Bathilde ne manquerait de rien. Le vieil homme jouait du bout des doigts à effleurer l'avant bras de sa compagne, dessinant sur sa peau des lettres à l'encre invisible.

Je.

Hmmm... Je voudrais savoir. Si vous aviez le pouvoir de faire trois vœux et qu'ils se réalisent là maintenant, que demanderiez vous? Allez y sincèrement, dîtes moi tout.

La question est intéressante. Les si ne refont pas le monde mais les rêveurs aiment les utiliser pour refaire le leur. La question est intéressante car Piastre ne se l'est jamais posée. Pragmatique plus que de raison, ce qui est fait ne peut être défaire. Le passé ne peut être que le passé et seul l'avenir demeure à écrire. C'est du moins ainsi qu'il l'entend, si l'on part du principe que tout n'est pas déjà déterminé.

Vous.

S'il pouvait exaucer trois vœux. Changerait-il le passé ? Oui. Paradoxal également. S'il existait un moyen de changer le passé, devrait-on pour autant le faire ? Pourrait-on seulement ? La décision de ce besoin ou de cette envie ne s'effacerait-elle pas une fois accomplie, liant le fait et le défait dans une boucle temporelle éternelle. Pourtant... Craignant qu'elle ne prenne son temps de réflexion pour un refus de répondre, Piastre s'éclaircit la voix pour continuer.

Vous me prenez au dépourvu avec votre question. C'est là un sujet sur lequel je ne me suis jamais penché. Mais sans hésitation, je reviendrais sur ce soir de ma vie ou j'ai presque perdu une jambe. Je m’empêcherais de commettre l’irrémédiable. Du moins, si l'on y réfléchit un peu, est-ce vraiment nécessaire ? M'auriez vous regardé de la même manière si je n'étais pas celui que je suis. Suis-je défini par ce que j'ai fait ? Quoi qu'il en soit je reviendrais probablement sur ce point. Trois vœux. Pour le second, j'imagine qu'il concernait le Poitou, problème plus urgent et plus préoccupant. Je m'exaucerais le vœu de parvenir à mes fins car rien n'est moins sur d'aboutir que ce que je lui réserve.

Les doigts sur sa peau continuent leur périple des sens, lui offrant en prime à ses mots soupesés, des sensations déployées. Saisira-t-elle le sens de ce qu'il écrit sur sa peau ?

Louve.

Pour le troisième vœu, au débotté, je soignerais mon incapacité à enfanter. Non pas que cela ne m'ait gêné au fil de ses années. Cela m'a sans doute évité bien des bâtards, mais alors que je découvre ou redécouvre les joies de l'amour, je constate ne jamais être père. Et si vous pensez que mes souhaits ne vous concernent pas assez. Dites vous simplement qu'il n'y a rien que je ne puisse vous offrir si ce n'est un enfant. Donc rien que je n'ai besoin de souhaiter par un vœu et que je ne puis vous apporter bien réellement. Autrement, que pensez-vous de mes souhaits ? Et quels seraient les vôtres ?