Piastre

2 minutes de lecture

Les yeux clos, les images défilent sous les paupières de Piastre comme une pellicule dans une caméra. Fil de noir et de blanc, que les couleurs rejoignent à l'encre pour donner du bleu, du vert et du rouge à sa vie. Les couleurs étaient fades depuis la mort d'Helgie, mais aujourd'hui Chataigne avait su changer les tons, ravivant le feu qui consumait son cœur, et redonner de l'ardeur dans sa vie. Était-ce parce qu'elle incarnait ce dont il avait toujours manqué au cours de ses nombreuses années ? Était-ce parce qu'elle était aux antipodes de toutes ses relations passées ? A ses côtés, il n'était plus le vieil homme qu'il avait appris à incarner. Il n'était plus l'Éclopé.

J'en dis que votre proposition me semble parfaitement honnête.

Elle le comprenait mieux que quiconque. Chataigne avait vu au delà du masque et des apparences. Certaines s'y étaient aventuré, prétendant trouver un sens à toute cette mascarade, assurant se nourrir de ses blessures. Elle les avait soignées, bandées, cicatrisées. L'assentiment qu'elle donnait donc à sa requête légitime confortait Piastre dans sa décision de s'ouvrir et de partager avec elle ses plus sombres travers, son passé, ses doutes. Accompagner comme elle le faisait l'homme à la canne, lui permettait aussi d'envisager quelque chose qu'il avait dénigré trop longtemps : le futur. Au profit du présent, Piastre avait longtemps repoussé l'avenir, en usant du passé comme d'un masque.

Votre date de naissance.

Par cette question, Chataigne voulait peut-être établir une frise chronologique du Piastre. Commencer par le début semblait approprié. Revenir aux informations essentielles pour poser les bases d'une histoire commune. Pourtant sa naissance était confuse. Était-il le fruit d'une passion ou d'un viol ? Résultait-il de l'union d'amoureux, ou fut-il désiré seulement ? Jusqu'à ses dix ans, Piastre avait grandit sous les bons soins de son grand-père, Guillaume de Machaut. Mais l'homme n'était pas vraiment une figure de paternité. Trop occupé à révolutionner l'art avec un quelconque religieux, c'était d'une manière très austère qu'il avait pris soin du rejeton de son défunt fils. Piastre perdait déjà le fil de ses pensées à se souvenir de son grand-père aussi se ressaisit-il en revenant au présent dans ses bras dont le goût de la peau manquait déjà à ses lèvres.

Je suis né le vingt six avril mil quatre cent vingt. Voilà une information que très peu sinon nul ne sait. J'espère juste que vous ne réaliserez pas en l'apprenant que je suis bien trop vieux pour vous. J'espère aussi ne pas réaliser que vous êtes trop jeune pour moi en vous demandant la votre, date de naissance.

Assuré que la réponse n'apporterait aucun doute sur ses intentions, Piastre demeura ainsi, niché dans son dos, à l'abri du monde extérieur. Les cloches ne tonnaient plus. La messe avait commencé et les rues s'étaient vidées. Le vieil homme ne voulait rien. Il avait déjà tout. Tout ce qui comptait aujourd'hui se reposait dans le creux de ses bras.

Quoi d'autre ?

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Offberg ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0